Mobilité géographique des salariés, jusqu’où peut-on aller ?

Selon la nature de l’activité économique, l’évolution des besoins de l’entreprise, la nature des fonctions ou le niveau de responsabilités des salariés, l’employeur peut souhaiter une certaine mobilité géographique de ces derniers.

La mobilité géographique d’un salarié au sein de l’entreprise est son changement de lieu d’activité professionnelle, à son initiative ou à celle de son employeur.

Le Code du travail est muet en ce qui concerne la mobilité géographique des salariés. Il n’en donne pas de définition ni ne l’encadre. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation qui en a validé le principe et en a fixé les contours pour protéger les droits des salariés.

En effet, la mobilité géographique d’un salarié au sein de son entreprise n’est pas infinie : il ne peut pas être muté à l’autre bout du monde, du jour au lendemain, au bon vouloir de l’employeur. La mobilité géographique des salariés est encadrée et doit respecter certaines conditions.

Que peuvent demander le salarié et l’employeur en matière de mobilité géographique ? À quelles conditions ? Quels sont les droits respectifs de l’employeur et du salarié ?

 

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Mobilité géographique des salariés, jusqu’où peut-on aller ?
Nous vous proposons un état des lieux de cette mobilité géographique des salariés à travers 6 questions et leurs réponses.

Le salarié peut-il décider de déménager loin de son lieu de travail ou à l’étranger ?

Juridiquement, aucune disposition légale ne vient limiter la liberté de fixation de son domicile par le salarié.

Au contraire, le choix du lieu de résidence entre dans le cadre de la vie privée et il est protégé par l’article 8 de la Cour européenne des droits de l’Homme. Par ailleurs, la jurisprudence, abondante en la matière, rappelle constamment, en s’appuyant sur l’article L.1121-1 du Code du travail, que « toute personne dispose de la liberté de choisir son domicile ».

Néanmoins, l’étendue de la liberté de fixation dont bénéficie le salarié semble remise en cause par les nombreux enjeux, notamment juridiques, que représente pour l’employeur un lieu de domicile éloigné du siège social ou de l’établissement.

D’une part, si l’employeur ne peut pas, en principe, imposer au salarié le lieu de son domicile ni le contraindre à en changer, sous peine de contrevenir au droit à la vie privée et familiale, un changement de domicile, éloigné du lieu de travail habituel, décidé unilatéralement par le salarié, revient à imposer une situation de travail ou de télétravail à l’employeur, en contradiction avec le principe selon lequel, sauf force majeure, il est nécessaire d’avoir l’accord des deux parties pour avoir recours au télétravail.

D’autre part, parmi les enjeux juridiques, nous retiendrons aussi l’obligation de santé et de sécurité de l’employeur à l’égard de ses salariés, énoncée par l’article L.4121-1 du Code du travail, qui peut empêcher un salarié de s’installer trop loin du siège social de l’entreprise.

En effet, dans un arrêt du 10 mars 2023, la Cour d’appel de Versailles a validé le licenciement pour cause réelle et sérieuse d’un salarié qui avait fait le choix d’aller vivre en Bretagne, à 450 kms de son lieu de travail situé en région parisienne, malgré le désaccord de son employeur, le mettant ainsi dans l’incapacité d’assurer son obligation en matière de santé et de sécurité en raison de l’éloignement du salarié et des déplacements professionnels induits par ce déménagement.

Un employeur serait donc en droit, en application de l’obligation de sécurité, de licencier un salarié ayant fait le choix de déménager trop loin de son lieu de travail.

Le salarié peut-il demander un changement de lieu de travail ?

Pour des raisons personnelles ou professionnelles (mobilité familiale, séparation, mutation du conjoint…), un salarié peut être amené à demander à son employeur une mobilité géographique au sein de son entreprise.

À défaut de poste vacant dans une autre ville, le salarié peut également demander à exercer ses fonctions ailleurs, en télétravail.

L’employeur n’est pas contraint de faire droit à la demande de mobilité géographique du salarié et il a tout à fait le droit de refuser une demande de mutation, s’il justifie sa décision par des raisons objectives et non fondées sur des motifs discriminatoires.

