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Auteur du livre « L’évaluation professionnelle : pour une pratique humaine et responsable », Stéphane Lhermie est co-fondateur et associé d’un cabinet de conseil en ressources humaines. Au cours de cette interview, il revient sur les notions de subjectivité et d’objectivité associées au processus d’évaluation, et nous livre son point de vue sur la nécessaire évolution des pratiques d’évaluation.
Comment décririez-vous la culture de l’évaluation en France ?
Globalement, il me semble que le terme de subjectivité corresponde assez bien à notre culture d’évaluation. Elle s’est davantage construite sur la perception, parfois l’a priori, en tout cas souvent par rapport à des référents, des images pré-établies, véhiculées, entretenues.
C’est aussi lié à notre culture collective dans laquelle l’image est une notion très ancrée, soutenue notamment par l’importance du statut, censé valoriser l’individu par sa fonction davantage que par son comportement et ses actes.
L’image et le statut sont des éléments potentiellement identiques à un certain nombre de personnes. L’évaluation est alors liée à cette image collective, une généralité de groupe, selon des éléments supposés communs entre l’individu et le groupe. Cela laisse peu de place à la reconnaissance d’une réalité individuelle.
Cette subjectivité est également alimentée par la faiblesse de la structure d’évaluation, en tant que compétence. Cela se traduit par « j’aime/je n’aime pas, il/elle ressemble à, il/elle a l’air de, il/elle est comme ou pas comme moi, comme ou pas comme ce que je connais… ». Une culture du ressenti et de l’ego, qui, à l’excès, ne sont plus en lien avec l’enjeu professionnel, ou autre, d’une manière générale.
Deux éléments pourraient sembler apporter davantage de rationalité dans l’évaluation, mais pas forcément d’objectivité, thème qui est abordé dans le chapitre « L’objectivité » de mon livre « L’évaluation professionnelle » : le repérage de compétences et le recours à l‘outil d’évaluation, et parfois à sa surutilisation. Le premier n’intègre pas les modes de fonctionnement professionnels individualisés, le deuxième peut désengager l’évaluateur de la relation de l’évaluation, et peut-même servir de caution supposée objective à une réponse négative.
L’objectivité de l’outil est avant tout liée à l’objectivité de son utilisateur.
Je reste convaincu que le besoin du marché est aujourd’hui, et ce de manière plus forte par rapport aux nécessités internationales, à l’évaluation de la mise en œuvre des compétences, et donc de leur individualisation. Cela passe notamment par davantage de compétences en évaluation, mais aussi par une posture la plus objective possible de l’évaluateur, et par le développement de la responsabilité dans la relation.
Avons-nous une approche si différente d’autres pays ?
Elle est particulière car liée à notre culture, à des éléments historiques et structurels, transmis. D’autres partagent aussi certains éléments de subjectivité. Notre approche est en tout cas particulière par rapport à des cultures anglo-saxonnes ou saxonnes. Celles-ci, sans les idéaliser, sont davantage marquées par un certain pragmatisme, un réalisme de situation, une objectivité.
Cela leur confère, globalement, une approche plus en lien avec la réalité des situations, des individus, ainsi qu’une capacité de faire face, de comprendre la nécessité d’une situation. La notion de statut existe aussi, mais est moins dépendantes d’éléments d’image, construits et indépendants des qualités individuelles. Les pays d’Europe du Nord illustrent aussi cette caractéristique.
Cette relation au réel permet d’accéder à la réalité individuelle, à la capacité d’apport, de performance, de polyvalence, d’adaptation de l’individu. Cette approche développe la notion de responsabilisation, et aussi d’autonomie.
Notre culture institutionnelle a construit une culture du contrôle relativement forte sur les individus, par le rôle de l’Etat Providence, par la culture d’administration et la surabondance de règlementations. Cet état est censé apporter une solution à tout et à chacun, en exerçant ce contrôle par l’argent qu’elle accorde, et prend aussi, sous différentes formes. Cela n’aide pas à développer collectivement l’autonomie, l’initiative, la prise de risque, l’intégration du changement et le sens de la responsabilisation, mais davantage la dépendance, la protection, l’acquis, le statut, l’image. Ce sont des thèmes que j’explore dans la première partie, « Transmission collective – Une relation sous influence » – de « L’évaluation professionnelle », pour comprendre ces influences collectives, et les faire évoluer par des pratiques individuelles et professionnelles plus objectives.
Cela se retrouve dans les mécanismes du marché de l’emploi, et de la place de l’individu sur ce marché, notamment en termes d’intégration et de mobilité.
Une certaine pratique de l’évaluation ne fait que diffuser et entretenir cette culture de la généralité de l’image, du statut et de la reproduction. Heureusement, d’autres pratiques plus objectives participent à la faire évoluer.
Quelles mutations voyez-vous aujourd’hui sur le marché ?
