Partager la publication "Fonction publique : les effets de la suspension administrative"
Qui peut se voir suspendu ?
Cette mesure peut être prononcée à l’encontre :
- des fonctionnaires, qu’ils soient titulaires ou stagiaires ;
- et des agents contractuels de droit public.
Que recouvre la notion de « faute grave » ?
L’existence d’une « faute grave » a été reconnue comme telle, par le juge administratif, dans les cas suivants :
- à l’occasion de refus répétés d’exécuter les ordres reçus (1) ;
- du fait, pour un agent des espaces verts, d’emporter de manière habituelle à son domicile des plants, arbustes et arbres appartenant à la commune (2) ;
- pour avoir participer à une rixe au cours de laquelle un collègue a été sérieusement blessé (3) ;
- pour des manquements aux devoirs de réserve, de discrétion professionnelle et de loyauté à l’occasion d’une prise de position publique accompagnée du lancement d’une pétition et de la diffusion de documents confidentiels (4) ;
- du fait d’une attitude agressive et injurieuse envers ses collègues (5) ;
- du fait, pour un professeur, de mener au sein de son établissement une campagne anti-avortement par la diffusion de tracts et de vidéos de nature à heurter la sensibilité des élèves (6) ;
- pour avoir refusé de porter des équipements de sécurité (bleu de travail, chaussures de sécurité) et d’effectuer tout travail, ce qui qui a gravement perturbé le fonctionnement des services techniques puisque ses collègues ont été contraints de le remplacer pour assurer, en toute sécurité, ses missions (7).
Quel contrôle exerce le juge administratif vis-à-vis d’une décision de suspension d’un agent ?
Dans le cadre de son contrôle de l’excès de pouvoir, le juge administratif doit tenir compte uniquement des informations dont l’administration disposait effectivement à la date de la décision de suspension. En effet, les éléments nouveaux dont elle aurait connaissance postérieurement ne peuvent être invoqués. En revanche, l’administration est tenue d’abroger sa décision si ces nouveaux éléments remettent en cause la vraisemblance des faits à l’origine de la mesure (8).
Par ailleurs, une mesure de suspension ne saurait être fondée sur des motifs révélant uniquement une insuffisance professionnelle sans relever des manquements revêtant le caractère d’une faute disciplinaire grave (9).
La suspension ne préjuge pas de la sanction disciplinaire qui pourra, le cas échéant, être prononcée à l’encontre de l’agent. Toutefois, si ce dernier a déjà fait l’objet d’une sanction disciplinaire, l’administration ne peut pas, par la suite, le suspendre à raison des mêmes faits (10).
A noter que lorsqu’un agent est incarcéré ou mis dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions en raison d’un contrôle judiciaire, l’administration peut :
- soit prendre une mesure de suspension ;
- soit interrompre le versement de la rémunération, sur la base de l’absence de service fait, sans suspendre l’agent (11).
Dès lors que l’administration opte pour la suspension, elle peut, cependant, y mettre fin, notamment si elle décide finalement de priver l’agent de sa rémunération (12).
A noter, enfin, que constitue une faute de la part de l’administration, le fait de placer un agent en congés annuels afin de l’éloigner du service, sans que les nécessités de service le justifient et alors qu’il lui appartenait de le suspendre de ses fonctions consécutivement au signalement de son comportement inadapté (13).
Un fonctionnaire suspendu peut-il voir son poste ouvert au recrutement ?
L’emploi qu’occupe l’agent suspendu ne devient pas vacant, la mesure de suspension n’étant que provisoire (14).Quelles sont les conséquences d’une suspension d’un agent sur sa rémunération ?
En application des dispositions de l’article L. 531-1 du CGFP, un fonctionnaire suspendu conserve sa rémunération principale, c’est-à-dire : son traitement indiciaire, son indemnité de résidence et son supplément familial de traitement (SFT), durant un délai de 4 mois.
Le Conseil d’Etat, dans une affaire concernant un magistrat temporairement interdit d’exercer ses fonctions a jugé légale la décision de suspendre le versement des indemnités de fonctions, « compte tenu du caractère de ces indemnités, qui sont liées à l’exercice effectif des fonctions » (15). Ce qui, a contrario, signifierait que des avantages indemnitaires non liés à l’exercice des fonctions peuvent être maintenus. Toutefois, dans une autre espèce, une Cour administrative d’appel a jugé qu’un fonctionnaire suspendu perdait le bénéfice de l’ensemble des primes et indemnités, qu’elles soient liées à son grade ou à ses fonctions (16).