L’employeur peut-il imposer au salarié de changer de lieu de travail ?

Le contrat de travail spécifie le lieu de travail du salarié. Or, le lieu de travail constitue un des éléments substantiels du contrat de travail. À ce titre, lorsque l’employeur souhaite modifier le lieu de travail, il doit obligatoirement obtenir, au préalable, l’accord du salarié.

Cependant, il existe des cas dans lesquels l’employeur peut imposer au salarié un changement de lieu de travail.

Il s’agit des 4 cas suivants.

Le changement s’effectue dans le même secteur géographique que celui prévu au contrat de travail

Dans ce cas, il s’agit d’une simple modification des conditions de travail du salarié et son accord n’est donc pas nécessaire.

La notion de secteur géographique n’est pas strictement déterminée. Elle concerne souvent le bassin d’emploi.

En cas de litige, les juges apprécient au cas par cas en fonction d’éléments objectifs tels que la distance entre les deux établissements, l’accès aux transports collectifs ou l’allongement de la durée de temps de trajet

Le salarié a signé une clause de mobilité 

Lorsque la mutation se fait en dehors du secteur géographique, le droit, pour le salarié, de refuser ou non une demande d’affectation est lié à la présence ou non d’une clause de mobilité dans son contrat de travail ou dans la convention collective applicable dans l’entreprise.

La clause de mobilité est une clause par laquelle le salarié accepte à l’avance que son lieu de travail puisse être changé au cours de son contrat de travail. Elle doit préciser la zone géographique au sein de laquelle la mutation peut avoir lieu.

Un refus du salarié constituerait un manquement à ses obligations contractuelles, et s’analyserait comme une faute pouvant justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse

En l’absence de clause de mobilité

Il y a modification du contrat de travail. Le salarié peut refuser l’affectation dans un autre secteur géographique sans faire l’objet d’une sanction disciplinaire et tout licenciement fondé sur ce refus serait sans cause réelle et sérieuse.

L’entreprise a signé un accord de performance collective 

Conformément à l’article L.2254-2 du Code du travail, « les stipulations de l’accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise. »

L’accord de performance collective prime donc sur le contrat de travail individuel. Il entraîne la modification du contrat de travail des salariés et permet de faciliter la mobilité géographique des salariés au sein de l’entreprise

Chaque salarié concerné peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l’accord collectif : il a alors un mois à compter de l’information de l’employeur pour lui notifier ce refus.

L’employeur dispose dans ce cas d’un délai de deux mois pour engager une procédure de licenciement.

Ce licenciement sera fondé sur un motif spécifique, représentant une cause réelle et sérieuse.

Le salarié est considéré comme ayant accepté la modification s’il n’a pas répondu dans le délai.

La mutation est motivée par l’intérêt économique de l’entreprise et justifiée par des circonstances exceptionnelles.

Afin de sauvegarder au maximum l’emploi de ses salariés, un employeur, peut être amené à leur proposer, dans le cadre de son obligation de reclassement, des postes impliquant une modification du lieu de travail.

Dans ce cas, le refus du salarié peut entraîner son licenciement non pas parce que son refus constituerait un manquement, mais en raison du motif économique ayant conduit l’employeur à lui proposer une telle mutation.

Quelles sont les conditions de validité d’une clause de mobilité ?

La clause de mobilité peut s’avérer très contraignante pour un salarié, puisqu’elle peut l’obliger à déménager, à se séparer temporairement de sa famille, etc.

C’est pourquoi, pour protéger le salarié et son emploi, des conditions restrictives s’imposent pour l’application de cette clause.

Une définition précise des lieux

La clause doit mentionner explicitement les lieux où le salarié est susceptible d’être affecté (établissement par établissement). Lorsque l’affectation du salarié se fait au sein d’un établissement non mentionné dans la clause (établissement créé après l’embauche par exemple), le salarié est en droit de refuser cette affectation sans que cela ne constitue une faute de sa part.

L’employeur ne peut pas unilatéralement changer le secteur géographique délimité dans la clause. Cela serait considéré comme une modification du contrat de travail pour laquelle l’accord du salarié est nécessaire.