Les besoins du marché actuel, celui qui est en mouvement, donc de certaines entreprises, sont de plus en plus tournés vers l’individualisation, la nécessité de repérer l’initiative, la capacité de proposer une solution, un projet, de se responsabiliser, de se différencier par une expression individuelle professionnelle, que ce soit en recrutement ou en mobilité interne, ou même en poste.
C’est peut-être l’influence des échanges internationaux, des cultures managériales qui circulent avec la mobilité professionnelle géographique, des entreprises internationales présentes en France, des entreprises françaises présentes à l’étranger…de la mobilité.
Les « mutations » générées depuis 2008 semblent d’ailleurs accélérer ce mouvement vers l’individualisation dans l’évaluation professionnelle, et dans les attentes de certaines entreprises vis-à-vis de leurs collaborateurs : s’exposer davantage, proposer, accompagner le changement, remettre en question ses référents, mettre en œuvre les compétences avec les autres, les partager, les diffuser, les transmettre…
La valeur de la nécessité de marché s’impose comme facteur de changement pour continuer à s’inscrire selon les codes professionnels et de business internationaux, et moins franco-français.
L’enjeu est aussi à titre individuel, comme collectif, d’aller vers les autres, leurs modes de fonctionnement, cultures, selon l’intégration de leurs codes, plus que considérer que c’est aux autres de venir vers nous, selon nos codes et valeurs.
Il me semble important, de considérer les étapes de développement économique et social différenciées selon les pays ou zones, en acceptant ces différences si nous souhaitons nous inscrire dans ce marché en mouvement. Nous ne sommes pas le repère universel en matière de pratiques business, ou de tout ordre d’ailleurs, même si nous avons de nombreux atouts.
A titre individuel, comme encore une fois à titre collectif, il s’agit donc d’être aujourd’hui capables d’exposer les talents face à ceux des autres, en trouvant un mode de fonctionnement qui permette à chacun d’exprimer son individualité, tout en travaillant et bâtissant de manière collective.
C’est certainement vers une culture de confiance que nous devons nous inscrire, et permettre à chaque collaborateur ou candidat, d’exprimer sa vision de ses atouts et sa façon de les intégrer dans le groupe, l’entreprise, le marché.
L’entreprise et le marché font d’une certaine manière bouger ce que l’Institution tente de conserver et de protéger. Effort à poursuivre, pour dépasser la pesanteur institutionnelle et créer les conditions concrètes de responsabilisation et d’autonomie individuelle, pour engranger de l’efficacité individuelle et collective.
Croyez-vous en notre capacité d’adaptation ?
J’y crois bien sûr, et je ne peux m’empêcher d’avoir confiance dans les talents individuels, dans la capacité d’évolution, dans l’entreprise et le monde professionnel d’une manière générale.
C’est d’ailleurs assez difficile de s’inscrire dans cette confiance quand la culture collective et institutionnelle ne propose pas de nouveau projet, ne construit pas de nouveaux modèles, et n’apporte aucune visibilité. C’est aussi difficile d’exprimer une confiance dans les atouts de l’entreprise quand cette même entreprise se restructure, se réorganise et occasionne des dégâts sociaux, des situations individuelles complexes et dures.
Mais c’est aussi parce que nous sommes en quelque sorte dépourvu de vision stratégique et collective, qu’il faut avancer et continuer de croire en cette capacité d’adaptation et d’évolution des individus, des structures et organisations professionnelles.
C’est aussi la confiance qui permet de générer des projets, de la création, des décisions favorables à l’activité.
Nous avons autant de blocages collectifs que d’énergies individuelles. C’est à ceux qui sont en capacité de décision, chacun dans son univers, de provoquer la mobilité. Prenons le domaine immobilier, qui cristallise assez bien les comportements de sécurité, parfois figés : c’est accorder un prêt immobilier plutôt que le refuser, accepter d’adapter le prix de son bien au marché et pas à son besoin (vendre plutôt que mettre en vente), accepter de diminuer une commission pour aboutir, accepter de faire une offre en lien avec le produit et le marché (acheter plutôt que chercher à acheter).
Chaque jour il se passe des exemples d’initiatives individuelles positives, il y a des entreprises qui gagnent des marchés, des contrats, qui recrutent…Observez, soyez à l’écoute du simple geste, de la réussite, du succès.
Plus qu’une question de capacité d’adaptation, c’est selon moi une nécessité de visibilité de cette adaptation, de la bonne pratique, du mouvement, de l’autonomie. Ce thème de la visibilité de la bonne pratique est d’ailleurs au cœur de la conclusion de « L’évaluation professionnelle ». Il en va de l’existence de référents collectifs plus positifs, moteurs de l’énergie individuelle, qui, à défaut de se communiquer, de s’exposer, risquerait d’encourager encore davantage ceux qui l’animent, la mettent en œuvre, ou la cherche simplement, à partir la trouver ou l’exprimer ailleurs, là où elle est davantage ancrée, active et visible.