Partager la publication "Le « barème Macron » : un « serpent de mer juridique » qui a créé de l’incertitude au lieu de procurer de la prévisibilité"
I. Constat : les rapports se succèdent pour rendre compte de cet imbroglio
Pour éclairer le débat sur le « serpent de mer juridique » qu’est devenu le barème Macron, « France Stratégie », successeur du « Commissariat général au Plan », a dressé plusieurs bilans des ordonnances du 22 septembre 2017.
A noter : |
Tout récemment, le 20 juillet 2023, « France Stratégie » a annoncé le lancement d’un « Appel à projets de recherche » sur le thème suivant : « Évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 : quel impact des nouvelles règles régissant les relations individuelles de travail et la rupture des contrats de travail sur l’emploi ? ».
Le comité d’évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 portant sur le renforcement du dialogue social s’était déjà réuni, le 6 janvier 2023, pour clore ses travaux.
II. Tendance : diminution des indemnités pour les licenciements « sans cause réelle et sérieuse »
En substance, il apparaît que la limitation du montant des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse [demandées en justice par les salariés] est bien advenue, même si la diminution ne semble pas gigantesque.
En effet, les auteurs de l’étude « Évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 : quel impact des nouvelles règles régissant les relations individuelles de travail et la rupture des contrats de travail sur l’emploi ? » ont calculé que les indemnités de licenciement sont « passées de 7,9 à 6,6 mois de salaire » et que la médiane est « passée de 6,5 mois à 6 mois ».
Pour mémoire, on rappellera que le barème Macron se subdivise en deux :
- un barème des indemnités prud’homales dans les entreprises de moins de 11 salariés ;
- un barème des indemnités prud’homales dans les entreprises de 11 salariés ou plus.
A chaque fois, il y a des montants maximaux et minimaux.
Le barème s’applique aux contentieux concernant les licenciements prononcés depuis le 24 septembre 2017.
Pour prendre un exemple chiffré, si un salarié a 4 ans d’ancienneté, l’indemnité minimale est de :
- 1 mois de salaire si l’entreprise a moins de 11 salariés ;
- 3 mois de salaire si l’entreprise a 11 salariés ou plus.
Concernant l’indemnité maximale, elle est dans les deux cas (moins ou plus de 11 salariés) de 5 mois de salaire.
Un deuxième exemple chiffré permet de prendre la mesure du faible niveau d’indemnisation.
Si un salarié a 10 ans d’ancienneté, l’indemnité minimale est de :
- 2,5 mois de salaire si l’entreprise a moins de 11 salariés ;
- 3 mois de salaire si l’entreprise a 11 salariés ou plus.
Pour ce qui est de l’indemnité maximale, elle est dans les deux cas (moins ou plus de 11 salariés) de 10 mois de salaire.
Dans les deux hypothèses, l’on est frappé par la faiblesse de l’indemnisation minimale.
L’indemnisation maximale apparaît, pour le coup, moins rude pour le salarié licencié.
Le juge peut aussi prononcer la « réintégration » du salarié, mais si celui-ci ou bien si l’employeur refuse cette solution, le barème est applicable.
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III. Résistance des juges du fond : analyse d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris
Les commentaires d’arrêt ont très fréquemment relevé qu’il n’y a pas d’unité de la jurisprudence sur le territoire national car plusieurs CPH et des cours d’appel écartent le barème Macron et s’opposent par là-même à la position de la Cour de cassation.
Un arrêt de la Cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 11, n° 19/08721) du 16 mars 2021 montre bien la différence d’analyse entre certains juges du fond et la Cour de cassation quant à la question centrale de l’appréciation « in concreto » de la situation du salarié licencié.
En l’espèce, la cour a écarté le barème d’indemnisation prévu par l’article L. 1235-3 du Code du travail.
Elle l’a considéré contraire :
- à l’article 10 de la « Convention n° 158 » de l’« Organisation internationale du travail » [OIT] ;
- et à l’article 24 de la « Charte sociale européenne » du Conseil de l’Europe [qui n’est pas une institution de l’Union européenne].
Selon l’article 10 précité, qui est d’application directe en droit interne :
« Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».
En l’occurrence, la motivation de l’arrêt mentionne que la Cour d’appel de Paris a pris en compte le préjudice financier et moral subi par la justiciable après près de 4 ans dans l’entreprise.
Dans ses conclusions, la salariée a produit les diverses candidatures qu’elle a présentées en vue de retrouver un emploi.
Elle a justifié avoir été prise en charge par « Pôle Emploi » jusqu’au mois d’août 2019.
Elle a indiqué que sa perte de revenus subie entre son licenciement en septembre 2017 et août 2019 s’est élevée en moyenne à près de 1.500 euros par mois.
Sur l’ensemble de la période considérée, cela correspond à plus de 32.000 euros.
