Partager la publication "Interview de Virgile Lungu sur le Knowledge Management"
Consultant en management et auteur de l’ouvrage « Knowledge management en entreprise » sorti le 3 septembre aux Editions GERESO, Virgile Lungu a accepté de répondre à nos questions.
Dans un premier temps, pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Après une formation initiale d’ingénieur, je me suis spécialisé dans le secteur de l’industrie et des services. Pendant près de 20 ans, j’ai notamment accompagné de nombreuses entreprises dans la conception et la réalisation de leur projet métier.
Mes différentes expériences professionnelles m’ont amené à lancer une structure depuis 5 ans. L’offre de services que je propose s’appuie sur deux piliers : l’accompagnement opérationnel dans la transformation de l’entreprise (application métier) et la formation.
Les chantiers que je mène sur la transformation de l’entreprise couvrent toute prestation :
- en partant de l’accompagnement dans l’évaluation du changement,
- en passant par le cadrage et le pilotage de projet,
- jusqu’à la formation des utilisateurs
Depuis 2009, je dispense également des cours auprès de deux populations :
- en formation continue auprès des cadres sur les thématiques portant sur le management d’entreprise
- dans les écoles privées auprès des étudiants en BTS, licence et master sur des matières comme l’organisation des entreprises, la vente, la réputation sur les réseaux.
Cette expérience en formation est très enrichissante, car elle me permet d’avoir une meilleure idée des connaissances des étudiants sur le point d’entrer sur le marché du travail, mais aussi d’aider les cadres au niveau opérationnel à s’entourer des meilleurs éléments.
Pouvez-vous nous résumer en quelques mots ce qu’est le knowledge management ?
Derrière ce terme anglais se trouve un savant mélange entre la gestion des savoirs et l’ingénierie des connaissances.
- La gestion des savoirs couvre leur exploitation comme actifs de l’entreprise. Afin d’être utilisés à bon escient, les savoirs doivent être identifiés dès le départ. Par la suite, ils nécessitent un enrichissement permanent par la dynamique de l’échange pour assurer leur pérennité.
- L’ingénierie de la connaissance est le domaine qui commence par la fouille des données. Ces dernières sont transformées pour devenir des informations, qui par leur utilisation deviendront elles-mêmes des connaissances. Elle consiste dans la conception, la modélisation et la réalisation des systèmes à base des connaissances. L’objectif de l’ingénierie de la connaissance est de concevoir des systèmes qui permettent, par l’exploitation des connaissances, de résoudre un problème donné.
Pour simplifier, dans votre entreprise, vos salariés ont des compétences. Ils savent produire, concevoir ou encore accompagner. L’objectif est ici de transformer la connaissance de chacune et de chacun pour réussir à la partager avec toutes les parties prenantes.
Selon vous, le niveau de maturité d’une organisation est directement lié à sa capacité de gestion du savoir. Pourquoi ? En quoi la gestion du savoir constitue-t-elle un facteur de performance et un avantage concurrentiel ?
J’identifie 5 niveaux dans l’évaluation du niveau de maturité d’une organisation :
- Initial
- Reproductible
- Défini
- Maîtrisé
- Optimisé
A chaque niveau, les différents secteurs de l’entreprise peuvent être évalués. Ce sont les caractéristiques de ces secteurs qui donnent la mesure de la capacité de l’organisation à prendre des engagements, à les réaliser, à les mesurer et à analyser les résultats. Cela permet la maitrise continue de l’avancement des travaux à la fois pour le commanditaire et pour la structure qui les réalise.
La capacité de gérer son savoir apparaît au niveau 3 (défini). Dans les deux premiers niveaux, l’organisation n’a pas la conscience de son savoir, donc elle ne peut pas en faire la gestion : elle a simplement l’impression d’avoir des réflexes de bon fonctionnement. Et tant que l’entreprise n’a pas formalisé cette information pour la rendre transmissible et intelligible, on considère que la société n’a pas atteint le niveau de maturité nécessaire pour faire de la gestion des savoirs.
Sur la question relative à la performance et à l’avantage concurrentiel, j’ai remarqué une forte attente de la part des clients vis-à-vis de leur prestataire pour un accompagnement sur l’explicitation de l’intervention proposée avec une maîtrise sur toute la chaîne de production. Cela veut dire que le fournisseur doit avoir atteint un certain niveau de maturité dans la formalisation et la maîtrise du périmètre de son intervention.
Ainsi, il fera la différence par rapport aux autres acteurs économiques présents sur le marché, par sa transparence sur le niveau de qualité qu’il garantit. Cela montre sa maturité dans la gestion de la performance et devant son client lui donne un réel avantage concurrentiel.
Dans votre ouvrage, vous faites référence à 3 outils : la carte d’information, le dispositif de propagation du savoir et la cellule de veille économique. Pouvez-vous nous les présenter succinctement ?
