La transparence salariale en France : Implications et stratégie face à la directive européenne 2023/970

Beaucoup considèrent la directive européenne 2023/970 du Parlement européen et du Conseil, adoptée le 10 mai 2023 et publiée au Journal officiel de l'Union européenne le 17 mai 2023, comme une avancée majeure notamment dans la lutte pour l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Cette directive émerge dans un contexte sociétal où l’exigence d'équité devient une priorité collective, renforçant ainsi la nécessité d'adopter une approche transparente sur les pratiques de rémunération des entreprises. La transposition en droit national devra être finalisée d’ici le 7 juin 2026, ce qui encourage les entreprises françaises à anticiper ces changements afin de préserver leur compétitivité et leur attractivité sur le marché du travail.

La transparence salariale en France : Implications et stratégie face à la directive européenne 2023/970
La transparence salariale devient un levier stratégique face à la directive européenne 2023/970.

Il est pourtant vital de comprendre que cette demande de transparence n’est pas nouvelle et a été répondue à différentes époques sous la pression idéologique ou du marché de l’emploi pour une rémunération « plus juste ». Si on prend par exemple la méthode Hay développée dans les années 40 aux États-Unis, il y avait déjà le désir d’objectivité pour structurer les salaires.

Contexte historique : Pourquoi la transparence salariale est-elle devenue incontournable ?

La transparence salariale peut être définie comme l’ensemble des mesures et pratiques permettant de rendre accessibles, compréhensibles et comparables les informations relatives à la rémunération, ses critères de fixation et ses évolutions au sein d’une organisation.

Cette notion a progressivement évolué : initialement centrée sur l’interdiction des discriminations directes, elle intègre aujourd’hui une exigence proactive de divulgation et d’objectivation des critères salariaux. Elle s’inscrit dans une logique de responsabilisation des employeurs, de renforcement du droit à l’information des salariés et de lutte contre les biais systémiques.

Historiquement, si on prend les écarts de rémunération entre hommes et femmes, ils ont persisté en raison de pratiques discriminatoires souvent implicites, structurelles ou systémiques. Dès les années 1970, la France s’est dotée d’un arsenal juridique pour combattre ces inégalités, avec notamment la loi du 22 décembre 1972 sur l’égalité de rémunération entre les sexes. Celle-ci a été renforcée par la loi Roudy de 1983, instaurant le principe d’égalité professionnelle dans le Code du travail, puis par la loi Génisson de 2001, qui impose aux entreprises de négocier sur l’égalité salariale dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire. Plus récemment, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018 a introduit l’index de l’égalité professionnelle, outil de mesure concrète des écarts salariaux.

Malgré ces avancées législatives, les écarts demeurent quand même persistants, illustrant les limites des dispositifs déclaratifs ou correctifs sans véritable mécanisme de transparence.

C’est dans ce contexte qu’émerge la directive européenne 2023/970, qui promeut une approche systémique pour rendre la transparence salariale obligatoire. Aujourd’hui, la transparence salariale apparaît comme un levier pour réduire efficacement les écarts, en permettant une identification rapide des disparités injustifiées et en facilitant la mise en œuvre de mesures correctrices. Mais est-ce vraiment le cas dans les entreprises ?

Tendances observées et risques associés

Les premiers constants des entreprises montrent trois grandes attitudes face à la mise en conformité avec les exigences de transparence salariale :

  1. L’anticipation stratégique : certaines entreprises choisissent de devancer la réglementation, en intégrant la transparence salariale dans leur politique RH, leur reporting RSE ou leur marque employeur. Cette attitude proactive renforce leur attractivité et leur réputation, tout en réduisant les risques juridiques et sociaux.
  2. L’attentisme prudent :  d’autres entreprises attendent que la directive soit transposée dans le droit français avant d’agir. Bien que cette posture permette d’éviter des investissements prématurés, elle comporte le risque d’un délai de mise en conformité insuffisant et de tensions internes si les salariés ou représentants du personnel en font une priorité.
  3. Le repli défensif : enfin des entreprises, réticentes à l’idée de communiquer sur les salaires, adoptent une posture minimale ou purement formelle. Ce choix accroît les risques en cas de contrôle, de contentieux prud’homal ou de dégradation du climat social.

