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Partager la publication "Interview de Roland Robeveille sur l'innovation en entreprise"
A l’occasion de la sortie de son ouvrage « Manager l’innovation autrement » aux Éditions GERESO, Roland Robeveille a accepté de répondre à quelques questions…
Dans un premier temps, pouvez-vous nous présenter votre parcours professionnel ?
Je possède un double parcours, professionnel et universitaire.
J’ai commencé ma carrière comme employé de banque. Un de mes clients, qui travaillait comme DRH dans une filiale du groupe Renault, m’a demandé si j’étais intéressé par un poste. C’est de cette façon que je me suis retrouvé responsable de formation pour l’une des filiales financières du groupe Renault. En parallèle, j’ai suivi un cursus en gestion des ressources humaines au Cnam : un DESS, un master européen, puis un doctorat à l’UVSQ. En 1998, lors d’une réorganisation de la fonction RH chez Renault j’ai postulé pour un poste de responsable de l’emploi et de la formation des Directions tertiaires. J’ai eu l’occasion de mettre en place la gestion des compétences et le développement du management en France, mais aussi pour l’Espagne et la Roumanie pour la FRH de Renault et pour les Directions tertiaires.
Après 10 ans à ce poste, j’ai décidé de partir en préretraite. Ce qui m’a permis de me concentrer sur ma carrière universitaire. Elle avait déjà commencé quelques années auparavant, à l’Université de Villetaneuse et en école d’ingénieur à l’Ensta. Actuellement, je donne des cours à l’Université de Versailles Saint-Quentin aux étudiants d’un master de management des organisations (GEMO). J’interviens dans un module du Management de l’Innovation. Ce qui est intéressant, c’est qu’il a fallu que j’acquière une nouvelle expertise pour intervenir dans ce cursus.
Dans votre ouvrage « Manager l’innovation autrement », vous faites le constat que les entreprises françaises ne sont pas suffisamment innovantes. À quoi cela est-il dû selon vous ?
C’est un fait : le positionnement de la France en matière d’innovation ne fait que reculer depuis 10 ans ! Toutes les études le montrent (IFOP, Insee, Sénat, etc.) ! 3 causes peuvent expliquer ce phénomène :
- Une cause culturelle : ces 30 dernières années, les grands projets qui ont fait le succès de l’innovation en France (Concorde, filière atomique, Airbus, TGV…) et qui étaient subventionnés par l’État sont progressivement laissés à l’abandon d’une part. ensuite, les entreprises françaises ont tendance à se centrer sur l’innovation technologique aux dépens de l’innovation incrémentale. L’innovation sociale est pratiquement inexistante.
- Une cause structurelle : au lieu d’investir dans l’innovation, la majorité des grandes entreprises du CAC préfère rémunérer les actionnaires, voire racheter leurs actions.
- Une cause organisationnelle : les organisations françaises sont bloquées dans la même démarche depuis les années 80. Ainsi, on préfère assurer la rentabilité aux actionnaires plutôt que de prendre des risques en mettant en place de nouvelles organisations du travail. Il faut cependant ajouter que des milliers d’entreprises de taille moyenne investissent massivement dans l’innovation.
Cependant, il n’y a pas plus de résistance au changement en France que dans d’autres pays. En France, le vrai problème, c’est l’investissement pour l’innovation.
Peut-on imaginer une stratégie de développement basée uniquement sur l’innovation ? Si oui, avez-vous un exemple français à nous donner ?
Des entreprises qui innovent en permanence en France, bien sûr que cela existe ! Je peux en citer quelques-unes : Zodiac Aerospace, Tefal, Gemalto, Criteo, Kolibree, Technip ou encore Expliseat. Elles sont toutes à la pointe de l’innovation dans leur secteur d’activité, grâce à la mise au point de stratégies internes, mais aussi d’achat de brevets et de rachat de petites entreprises.
L’innovation est souvent portée par le dirigeant. Quel est alors le profil du manager innovant ?
Si je devais donner un seul nom : Bertrand Bailly, le DG de Davidson Consulting. Avant de diriger une entreprise de plus de 1200 employés, il a lui-même été consultant. Ce qui explique sa volonté de ne pas reproduire les schémas vécus quelques années auparavant. Par exemple, il souhaite que ses chefs de service puissent être autonomes dans leur prise de décision. Il a aussi décidé d’installer son bureau au milieu de ses collaborateurs pour toujours pouvoir être à l’écoute de ses salariés. Il a aussi mis en place un tableau de bord innovant lui permettant de suivre le climat de son entreprise au quotidien.
Un manager innovant, c’est ça : il ne doit pas seulement donner des directives, il doit aussi tenir compte de ses salariés. Ce n’est plus les diriger, c’est les inspirer, leur donner confiance, leur insuffler son dynamisme. C’est la première étape pour pouvoir mettre en place l’innovation au sein de son entreprise.
