Le contrôle interne financier : pilier émergent de la nouvelle gouvernance publique

La fonction publique française connaît depuis deux décennies une évolution profonde de ses modes de gestion. L'adoption de la Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF) en 2001 a introduit une culture de performance et de transparence, prolongée par des réformes successives : le décret relatif à la Gestion Budgétaire et Comptable Publique (GBCP), la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), et tout récemment l'ordonnance du 23 mars 2022 réformant la responsabilité des gestionnaires publics.

Le contrôle interne financier : pilier émergent de la nouvelle gouvernance publique
Le contrôle interne financier, levier stratégique d'une gestion publique plus responsable et performante.

Dans ce contexte de modernisation, le contrôle interne financier s’est imposé comme un pilier essentiel de la gouvernance publique. Longtemps perçu comme une démarche optionnelle ou réservée au secteur privé, il est désormais reconnu comme une expertise incontournable pour sécuriser la gestion des organismes publics et garantir la qualité de l’information financière.

Une réforme qui redéfinit la responsabilité financière

L’ordonnance du 23 mars 2022, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, représente un tournant majeur dans la gestion publique. Elle instaure un régime unifié de responsabilité des ordonnateurs et des comptables, remplaçant le régime dual qui prévalait jusqu’alors : responsabilité des ordonnateurs devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) et responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables devant les juridictions financières.

Cette réforme vise à assurer une plus grande responsabilisation des gestionnaires publics à travers plusieurs innovations majeures :

  • Unification du régime de responsabilité : un même cadre juridique s’applique désormais aux ordonnateurs et aux comptables, avec une juridiction unifiée au sein de la Cour des comptes.
  • Recentrage sur les infractions graves : la réforme limite l’office du juge aux cas d’une gravité avérée, avec une infraction générique exigeant deux conditions cumulatives – l’existence d’une faute grave et la matérialisation d’un préjudice financier significatif.
  • Sanctions proportionnées : les amendes sont désormais plafonnées à six mois de rémunération (un mois pour les fautes formelles), avec une appréciation individualisée et proportionnée par le juge.
  • Renforcement de la responsabilité managériale : la réforme rappelle clairement à l’employeur public sa responsabilité managériale, en miroir du resserrement du champ juridictionnel.

S’inscrivant dans la continuité des travaux de responsabilisation initiés par la LOLF, cette réforme ne modifie pas le champ des justiciables – les élus et ministres restant non justiciables, sauf pour les cas de gestion de fait – mais transforme profondément l’approche de la responsabilité financière.

Le contrôle interne financier : principes et objectifs

Face à cette évolution du cadre juridique, le contrôle interne financier devient un outil indispensable. L’article 215 du décret GBCP affirme d’ailleurs que « dans chaque organisme est mis en place un dispositif de contrôle interne budgétaire et de contrôle interne comptable. »

Le contrôle interne financier peut être défini comme un ensemble de dispositifs formalisés et permanents, destinés à maîtriser le fonctionnement des activités financières. Il vise trois objectifs fondamentaux :

  • La soutenabilité budgétaire : garantir que les engagements pris respectent l’autorisation budgétaire et que la consommation des crédits reste compatible avec les limites de la programmation.
  • La qualité comptable : assurer la régularité et la sincérité des comptes, garantissant une image fidèle du patrimoine et de la situation financière, conformément à l’article 47-2 de la Constitution.
  • La pertinence de l’information financière : fournir à la gouvernance les données nécessaires à la prise de décision.

Une démarche structurée en trois temps

La mise en place d’un dispositif efficace s’articule autour de trois phases essentielles :

1. L’analyse de l’existant et l’élaboration des outils de pilotage

La première étape consiste à dresser un état des lieux précis. Deux outils sont particulièrement importants :

  • L’organigramme fonctionnel nominatif (OFN) : il formalise la répartition des tâches, les relations hiérarchiques, les délégations de signature et les habilitations informatiques.
  • La cartographie des risques : elle identifie et hiérarchise les risques inhérents aux processus financiers, évaluant leur probabilité, leur impact et le niveau de maîtrise actuel.

Sur cette base, un plan d’action est défini pour traiter prioritairement les risques les plus critiques.

2. Le renforcement des dispositifs de contrôle

Le renforcement s’appuie sur trois leviers complémentaires :

  • L’organisation : elle doit garantir une séparation adéquate des tâches, particulièrement pour les opérations sensibles, et prévoir des mécanismes de suppléance pour assurer la continuité du service.
  • La documentation : elle formalise les procédures à suivre et constitue un support essentiel pour la formation des agents et la pérennisation des bonnes pratiques. Un contrôle non documenté étant considéré comme non effectué, cette formalisation est indispensable.
  • La traçabilité : elle permet de reconstituer à tout moment la piste d’audit, depuis le fait générateur d’une opération jusqu’à son dénouement financier. Elle concerne tant les acteurs (identification, habilitation) que les opérations et les contrôles effectués.