Par ailleurs, en application des dispositions de l’article L. 531-4 du CGFP, le fonctionnaire qui, faisant l’objet de poursuites pénales, n’est pas rétabli dans ses fonctions, ni affecté provisoirement dans un autre emploi ou provisoirement détaché d’office dans un autre corps ou cadre d’emplois, peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération qu’il avait conservée ; il continue cependant à percevoir l’intégralité des suppléments pour charges de famille, dont le SFT.
La retenue est donc facultative et modulable, selon la libre appréciation de l’administration.
La retenue, mesure conservatoire, n’entre pas dans la catégorie des décisions qui ont à être motivées au sens du code des relations entre le public et l’administration (17). Cette dernière peut, cependant, tenir compte des charges pesant sur l’agent et des conséquences qu’aurait la retenue sur sa situation personnelle (18).
Si aucune sanction pénale ou disciplinaire n’a été prononcée à l’encontre du fonctionnaire, ce dernier a droit au paiement du traitement, de l’indemnité de résidence et du SFT, y compris pour la période de prorogation de la suspension (19). A noter que ce droit est transposable aux agents contractuels de droit public (20). Toutefois, les indemnités liées à l’exercice effectif des fonctions et la nouvelle bonification indiciaire (NBI) doivent être exclues du remboursement (21). En précision, la même cour administrative d’appel a jugé qu’un agent avait droit au remboursement, même s’il a fait l’objet d’une sanction disciplinaire, dès lors qu’aucune faute grave n’a pu lui être reprochée (22).
Un fonctionnaire suspendu peut-il exercer une activité privée ?
Le Conseil d’Etat a été amené à juger qu’un fonctionnaire suspendu, étant dans l’impossibilité de poursuivre l’exercice de ses fonctions, cessait d’être soumis à l’interdiction de principe du cumul des fonctions avec une activité privée rémunérée ; il reste cependant lié au service public et doit, en conséquence, observer la réserve qu’exige la qualité de fonctionnaire et s’abstenir notamment d’exercer toute activité incompatible avec ses fonctions et donc respecter les règles déontologiques (23).
Quelles sont les conséquences d’une suspension d’un fonctionnaire en matière de position administrative ?
Un fonctionnaire suspendu doit pouvoir être placé dans les autres positions statutaires accessibles à partir de la position d’activité, dans laquelle il se trouve toujours. C’est ainsi, par exemple, qu’une demande de disponibilité discrétionnaire ne peut lui être refusée au seul motif de sa suspension (24).
Quelles sont les conséquences d’une suspension d’un fonctionnaire en matière de de congés ?
Etant toujours placé en position d’activité, un fonctionnaire, suspendu administrativement, bénéficie d’un congé de maladie, en cas d’affection le mettant dans l’impossibilité d’exercer les fonctions qu’il exercerait s’il n’était pas suspendu. Il doit alors bénéficier de la rémunération afférente au congé.
Ainsi, le fait de le placer en congé de maladie met nécessairement fin à la mesure de suspension, qui pourra être reprise à l’issue dudit congé, dès lors que les conditions sont toujours remplies (25). Par ailleurs, si l’agent se trouve en congé de maladie au moment de la décision de suspension, l’administration peut valablement décider qu’il sera suspendu à compter de l’expiration de son congé (26). Dans le même sens, le Conseil d’Etat a été amené à confirmer qu’une mesure de suspension prise alors que le fonctionnaire a été placé en congé de maladie ordinaire n’entre en vigueur qu’à compter de la date où celui-ci se termine, même si une mise en application différée n’a pas été expressément prévue. Elle ne met donc pas fin au congé de maladie. Cependant, la durée de la suspension doit être décomptée à partir de la signature de la décision qui la prononce (27). En revanche, une mesure de suspension peut prendre effet à compter de sa notification à l’agent placé en congés annuels. En effet, en toute logique cette situation, qui dépend de sa seule volonté en accord avec sa hiérarchie, ne peut pas être assimilée à celle d’un agent en congé de maladie, pour lequel la suspension n’entre en vigueur qu’à compter de la date à laquelle ce congé prend fin. (28).
A noter, enfin, qu’un agent suspendu n’acquiert pas de droits à congés annuels (29).
Quelles sont les conséquences d’une suspension d’un fonctionnaire sur sa carrière ?
La période de suspension doit être prise en compte pour le calcul de l’ancienneté de services et pour les droits à pension de retraite (30).
Quelles sont les conséquences d’une suspension sur le logement de fonction occupé par l’agent ?
L’agent suspendu ne perd pas automatiquement, durant cette période, son droit à jouissance du logement de fonction (31). Il a, cependant, été jugé qu’il n’a aucun droit à conserver l’avantage constitué par la gratuité du logement accordé à raison de ses fonctions, dès lors qu’il ne les exerce pas durant la suspension ; l’administration peut donc réclamer un loyer pour la période correspondante (32). En revanche, dès lors qu’aucune décision, expresse ou implicite, n’a révoqué l’arrêté de concession, aucune redevance d’occupation ne peut être mise à la charge de l’agent pour l’occupation de son logement de fonction (33).