Une mutation justifiée par un besoin objectif de l’entreprise

La mutation du salarié doit être motivée par l’intérêt de l’entreprise et son bon fonctionnement : par exemple, pour répondre à l’augmentation de la charge de travail dans un autre établissement inclus dans la zone géographique.

L’employeur doit pouvoir le prouver et, en aucun cas, il n’a le droit d’insérer cette clause pour des motifs discriminatoires tels que la santé du salarié.

Le respect d’un délai de prévenance raisonnable

L’entreprise doit prévenir suffisamment à l’avance le salarié pour que celui-ci puisse organiser son départ. Le délai sera apprécié au cas par cas par les juges compte tenu de la zone d’affectation et de la situation familiale du salarié.

L’atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale du salarié

La clause de mobilité ne doit pas porter une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit à la vie privée et familiale du salarié.

En présence d’une telle atteinte, elle doit être justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

La clause de mobilité peut être :

  • Prévue dès l’embauche.
  • Insérée après l’intégration du salarié par avenant au contrat de travail après accord exprès du salarié.
  • Prévue par la convention collective applicable à l’entreprise à condition que le salarié en soit informé. Si la convention collective est devenue applicable après l’embauche du salarié, la clause de mobilité qui y figure ne peut pas lui être imposée. Il faut son accord et la signature d’un avenant au contrat de travail.

Enfin, la clause peut prévoir une prime de mobilité géographique pour aider le salarié à financièrement absorber ce qu’un déménagement inclut ainsi qu’un accompagnement personnalisé (recherche d’un logement, choix d’une entreprise de déménagement…) du salarié dans la gestion de ce changement de vie.

Dans quels cas, le salarié peut-il refuser d’être muté géographiquement ?

Il existe un certain nombre de cas dans lesquels le salarié peut refuser une mobilité géographique, sans que son refus ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Les cas concernés sont les suivants :

  • Le changement de lieu intervient en dehors du secteur géographique et le contrat de travail ne prévoit pas de clause de mobilité. La mutation est alors considérée comme une modification d’un élément essentiel du contrat de travail et requiert l’accord du salarié. Le refus du salarié ne constitue donc pas un motif de licenciement. Si l’employeur licencie un salarié qui refuse une modification de son contrat de travail, ce dernier peut saisir le conseil des prud’hommes afin que son licenciement soit considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.
  • La mutation modifie un élément essentiel du contrat (par exemple : baisse de la rémunération, passage d’un horaire de nuit à un horaire de jour ou d’un horaire de jour à un horaire de nuit).
  • La clause de mobilité est prévue par la convention collective et le salarié n’a pas été informé de son existence lors de son embauche. Elle ne lui est donc pas applicable.
  • Le salarié n’a pas consenti à la clause, car elle résulte d’une convention collective postérieure à son embauche et n’a pas fait l’objet d’un avenant au contrat.
  • La clause est abusive : la zone géographique n’est pas ou mal définie ou l’employeur l’a modifiée unilatéralement.
  • L’employeur prévient le salarié dans un délai trop court (variable en fonction des circonstances).
  • La clause est invoquée pour de mauvaises raisons : discrimination ou rétorsion.
  • La mise en œuvre de la clause porte une atteinte injustifiée et disproportionnée à la vie privée et familiale du salarié : par exemple, si la mutation entraîne des modifications de ses heures de travail incompatibles avec ses obligations familiales. Dans un tel cas, l’employeur doit démontrer que sa décision est justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

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Quel est le régime applicable au salarié protégé ?

Lorsque le salarié est un salarié protégé, aucune modification de ses conditions de travail ne peut lui être imposée. Toute mutation doit donc être acceptée, même si le changement de lieu de travail s’effectue dans le même secteur géographique.

Si le salarié protégé refuse une mutation, l’employeur peut renoncer à la modification ou solliciter l’accord de l’inspecteur du travail afin de le licencier.

À noter : le licenciement ne peut pas être motivé par le refus du salarié protégé. Il doit être motivé par la raison ayant conduit l’employeur à proposer la mutation dès lors qu’elle constitue un motif de licenciement : faute, difficultés économiques,..

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