Or, avec l’application du barème, eu égard à une ancienneté inférieure à 4 ans et à la taille de l’entreprise de 17 salariés, l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse se serait élevée à une somme comprise entre 3 et 4 mois de salaire soit, sur la base d’un salaire moyen de 4.403,75 euros bruts, une indemnité allant de 13.211,25 à 17.615 euros.
Cette somme représente à peine la moitié du préjudice subi en termes de diminution des ressources financières depuis le licenciement.
En conséquence, pour la Cour d’appel de Paris, compte tenu de la situation concrète et particulière de la salariée, âgée de 53 ans à la date de la rupture et de 56 ans au jour de l’arrêt, les montants prévus par l’article L. 1235-3 ne permettent pas une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi.
En ce sens, l’indemnisation n’est pas compatible avec les exigences de l’article 10 de la convention précitée. La cour écarte donc le barème.
Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, la Cour d’appel de Paris a alloué à la salariée licenciée la somme de 32.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A la lumière de cet arrêt, l’on mesure de façon tangible l’effet du refus d’appliquer le barème puisque la salariée a perçu grosso modo le double de ce que l’article L. 1235-3 du Code du travail lui aurait permis de toucher.
IV. Peut-on sortir de l’impasse ?
Afin de donner la mesure du tournis et de la confusion qui saisit le juriste de droit social face à un licenciement sans cause réelle et sérieuse porté devant le juge, l’on mentionnera quelques arrêts et décisions qui, de part et d’autre, sont venus alimenter la chronique juridique et les commentaires doctrinaux.
A. En faveur du barème
- Cass. soc., 1er févr. 2023, n° 21-21.011
- Cass. soc., 11 mai 2022, n° 21-15.247 et n° 21-14.490
- Cass. ass. plén., 17 juill. 2019 (sachant que c’était la première fois que la Cour de cassation, réunie en formation plénière, acceptait de rendre un avis sur la conformité de textes du Code du travail aux traités et conventions ratifiées par la France, car précédemment elle renvoyait cette question aux juges du fond)
- pour ce qui est de la Charte sociale européenne, elle considère ce qui suit : « Eu égard à l’importance de la marge d’appréciation laissée aux parties contractantes par les termes précités de la Charte sociale européenne révisée (…) les dispositions de l’article 24 ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers ».
- pour ce qui concerne l’article 10 de la Convention n° 158, la Cour de cassation le considère comme étant d’application directe en droit interne, mais indique que le terme « adéquat » accolé au mot indemnisation laisse une marge d’appréciation aux Etats.
- Circulaire du ministère de la Justice du 26 février 2019 adressée aux procureurs généraux près les cours d’appel afin de leur demander de veiller à l’application du barème
- CPH Tours, 29 janv. 2019, n° 18/00396
- CPH Le Havre, 15 janv. 2019, n° 18/00318
- CPH Le Mans, 26 sept. 2018, n° 17/00538
- Décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2018 (n° 2018-761 DC)
- Décision du Conseil d’Etat du 7 décembre 2017 (Req. n° 415243)
Dans ce contentieux, le droit européen et international n’avait pas été évoqué devant la cour d’appel, ce qui fait que la Cour de cassation n’a pas eu à revenir sur son appréciation de l’article 10 de la Convention n° 158 et de l’article 24 de la Charte sociale européenne.
Pour casser l’arrêt d’appel, la Cour de cassation s’est contentée d’appliquer les chiffres du barème Macron.
La salariée avait obtenu l’équivalent de 11 mois de salaire là où le barème prévoyait une indemnisation comprise entre 3 et 6 mois de salaire.
Dans cet avis, la Cour de cassation opère une distinction entre l’article 24 de la Charte sociale européenne et l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT :
B. En opposition au barème
- Comité européen des droits sociaux [CEDS], 5 juill. 2022 (mais décision publiée le 30 nov. 2022), déc. n° 175/2019, Syndicat CFDT de la métallurgie de la Meuse c/ France
- CA Douai, 21 oct. 2022, n° 1736/22
- CA Paris, 16 mars 2021, n° 19/08721
- CPH Lyon, 21 déc. 2018, n° 18/01238
- CPH Amiens, 19 déc. 2018, n° 18/00040
- CPH Troyes, 13 déc. 2018, n° 18/00036
le CEDS a considéré que le barème Macron viole la Charte sociale européenne en matière d’indemnisation adéquate. Cependant, les décisions du CEDS n’ont pas d’effet juridique contraignant.
C. Une incertitude problématique et durable
Dès lors, la vérité oblige à dire que l’on voit mal comment l’on pourrait sortir de la présente situation.
En effet, hormis un changement de majorité parlementaire et l’abrogation du barème Macron, il y a tout lieu de penser que l’incertitude va se poursuivre.
Une autre solution, également fort peu probable au regard des décisions citées ci-dessus, serait que la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence et déclare le barème Macron contraire aux textes internationaux et européens.
Une troisième solution serait que certains juges du fond cessent de faire de la résistance mais tel n’est pas le cas et la fronde perdure dans le temps, y compris après les deux arrêts importants de la Cour de cassation du 11 mai 2022.