Votre formation sur ce thème
POUVOIR DISCIPLINAIRE DANS LA FONCTION PUBLIQUE
1 jour – En présentiel ou à distance
- Qualifier une faute disciplinaire.
- Se repérer dans les régimes disciplinaires (stagiaires, titulaires, contractuels) en respectant l’échelle des sanctions.
- Appliquer les différentes sanctions applicables.
- Suivre les étapes de la procédure disciplinaire : de la constitution du dossier individuel à la prise de sanction.
- Gérer les possibles recours contre la décision de sanction.
Quelles sont les conséquences d’une suspension illégale ?
L’annulation d’une mesure de suspension, par le juge administratif, ne suppose l’intervention d’aucun acte pour assurer la continuité de la carrière du fonctionnaire ou pour régulariser sa situation. En conséquence, l’administration peut prendre une nouvelle mesure de suspension, sous réserve que les conditions demeurent remplies, mais elle ne peut lui donner un effet rétroactif (34).
Lorsque les faits à l’origine de la mesure ne constituaient pas une faute grave, l’agent a droit à la réparation intégrale des préjudices de toute nature effectivement subis dès lors que ceux-ci présentent un lien de causalité directe avec l’illégalité commise (voir ci-dessus). Doivent, donc, être prises en compte dans l’indemnisation les primes et indemnités dont l’agent avait une chance sérieuse de bénéficier à l’exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions (35).
Références :
- CE, 12 décembre 1994, Centre hospitalier universitaire de Nantes, requête n° 136497 ;
- CAA Nantes, 16 mars 2001, Commune de Challans, requête n° 97NT02534 ;
- CAA Nantes, 4 octobre 2002, requête n° 00NT01556 ;
- CAA Marseille, 15 janvier 2008, requête n° 05MA02639 ;
- CAA Lyon, 12 novembre 2009, requête n° 07LY01536 ;
- CAA Marseille, 5 mai 2015, requête n° 14MA02047 ;
- CAA Paris, 11 février 2021, Département du Val-de-Marne, requête n° 18PA03954 ;
- CE, 18 juillet 2018, requête n° 418844 ;
- CAA Lyon, 13 juillet 2021, Commune de Saint-Egrève, requête 19LY02559 ;
- CE, 30 janvier 1995, Office publique départemental d’habitation à loyer modéré du Val-d’Oise, requêtes n° 145691, 151207, 154906 et 154907 ;
- CE, 25 octobre 2002, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales, requête n° 247175 ; et CE, 16 février 2005, requête n° 226451 ;
- CE, 13 novembre 1981, Commune de Houilles, requête n° 27805 ;
- CAA Toulouse, 13 septembre 2022, requête n° 19TL05036 ;
- CE, Section, 8 avril 1994, requêtes n° 145780 et 146921 ;
- CE, 25 octobre 2002, requête n° 237509 ;
- CAA Marseille, 16 novembre 2004, Commune d’Aubagne, requête n° 00MA01794 ;
- CAA Marseille, 17 décembre 2013, requête n° 11MA00383 ;
- CE, 19 novembre 1997, ministre des Postes et Télécommunications, requête n° 145084 ;
- CAA Paris, 27 mai 1999, requête n° 97PA03167 ;
- CE, 29 avril 1994, requête n° 105401 ;
- CAA Versailles, 22 janvier 2015, requête n° 14VE00826 ;
- CAA Versailles, 20 mai 2014, ministre de l’Intérieur, requête n° 12VE01525 ;
- CE, 16 novembre 1956, Sieur Renaudat ;
- CAA Versailles, 16 décembre 2004, 02VE003301 ;
- CE, 26 juillet 2011, requête n° 343837 ;
- CAA Nancy, 19 mars 2015, requête n° 14NC00166 ;
- CE, 31 mars 2017, requête n° 388109 ;
- CAA Paris, 4 mars 2024, requête n° 22PA03904 ;
- CAA Marseille, 3 avril 2007, requête n° 04MA01459 ;
- CAA Versailles, 22 janvier 2015, requête n° 14VE00826 ;
- CE, 8 mars 2006, requêtes n° 279787 et 281949 ;
- CAA Lyon, 24 avril 2001, requête n° 98LY01255 ;
- CAA Paris, 6 mars 2008, requête n° 05PA02138 ;
- CAA Paris, 23 février 2023, requête n° 21PA03995 ;
- CAA Douai, 17 juillet 2014, requête n° 13DA01777.