Alors que faire ?

Le rôle stratégique du RRH et du responsable C&B face aux résistances internes

La mise en œuvre de la transparence salariale peut entrer en tension avec la culture d’entreprise existante, notamment dans les organisations où la confidentialité est perçue comme un outil de gestion ou une valeur stratégique. Dans ce contexte, les responsables RH et les experts C&B jouent un rôle clé de transformation.

Pour faire bouger les lignes malgré des réticences, ils disposent de plusieurs leviers :

  • L’argumentation fondée sur les risques : en s’appuyant sur les exigences de la directive, les risques de non-conformité et les conséquences réputationnelles, les RRH peuvent alerter la direction sur les impacts potentiels d’une attitude attentiste.
  • La mobilisation de données internes : en réalisant des diagnostics chiffrés sur les écarts salariaux, les RRH peuvent objectiver les problématiques et démontrer qu’une stratégie proactive est moins coûteuse qu’une démarche réactive sous contrainte.
  • L’alignement avec les objectifs RSE ou marque employeur : en montrant que la transparence salariale est compatible avec les engagements sociaux ou les ambitions d’attractivité, ils peuvent inscrire la réforme dans une dynamique plus large de performance durable.
  • L’implication progressive des parties prenantes : en intégrant la question salariale dans les dialogues sociaux, en formant les managers ou en lançant des pilotes, ils peuvent créer des dynamiques internes de transformation.
  • La constitution de coalitions internes : en s’alliant avec des membres du comité exécutif sensibles aux enjeux de gouvernance, ou avec les partenaires sociaux, les RRH et C&B peuvent renforcer leur capacité d’influence en interne.

En somme, même face à une direction peu favorable, les RRH et responsables C&B peuvent agir comme des influenceurs internes en combinant expertise technique, diplomatie managériale et sens stratégique.

Enfin, il convient de souligner que la réussite de toute démarche de transparence salariale repose également sur l’implication active du management de proximité. Pour en faire de véritables ambassadeurs de cette politique, il est essentiel de les former spécifiquement, de leur fournir des outils adaptés et un discours cohérent, qu’ils puissent s’approprier pleinement. Un management convaincu, bien préparé et aligné avec la direction RH constitue le relais indispensable entre la stratégie d’entreprise et sa mise en œuvre concrète sur le terrain.

Pour faire tout cela, il faut que le RRH se sente légitime sur le sujet et se forme le plus rapidement possible. Faisons-le point ensemble !

Dispositions clés de la directive européenne 2023/970

  1. Transparence accrue des critères de rémunération : Obligation faite aux employeurs de communiquer explicitement aux salariés les critères détaillés servant à déterminer les salaires et les évolutions salariales, ainsi que les rémunérations moyennes par catégorie d’emploi.

    Exemple pratique : une entreprise peut publier sur son intranet une grille salariale indiquant pour chaque poste les niveaux de rémunération possibles en fonction de critères dits objectifs (expérience, diplôme, résultats, ancienneté). Toutefois, ces critères ne sont pas toujours exempts de biais : par exemple, la valorisation de certaines écoles ou parcours professionnels peut indirectement favoriser un genre, un âge ou un milieu social. C’est pourquoi cette grille devrait être accompagnée non seulement d’un document explicatif sur la pondération de chaque critère, mais aussi d’une démarche d’évaluation régulière de leur neutralité et de leur impact sur l’égalité salariale.

  2. Information précontractuelle obligatoire : Exigence de présenter clairement aux candidats la fourchette salariale prévue pour chaque poste avant l’embauche afin d’assurer une négociation transparente et équitable.

