Entre liberté et discipline : le casse-tête du téléphone perso au travail

Les smartphones ont envahi notre quotidien : les Français passeraient en moyenne 3 heures et 30 minutes par jour sur leur téléphone. Le terme nomophobie (abréviation de « No Mobile Phone » et du terme « phobie ») est même utilisé pour désigner le fait de ne pouvoir se passer de son téléphone portable et certains parlent également de syndrome « FOMO » (acronyme de l’expression anglaise « Fear of missing out »), utilisé pour décrire l’anxiété qui pousse des personnes à rester connectées en permanence à leur appareil pour ne rater aucun événement.

Entre liberté et discipline : le casse-tête du téléphone perso au travail
Smartphone au travail : un équilibre à trouver entre liberté individuelle et exigences professionnelles.

Le monde professionnel n’échappe pas à ce phénomène : on estime qu’en France, plus de 55% des salariés utilisent leur téléphone portable personnel en entreprise, dans un usage qui comprend l’utilisation d’outils personnels et sociaux (réseaux, boîtes de messageries personnelles, etc.). Cette utilisation du portable sur le lieu de travail peut entraîner une dépendance, une source de distraction, voire des risques d’accident du travail, notamment pour les salariés affectés à des machines dangereuses ou amenés à manipuler des produits chimiques. 

La situation n’est cependant pas simple à régler car aucune disposition légale n’existe en la matière. Dès lors, que peut faire l’employeur confronté à une utilisation qu’il estime abusive, par les salariés, de leur téléphone portable personnel ?

Interdire totalement le smartphone au travail : une liberté individuelle en jeu

L’employeur ne peut pas, par principe, poser une interdiction générale et absolue d’utiliser le téléphone personnel si aucun impératif de sécurité, d’image vis-à-vis de la clientèle, …, ne le justifie : une telle interdiction constitue une atteinte aux libertés individuelles des salariés.

La jurisprudence pose en effet en principe que « l’utilisation du téléphone portable personnel sur le lieu et pendant le temps de travail doit être toléré, sauf abus » (Cour d’appel, Dijon, Chambre sociale, 13 Avril 2023, n° 21/00494).

Il faut donc en conclure que l’employeur ne peut donc pas interdire l’utilisation du téléphone portable dans des situations ne le justifiant pas, notamment pour les salariés affectés à des travaux de bureau.

Encadrer l’usage du téléphone personnel : ce que l’employeur peut faire

Si l’utilisation du téléphone portable par les salariés en toutes circonstances ne peut être interdit, l’employeur peut :

  • Réglementer son usage : la note de service qui prévoit que les salariés peuvent utiliser leur téléphone portable personnel pendant leurs temps de pause, et pendant leur temps de travail effectif « en cas d’urgence impérieuse » n’est pas contraire aux libertés individuelles dont disposent les salariés sur leur lieu de travail (Cour d’appel, Aix-en-Provence, 4e et 5e chambres réunies, 11 Février 2021, n° 17/17299). La réglementation de l’usage du portable par les salariés peut donc prendre la forme d’une obligation qui leur est faite d’utiliser leur portable en mode silencieux ou vibreur, de passer des appels en dehors des bureaux partagés,… ;
  • Sanctionner les abus dans son utilisation : l’utilisation excessive du téléphone portable par un salarié, préjudiciable à son activité professionnelle, peut, en effet, justifier le prononcé de sanctions disciplinaires à son encontre. A ainsi été jugé justifié le licenciement du salarié dès lors que certains clients refusaient son intervention, sur leurs chantiers, menaçaient de se tourner vers la concurrence s’il n’était pas remplacé et se plaignaient de son comportement sans-gêne, caractérisé par ses longues pauses cigarette, un abus dans l’utilisation du téléphone portable à usage personnel et par le fait de répondre mal aux questions d’un client (Cour d’appel, Colmar, 4e chambre A, 29 juil. 2022, n°21/00835).

La preuve d’une utilisation excessive par le salarié de son téléphone portable personnel pendant les heures de travail n’est toutefois pas facile à rapporter, car l’employeur n’a pas accès aux factures du téléphone, de nature à établir le temps passé en communication. Il est donc impératif, dans le cadre d’un contentieux éventuel, de produire des attestations/réclamations de collègues et/ou de clients.

En outre, la jurisprudence se montre sévère et exige souvent que l’employeur démontre l’atteinte portée au bon fonctionnement de l’entreprise. Ainsi, ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse le licenciement du salarié dès lors qu’aucun élément ne permet d’établir une utilisation prolongée du téléphone, comme reproché dans la lettre de licenciement, le salarié alléguant qu’il utilisait son téléphone portable pour regarder l’heure (Cour d’appel, Reims, Chambre sociale, 20 Septembre 2023, n°22/01420). De même, s’il est établi que la salariée utilisait son smartphone personnel plusieurs fois par jour, il n’est pas démontré que cet usage a eu des répercussions sur son travail, étant relevé que sa fille était également salariée de l’entreprise et qu’elles se contactaient, à des fins professionnelles, à partir du portable personnel de l’intéressée (Cour d’appel, Dijon, Chambre sociale, 13 Avril 2023, n°21/00494).

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Quand l’interdiction du smartphone au travail devient légitime

L’employeur peut en effet interdire l’usage du téléphone portable, pour tenir compte notamment :

  • D’impératifs de sécurité, par exemple si le salarié utilise des outils, des produits, des machines dangereuses, est amené à conduire des engins (chariots de manutention, véhicules, …), ou encore est affecté à des missions de sécurité qui requiert une vigilance particulière. A ainsi été jugé justifié le licenciement pour faute grave du salarié, agent de sécurité, dès lors qu’il a continué à faire usage de son téléphone portable en présence du public, alors qu’il n’avait pas été autorisé à utiliser son téléphone portable, qu’il était coutumier du fait, et que l’employeur, un musée en l’occurrence, attachait une importance particulière au fait que les agents de sécurité ne soient pas distraits de leurs taches par ce moyen (Cour d’appel, Douai, 28 Juin 2024, n°21/02055). De même, est justifié le licenciement du salarié qui conduit un véhicule transportant des usagers en usant de son téléphone portable (Cour d’appel, Versailles, Chambre sociale 4-4, 24 avril 2024, n° 22/01338)
  • De la nature des missions confiées au salarié : présence d’ondes dangereuses dans le milieu hospitalier, mission de service à la clientèle, … . Ainsi, commet une faute le conducteur expérimenté qui a délibérément fait attendre une cliente en raison d’une conversation personnelle sur un téléphone portable alors qu’il était à son poste de conduite, ce qui risquait de préjudicier très fortement à l’image de la société (Cour d’appel, Amiens, 5e chambre prud’homale, 26 sept. 2024, n° 23/04104)

Les bonnes pratiques pour encadrer l’usage du smartphone en entreprise

Il ressort clairement des décisions de jurisprudence que la réglementation de l’usage du portable sur le lieu de travail suppose que le salarié soit clairement informé, au préalable, des conditions d’utilisation de son téléphone portable. Cette information peut prendre la forme d’une mention dans le règlement intérieur ou une note de service, de consignes signés par le salarié,…   

 

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