Accidents du travail et maladies professionnelles : la France est-elle vraiment mauvaise élève ?

Plusieurs études récentes sur les conditions de travail dans les pays européens ont ciblé la France comme faisant partie des mauvais élèves en Europe en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Selon une publication de l’organisation internationale du travail (OIT) datant de novembre 2023, seuls deux pays, l’Italie et l’Espagne, enregistrent un nombre de décès d’origine professionnelle supérieur à notre pays. Le chiffre de deux morts par jour au travail est régulièrement évoqué et à même fait l’objet de campagnes de communication notamment du Ministère du travail ciblant certains secteurs particulièrement accidentogènes : la construction, l’agriculture, l’industrie manufacturière ou encore le transport. Une situation pointée également par les données Eurostat (Commission européenne) selon lesquelles la France serait le « pire » pays européen en termes de taux d’accident du travail non mortels

Accidents du travail et maladies professionnelles : la France est-elle vraiment mauvaise élève ?
De nombreux accidents de travail recensés en France : système de reconnaissance plus large et strict comparé à d'autres pays européens.

Face à ces constats alarmants qui ont pu avoir un certain écho dans l’opinion publique, un éclairage et une mise en perspective semblent nécessaires. Les comparaisons avec des systèmes de reconnaissance d’accidents du travail et de maladies professionnelles beaucoup plus « resserrés » que le nôtre peuvent parfois laisser un sentiment d’incompréhension et donner une vision éloignée de la réalité.

La France aurait 64 fois plus d’accidents du travail que la Roumanie…

Si l’objectif ici n’est pas de se satisfaire du nombre d’accidents du travail ou de maladies professionnelles constaté en France, qui reste élevé et auquel il faut apporter une réponse forte, il semble nécessaire de recontextualiser et d’apporter quelques nuances lorsque sont effectuées des comparaisons internationales ou au niveau européen.

Pour reprendre les données d’Eurostat évoquées supra, la France aurait donc 64 fois plus d’accidents du travail non mortels que la Roumanie, 40 fois plus que la Bulgarie, 27 fois plus que la Grèce, 2,6 fois plus que l’Italie et 2 fois plus que l’Allemagne. Pour ce qui concerne les accidents mortels au travail, là aussi, les chiffres sont alarmants : la France serait le quatrième « pire » pays européen (à peine mieux que la Roumanie) et aurait 10 fois plus d’accidents mortels que les Pays-Bas, 2,25 fois plus que la Slovaquie ou encore 2,20 fois plus que la Slovénie… Des statistiques qui interpellent.

Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer :

  • Tout d’abord, la France apparaît comme l’un des pays dans lequel la sous-déclaration des accidents du travail et maladie professionnelle reste relativement limitée ;
  • Selon Eurogip1, la France fait partie des pays européens les plus avancés dans la mise en place d’une couverture assurantielle AT/MP, de systèmes de déclaration, de reconnaissance, d’indemnisation, de recueil, de codage ou encore de transmissions des sinistres. Par exemple, un faible nombre de cas de maladies professionnelles reconnus dans tel ou tel pays ne signifie pas nécessairement une meilleure prévention du risque considéré. Le nombre de cas reconnus est bien souvent le reflet de la marge d’appréciation du lien de causalité durant la phase d’instruction. Toujours selon Eurogip, « les autres pays ont incontestablement des pratiques d’instruction nettement plus portées sur une appréciation au cas par cas avec une vérification précise du lien entre la pathologie et l’exposition professionnelle2 ».
  • De manière générale les législations sur la reconnaissance des accidents du travail sont difficilement comparables. Il convient de rappeler qu’en Europe, les questions relatives à l’assurance AT/MP relèvent de la compétence exclusive des États membres. L’Union européenne ne dispose que d’un rôle d’appui et n’a pas compétence pour harmoniser les législations nationales. La France fait partie des pays ayant adopté une des définitions les plus larges. Par exemple, sont considérés comme « accident du travail » tous les accidents se produisant au temps et lieu du travail même sans arrêt de travail, alors qu’en Belgique, au Danemark ou en Espagne il faut au moins 1 jour d’arrêt, c’est même plus de 3 jours en Allemagne et en Italie. Idem lorsque l’on regarde le taux minimum d’incapacité ouvrant un droit à indemnisation : dès 1 % d’incapacité en France et en Belgique, quand il faut entre 10 % et 15 % en Finlande, Suède, Suisse, 20 % en Allemagne et en Autriche ou encore 33 % en Espagne ;
  • En outre, le système français, et c’est une exception au niveau européen, prévoit une « présomption d’imputabilité » de tout accident se déroulant au temps et lieu de travail et ce, sans la nécessité d’apporter une preuve médicale d’un lien de causalité ce qui en facilite la reconnaissance. Résultat, plus de la moitié des décès au travail en France n’ont pas d’origine médicale véritablement identifiée mais depuis une jurisprudence de 2019 ils sont systématiquement pris en compte dans les statistiques de la Branche AT/MP.