    Exemple pratique : une entreprise publie une offre d’emploi précisant « Poste de chargé(e) de mission RH – CDI, temps plein. Rémunération prévue : 38 000 € à 42 000 € brut annuel selon profil et expérience. Grille salariale consultable sur demande. » Cela permet au candidat de disposer d’un repère clair avant même l’entretien.

  3. Rapport de transparence périodique : Les entreprises de plus de 100 salariés devront régulièrement publier un rapport détaillant les écarts salariaux entre femmes et hommes, ventilés par catégories professionnelles, hiérarchiques, types de contrats et ancienneté.

    Exemple pratique : le rapport pourrait suivre une trame structurée comprenant : (1) une introduction rappelant le cadre légal et la méthodologie employée ; (2) des données quantitatives ventilées par sexe, niveau de poste, type de contrat et ancienneté ; (3) une analyse des écarts identifiés, illustrée par des graphiques ou tableaux ; (4) une explication des écarts jugés justifiés ou non ; (5) les mesures correctives envisagées, assorties d’un calendrier de mise en œuvre ; (6) une conclusion précisant les engagements de l’entreprise pour l’année suivante.

  4. Audit salarial obligatoire : Obligation pour les entreprises présentant un écart salarial supérieur à 5 % de réaliser un audit approfondi pour identifier les causes de ces disparités et adopter des mesures correctives concrètes.

    Exemple pratique : l’audit salarial pourrait suivre une trame structurée comportant les étapes suivantes : (1) définition du périmètre de l’audit (entité, période, population concernée) ; (2) collecte et traitement des données RH et de paie (grilles salariales, fiches de poste, historiques de rémunération) ; (3) analyse statistique des écarts de rémunération selon des variables clés (sexe, poste, niveau de responsabilité, ancienneté, type de contrat) ; (4) identification des écarts non expliqués et de leurs causes possibles ; (5) élaboration de recommandations concrètes (ajustements salariaux, modification des critères de promotion, actions de sensibilisation) ; (6) plan d’action et suivi dans le temps. Ce processus peut nécessiter l’appui d’un prestataire externe spécialisé, un investissement souvent compris entre 5 000 et 25 000 euros selon la taille et la complexité de l’organisation.

  5. Interdiction des clauses de confidentialité salariale : Interdiction explicite d’imposer aux employés de garder confidentiels leurs niveaux de rémunération, favorisant ainsi un climat de dialogue ouvert et de confiance.

    A noter : cette interdiction est assortie de sanctions en cas de non-respect. En cas de litige, une clause de confidentialité imposée de manière illicite peut être déclarée nulle et entraîner des sanctions prud’homales pour atteinte aux droits des salariés, ainsi que des amendes administratives définies par la future transposition française de la directive.

  6. Renversement de la charge de la preuve : En cas de litige relatif à une discrimination salariale, la charge de la preuve incombe désormais à l’employeur si les obligations de transparence n’ont pas été respectées.

    Exemple d’action anticipative : l’employeur peut constituer un dossier de traçabilité de ses pratiques salariales, incluant les critères d’attribution des rémunérations, les relevés d’entretien annuel, et les historiques de décisions d’augmentations. Ce dossier peut être mobilisé en cas de contentieux pour démontrer que les écarts sont fondés sur des critères objectifs, connus et appliqués de manière non discriminatoire. Il est à noter que les nouveaux outils de revue salariale incluent ce type de traçabilité.

L’autre moyen d’anticiper la conformité à ces nouvelles obligations est de faire un diagnostic de conformité.

Le diagnostic de conformité pour les entreprises françaises

Pour être dans l’anticipation et pouvoir communiquer comme innovant sur le sujet de la transparence salariale, il est recommandé d’effectuer régulièrement un diagnostic de conformité par rapport à ces obligations nouvelles. Ce diagnostic peut toucher les points suivants :

L’Index de l’égalité professionnelle (EGA PRO) avec :