Doit-on forcément ”bousculer les codes” pour être innovant ?
Je pense que les innovateurs sont toujours des perturbateurs. Cela reprend la théorie de Schumpeter : l’innovation est à la fois créatrice et destructrice pour les emplois. Ainsi, les changements bousculent les manières de penser et donc de travailler. C’est en bouleversant les habitudes que l’on peut innover… Mais il ne faut pas bouleverser pour le seul plaisir de changer, mais dans un but de reconstruction.
Du point de vue RH (recrutement, contrats, rémunération, organisation du travail, management…), quels sont les moyens à mettre en œuvre pour réussir une stratégie d’innovation ?
En France, la fonction RH n’est pas très ouverte à de nouvelles organisations du travail. Elle fonctionne relativement bien, mais par nature, n’est que peu révolutionnaire. Pour rendre les entreprises françaises plus innovantes, il faut tout changer et bousculer : la gestion RH, le management, l’organisation du travail. Si l’on change une chose, rien ne changera, il faut donc tout changer. Mais aussi développer une plus grande cohésion entre le discours des dirigeants et leurs actes.
On dit souvent que le Code du travail ou la règlementation sociale sont des freins à l’innovation. Qu’en pensez-vous ?
Le problème, ce n’est pas la réglementation, mais les hommes qui l’utilisent. Les freins sont plutôt psychologiques.
Notre Code du travail n’est pas simple, c’est un fait. Et il faut le rendre plus compréhensible. Mais pour autant, il ne faut pas, par exemple, supprimer le CDI. Transformer tous les salariés en autoentrepreneurs serait une erreur terrible.
Les salariés sont habitués à un certain système de pensée. Par exemple, la gestion de l’administration en France passe par une multitude de chefs : alors qu’il serait plus rapide de directement s’adresser au collaborateur concerné. Le problème, c’est que ça serait nier le système hiérarchique auquel on est habitué depuis toujours. L’entreprise libérée devrait d’abord se libérer de ses propres contraintes.
Quand on parle d’innovation technologique, on cite beaucoup le terme de ”disruption”. Qu’est-ce que ce terme évoque pour vous ?
Pour moi, être disruptif, c’est redéfinir le processus de transformation d’un marché. On transforme le système en donnant accès plus facilement aux produits et aux services, qui avant étaient peu accessibles et surtout bien plus coûteux.
On ne va pas forcément proposer un produit meilleur, mais un produit qui s’adresse à un plus grand nombre d’utilisateurs. Ce n’est pas la politique d’Apple, mais c’est surement celle d’Alibaba.
Le concept de ”croissance sans emploi”, illustrant le fait que l’innovation, notamment dans les services, ne crée pas forcément d’emploi, ne va-t-il pas, à terme, générer de la défiance à l’égard de l’innovation ?
Comme l’expliquait Schumpeter, la croissance n’est jamais sans emploi. L’innovation est créatrice et destructrice. Ainsi, une branche d’activité peut tout à fait disparaître si elle n’est plus adaptée à l’économie. Mais dans le même temps, de nouvelles branches font leur apparition. Par exemple, la sidérurgie a succédé au monde de l’agriculture. La croissance n’est donc pas sans emploi : elle est juste différente. Aujourd’hui internet et ses outils permettent la création de millions d’emplois dans le monde, ils ne sont pas toujours là où se trouvaient les emplois des entreprises vieillissantes. L’adaptation des hommes à ces évolutions est la plus compliquée à réaliser. Cela a déjà été le cas au 19e siècle, avec l’industrialisation qui a succédé au monde agricole et ce sera le cas avec les nouveaux usages d’internet.
Si vous deviez donner 3 facteurs clés de succès pour une stratégie basée sur l’innovation, quels seraient-ils ?
Les entreprises qui souhaitent se développer et toujours être présentes en 2020 vont devoir changer. Elles devront faire l’effort de passer de la différenciation classique, le prix le plus bas et les nouveaux produits par exemple, vers un nouveau système qui devra s’appuyer sur de nouvelles organisations, de nouveaux processus de fabrication et de vente. Mais surtout surtout de l’innovation sociale, les entreprises de 2020, ne peuvent plus continuer à fonctionner comme au 20° siècle.
La raison est simple. Les entreprises ne peuvent pas fonctionner sur le long terme si les salariés de l’entreprise ne comprennent pas sa stratégie et n’y adhèrent pas. S’ils ne se sentent pas en phase et ne contribuent pas aux résultats. Bien évidemment, l’objectif de la société n’est pas de rendre les salariés heureux. Mais c’est un moyen efficace d’y parvenir.