Il est important de rappeler également que le taux de sinistralité diminue de manière régulière depuis plusieurs années en France : – 31 % de l’indice de fréquence (nombre d’accidents de travail pour 1 000 travailleurs) entre 1998 et 2021. Une tendance qui semble se confirmer en 2022 alors même que le nombre de salariés s’est accru.

Autre idée reçue : la France indemniserait moins bien ses travailleurs victimes d’AT/MP. Une étude comparative3 des niveaux d’indemnisation menée par 10 pays européens a permis d’établir que pour un sinistre grave, la France à une réparation équivalente à des pays comme la Suède (sans la rigueur que ce pays met dans l’instruction des cas). Par ailleurs, la France se distingue des autres pays puisqu’elle indemnise les très petites incapacités.

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Des efforts à accentuer en matière de formation et de prévention des risques

La question de la prévention en santé au travail est un sujet majeur en France et dans les autres pays européens. Elle se décline globalement selon les mêmes priorités :

  • Les mêmes risques : troubles musculosquelettiques (TMS), chutes de hauteur et plain-pied, risque chimique, risques psycho-sociaux (RPS)…
  • Le même ciblage de bénéficiaires (les plus exposés) : intérimaires, jeunes travailleurs, nouveaux embauchés, travailleurs des plateformes, travailleurs étrangers, télétravailleurs ou encore les travailleurs plus âgés ;
  • Un focus sur les TPE-PME ;
  • Une attention particulière sur les secteurs professionnels les plus à risques : construction, secteur des soins, secteur social, transport…

La France semble cependant moins avancée que ses voisins sur la mise en œuvre de plans de prévention au niveau national :

  • L’Italie, l’Allemagne et la Suisse par exemple mènent des campagnes de communication d’envergure, pour faire connaitre leurs activités de prévention, d’assurance, de recherche et renforcer la culture de la prévention en général dans le grand public, les salariés mais aussi les plus jeunes. La France pâtit a contrario d’un manque de visibilité de ces actions en faveur de la prévention des AT/MP, notamment du fait d’une confusion fréquente avec l’assurance maladie ;
  • Les mêmes pays apportent une attention particulière aux populations les plus jeunes (dès la formation scolaire ou universitaire) avec des actions de communication ou de formation ciblée. C’est moins vrai en France ;
  • Plusieurs pays (Italie, Allemagne ou encore Luxembourg) prévoient des dépenses (aides directes aux entreprises) conséquentes pour l’investissement en prévention. La France s’est plus tardivement emparée du sujet mais commence à engager des budgets plus conséquents via la branche AT/MP ;
  • D’autres dispositifs ont fait leur preuve : élaboration et diffusion de « kits complets » gratuits à destination des entreprises – en particulier les plus petites – pour les assister : sur l’adaptation du processus de travail et du lieu de travail, sur la protection individuelle du salarié et la connaissance de toutes les règles réglementations et normes liées à la santé et à la sécurité au travail.

Au niveau de la réglementation européenne, des projets sont en cours de lancement pour renforcer la prévention des risques. On peut citer notamment :

  • Les projets de « règlement machines » et « IA » qui traitent notamment des sujets de sécurité liés à l’intelligence artificielle (IA) et la cybersécurité ;
  • Le projet de directive concernant les travailleurs des plateformes, qui prévoit une présomption de salariat avec des conséquences pour ce public en matière d’assurance AT/MP ;
  • D’autres travaux en cours sur les risques psycho-sociaux ou encore le numérique au travail.

L’Union européenne doit pouvoir jouer un rôle levier majeur pour permettre aux pays, et notamment ceux qui sont le moins avancés, de renforcer leurs actions en matière de prévention. Les enjeux sont considérables notamment face aux nouveaux risques auxquels peuvent être exposés les travailleurs, et au regard du coût très élevé des dépenses en matière de réparation des AT/MP…


Références :

1. EUROGIP est un observatoire et un centre de ressources sur les questions relatives à l’assurance et à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT/MP) au plan international, et notamment européen.

2. Travaux commandés lors de la concertation branche AT/MP, octobre 2022

3. EUROGIP, décembre 2010

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