  • Une vérification régulière de la publication annuelle de l’index : cela implique de contrôler chaque année que l’index est calculé conformément aux critères réglementaires, qu’il est transmis aux services de l’État via la plateforme dédiée (egapro.travail.gouv.fr), affiché de manière visible pour les salariés (ex : intranet ou affichage RH), et accessible aux partenaires sociaux. Une traçabilité des actions réalisées est fortement recommandée pour anticiper tout contrôle ou litige.
  • La mise en place de plans d’action correctifs clairs et suivis pour éliminer les écarts salariaux identifiés : cela peut se traduire concrètement par des mesures telles que l’attribution d’enveloppes budgétaires ciblées pour revaloriser les salaires des catégories sous-rémunérées, la mise à jour des critères d’attribution des augmentations pour intégrer des éléments de neutralité, ou encore la révision des processus d’évaluation pour éviter les biais systémiques. Un plan d’action efficace inclura également un calendrier de mise en œuvre, des indicateurs de suivi et une information claire des partenaires sociaux.

Une mise en avant de la transparence sur les pratiques salariales avec :

  • Une communication proactive des grilles salariales et des critères d’évolution auprès de l’ensemble des salariés : cela peut se faire à plusieurs moments stratégiques du parcours collaborateur avec l’appui de la première ligne de management.

Par exemple, lors de l’on-boarding, les nouvelles recrues peuvent recevoir un guide expliquant les niveaux de rémunération. Pendant les entretiens annuels, un rappel des critères d’évolution peut être fourni. En cas de mobilité interne, les candidats à un poste peuvent consulter la grille salariale correspondante. Ce partage régulier permet de prévenir les incompréhensions et de soutenir une culture d’équité salariale : cela peut se concrétiser à plusieurs moments clés du cycle de gestion RH, notamment lors de l’intégration d’un nouveau collaborateur, des campagnes annuelles d’entretiens d’évaluation, des revues de performance ou à l’ouverture d’un poste en mobilité interne. Ces informations peuvent être partagées via l’intranet, des réunions d’équipe, ou lors de points RH individuels, en veillant à ce qu’elles soient compréhensibles, à jour et accessibles à tous.

  • Mention systématique des fourchettes salariales dans les processus de recrutement.

La production de rapports et audits réguliers

  • Sans tomber dans la bureaucratie, il peut être pertinent de produire des rapports périodiques régulier (reporting) : cette démarche consiste à collecter, consolider et publier à intervalles réguliers (souvent annuellement) des données quantitatives sur les écarts salariaux observés dans l’entreprise. Ces rapports, à visée descriptive, permettent d’évaluer les évolutions dans le temps, de rendre compte aux parties prenantes (direction, représentants du personnel, autorités de contrôle, grand public) et de piloter les actions correctives.
  • Pour les entreprises qui veulent communiquer fortement leurs positionnements sur le sujet, il sera recommandé de réaliser des audits réguliers : l’audit vise à analyser en profondeur les causes des écarts salariaux observés, notamment ceux non justifiés par des critères objectifs. Il mobilise des outils statistiques et une analyse qualitative, parfois accompagnée d’entretiens ou de revues de processus. L’audit débouche sur un plan d’action correctif et un suivi structuré.

Exemple : un audit réalisé après la publication du rapport annuel révèle que les femmes occupant des fonctions commerciales à responsabilités ont des salaires inférieurs à ceux des hommes malgré une ancienneté équivalente. L’audit propose une correction salariale immédiate et une refonte des critères de promotion.

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  • Identifier les principales dispositions de la directive européenne sur la transparence des rémunérations, y compris en amont du recrutement et l’obligation d’information des salariés.
  • Utiliser des outils de diagnostic pour identifier et corriger les écarts de rémunération au sein de l’entreprise.
  • Évaluer les risques juridiques et financiers liés au non-respect des obligations de transparence salariale.
  • Mettre en place une politique de rémunération transparente et équitable conforme aux exigences légales et aux bonnes pratiques.

Les promoteurs de la transparence salariale – la première ligne de management

Pour conclure, rappelons le rôle essentiel de la ligne de management à condition de bien la former au sujet en lui donnant les bons outils et le discours qu’elle aura assimilé comme le sien et non contre son gré.

 

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