La carte d’information est un outil incontournable qui permet de visualiser les flux des données et de les formaliser. Il s’agit d’une base nécessaire pour valider avec les autres acteurs la portée du projet, mais aussi pour esquisser les trajectoires qui seront choisies dans un comité de direction.
J’ai présenté trois types de cartes dans mon ouvrage :
- Méthode
- Cognitive
- Générique
L’utilisation d’une carte d’information ”méthode” (conseillée à partir d’un niveau de maturité 4) apparaît dans une structure mature et stable qui évolue dans un environnement protégé. La trajectoire du projet ne subira pas des changements de direction, les choix initiaux serviront à préconiser des résultats qui deviendront des bases de réflexion pour la prochaine étape du projet.
La carte cognitive (conseillée à partir d’un niveau de maturité 2) intègre des nouveaux processus de construction pour élargir la réflexion suite aux changements. Sans apporter des résultats prédictifs, elle donne une vision qualitative sur l’impact global. Elle est idéale pour lancer des pistes de réflexion.
Quant à la carte générique (applicable à partir du premier niveau de maturité), son utilité est dans une analyse a posteriori des résultats et une identification des bonnes pratiques pour la fluidité des échanges entre les différents services de l’organisation. Elle permet de définir ce que l’on sait bien faire et vers quelle direction il faut continuer de diriger les efforts.
Le deuxième outil, le dispositif de propagation du savoir, est une émanation de la volonté de la stratégie européenne lancée en 2005 pour combler l’écart de productivité avec les Etats-Unis, le Brésil, la Chine, l’Inde et la Russie. L’objectif était de constituer une société de la connaissance au niveau européen. Or en s’appuyant uniquement sur l’essor des technologies de communication et d’information, cela n’a pas suffi et les résultats de cette stratégie, évalués en 2010, présentent cette société de la connaissance comme une doctrine idéologique, plutôt qu’une réalité sociale et économique.
Le troisième outil, qui est la cellule de veille économique, a une action sur 2 niveaux :
- Niveau stratégique
- Niveau opérationnel
Elle est stratégique, car c’est elle qui permet la proposition des orientations auprès de la Direction Générale. Du point de vue opérationnel, elle apporte des informations issues des sources formelles pour les services à forte dominante technologique et des sources informelles pour les services front office. Dans une approche de gestion du savoir, la cellule de veille diffuse la bonne information, à la bonne personne au bon moment sans que la demande soit exprimée.
Vous affirmez que le knowledge management est bien plus qu’un outil de gestion RH, mais que c’est avant tout une philosophie et un état d’esprit. Pouvez-vous nous préciser pourquoi ?
Le knowledge management est un état d’esprit, car il apporte aux ressources humaines la fonction de gestion de l’intelligence économique. En intégrant cette dernière dans ses pratiques, tout responsable RH pourra détecter les tendances dominantes de son marché, préserver le patrimoine matériel et immatériel de son entreprise, et devenir un influenceur sur les événements externes impactant l’évolution de son entreprise.
Pour qu’un responsable des ressources humaines puisse donc faire son travail dans de bonnes conditions, il faut qu’il puisse vraiment se rendre compte de ce que fait son entreprise et quelle est sa stratégie de développement pour les années à venir.
Quels sont les 3 arguments que vous donneriez à un chef d’entreprise pour l’inciter à mettre en œuvre une démarche de knowledge management dans son entreprise ?
Une démarche de knowledge management permet avant toute chose, comme disait Socrate, « d’enrichir son savoir, car c’est la seule matière qui s’agrandit par le partage« .
Un chef d’entreprise qui a transformé le fonctionnement de son organisation dans une « société de la connaissance » peut pratiquement en temps réel :
- Identifier quelle est la richesse immatérielle existante au sein de sa structure
- Définir les pistes pour l’enrichir
- La protéger
Comme exemple, lorsqu’un employé part à la retraite, la connaissance reste dans l’entreprise, au lieu de disparaître en même temps que le collaborateur.
Au final, à qui conseillez-vous votre ouvrage ?
Je conseille cet ouvrage à toute personne qui veut être un acteur dans la gestion du savoir et/ou dans l’ingénierie de la connaissance.
Suite à la lecture de ce livre :
- Il aura plus de visibilité sur les concepts qui lui paraîtront beaucoup plus concrets qu’au départ.
- Il pourra saisir une démarche opérationnelle pour une mise en application, même à petite échelle. Car contrairement à ce que l’on pense souvent, le knowledge management, ce n’est pas forcément à l’échelle d’une entreprise : on peut aussi le mettre en place dans un petit service par le biais du partage des savoirs au niveau équipe.
- Il deviendra un expert et un « carrefour » de la connaissance pour toute son entreprise.