Une attention particulière doit être portée au système d’information, qui joue un rôle crucial dans la sécurisation des processus.

3. L’évaluation des dispositifs

L’évaluation constitue la dernière étape, mais aussi le point de départ d’un nouveau cycle d’amélioration. Elle peut s’appuyer sur plusieurs outils :

  • L’échelle de maturité de la gestion des risques (EMR) : elle évalue le niveau de maturité du dispositif selon différents critères.
  • Les contrôles de supervision : réalisés par l’encadrement, ils mesurent l’efficacité des dispositifs et identifient les éventuelles dérives.
  • L’audit interne ou externe : il offre un regard indépendant sur la qualité des dispositifs.

Les enjeux contemporains

La réforme a renforcé l’importance du contrôle interne financier, mais d’autres enjeux contribuent également à son essor.

L’adaptation à une approche par les risques

La réforme conduit à une évolution, passant d’une logique exhaustive à une approche ciblée sur les risques significatifs. Comme le soulignent les éléments de cadrage de la Direction du Budget, « les acteurs de la chaîne financière pourront recentrer leurs contrôles sur les enjeux réels » et « chaque structure doit pouvoir identifier les risques ou les situations anormales afin de pouvoir les corriger. »

Cette évolution implique de hiérarchiser les contrôles en fonction de la criticité des risques. Les ressources limitées doivent être concentrées sur les points de fragilité majeurs.

La digitalisation des processus financiers

La dématérialisation des procédures modifie profondément les modalités du contrôle interne. L’instruction du 12 juillet 2016 fixe un cadre pour garantir la valeur probante des documents numériques.

Les systèmes d’information doivent intégrer des fonctionnalités de contrôle automatisé, de traçabilité des interventions et d’archivage sécurisé. Ces contrôles embarqués constituent un premier niveau, complété par des contrôles humains ciblés.

L’articulation avec d’autres dispositifs

Le contrôle interne financier doit s’articuler avec d’autres approches complémentaires :

  • Le contrôle de gestion : il apporte une dimension analytique et prospective.
  • L’audit interne : il évalue l’efficacité des dispositifs de contrôle interne.
  • La démarche qualité : elle contribue à l’amélioration continue des processus.

La mobilisation des acteurs

La réussite d’une démarche de contrôle interne financier repose sur l’implication coordonnée de nombreux acteurs :

Au sein de l’organisme
  • L’organe délibérant définit les orientations stratégiques et valide le plan d’action.
  • L’organe dirigeant impulse la démarche, valide la cartographie des risques et s’assure de la mise en œuvre du plan.
  • L’agent comptable garantit la qualité du contrôle interne comptable.
  • Le référent contrôle interne coordonne la démarche et apporte un appui méthodologique.
  • Les responsables opérationnels et leurs équipes appliquent au quotidien les dispositifs de contrôle.

Les appuis externes

Plusieurs appuis externes peuvent être mobilisés :

  • Le contrôleur budgétaire apporte son expertise sur les aspects de soutenabilité.
  • Le comptable public assignataire conseille sur les aspects comptables.
  • Les services d’inspection et d’audit évaluent périodiquement les dispositifs.

La Direction du Budget et la Direction générale des Finances publiques ont mis en œuvre, dès 2022, un plan pour renforcer le contrôle interne financier, incluant des actions de formation.

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  • Respecter le référentiel administratif et financier appliqué à la GBCP et le cadre réglementaire.
  • Modéliser l’organisation au travers du processus décrit dans le Dossier de Prescriptions Générales (DGP).
  • Evaluer les risques selon des critères et des échelles préétablis associés aux tâches fonctionnelles.
  • Mesurer la maturité du contrôle interne effectué par l’Ordonnateur.
  • Établir un tableau de bord de pilotage du contrôle interne.

Conclusion : vers une nouvelle culture de gestion publique

L’essor du contrôle interne financier s’inscrit dans une transformation plus large de la culture administrative. D’une approche focalisée sur la régularité formelle, la gestion publique évolue vers une culture de responsabilité, d’efficience et de maîtrise des risques.

Cette évolution répond à une exigence croissante de transparence et d’optimisation des deniers publics. Dans un contexte budgétaire contraint, le contrôle interne apparaît comme un levier essentiel pour concilier qualité du service public et soutenabilité financière.

La réforme a accéléré cette dynamique en recentrant les contrôles sur les enjeux significatifs et en responsabilisant davantage les acteurs. Elle incite chaque organisme à développer une approche proportionnée et ciblée, adaptée à ses spécificités.

Au-delà des aspects techniques, c’est une transformation culturelle qui est en jeu, impliquant une nouvelle conception du rôle de gestionnaire public : non plus simple exécutant de règles formelles, mais acteur responsable d’une gestion efficiente des ressources collectives.

Pour les organismes qui s’en saisissent pleinement, le contrôle interne financier constitue ainsi non une contrainte réglementaire, mais un véritable levier de performance et de modernisation de l’action publique.

 

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