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Différence entre retrait et abrogation
Le retrait consiste à faire disparaître rétroactivement un acte de l’ordonnancement juridique. Il produit donc des effets identiques à une annulation prononcée par le juge, la seule différence étant que le retrait résulte du fait de l’administration ; en revanche, l’abrogation consiste à faire disparaître pour l’avenir, seulement, un acte de l’ordonnancement juridique.
Actes créateurs de droits et actes non créateurs de droits
En principe, tant qu’il respecte la légalité, une autorité administrative dispose d’une large marge de manœuvre pour prendre et modifier les actes unilatéraux qu’il produit.
Ainsi, à tout moment, il peut modifier ou abroger un acte à caractère réglementaire (1) ou encore décider de l’affectation d’un fonctionnaire, sur demande ou d’office. Ce pouvoir de modification n’est pas sans inconvénient pour les agents. C’est pourquoi le juge administratif distingue parmi les actes administratifs ceux qui sont « créateurs de droits » des autres.
Si l’acte est créateur de droit, ces droits sont susceptibles d’être acquis : au bout d’un certain temps, ils ne pourront plus être remis en cause.
Au contraire, si l’acte est non créateur de droits, il pourra plus largement être remis en cause par l’administration, sous certaines conditions précisées par le code des relations entre le public et l’administration (CRPA).
L’apport de la jurisprudence du Conseil d’État
Par sa décision d’assemblée du 26 octobre 2001 (2), le Conseil d’État a jugé que l’administration ne peut plus modifier une décision créatrice de droits légale et qu’elle n’a que quatre mois pour retirer ou abroger une décision créatrice de droits illégale (pour la remplacer ou non par une autre décision). Ce délai court à compter de la signature de la décision par l’administration et non de sa notification à l’intéressé (3). Passé ce délai, seule une annulation par le juge, saisi dans le délai de recours contentieux par un tiers, est susceptible de remettre en cause un acte créateur de droit.
Les précisions apportées par le CRPA
Les articles L. 242-1 et L. 242-2 du CRPA codifient cette jurisprudence, tout en la précisant. Ainsi, lorsque l’administration retire illégalement un acte créateur de droits et que ce retrait est annulé par le juge, elle ne dispose pas d’un nouveau délai de quatre mois pour retirer l’acte. En revanche, lorsque l’acte avait été retiré avant l’expiration du délai de recours contentieux (qui est en principe de deux mois), les tiers disposent d’un nouveau délai de recours pour l’attaquer, ce délai ne courant qu’à compter du jour où une publicité adéquate de ce rétablissement de l’acte initial a été assurée.
Le respect des droits de la défense et la motivation du retrait ou de l’abrogation
Une décision d’abrogation ou de retrait d’un acte créateur de droits ne peut intervenir qu’après respect des droits de la défense, (4). En effet, de nombreuses décisions de retrait sont annulées faute d’échanges contradictoires préalables avec l’intéressé, ce qui ferme ensuite à l’administration toute possibilité de retrait, y compris si la décision était bien illégale. En outre, une décision d’abrogation ou de retrait d’un acte créateur de droits doit également être motivée (5).
Les cas où le délai de quatre mois peut être dépassé
Il ne peut être dépassé que dans quatre hypothèses :
- En premier lieu, en cas de fraude (6) : dans cette hypothèse, l’acte peut être retiré ou abrogé à tout moment ;
- En outre, un acte peut être créateur de droits tout en étant subordonné au maintien d’une condition (7). Ainsi, tout en étant créateur de droits, l’acte peut être abrogé lorsque la condition n’est plus remplie. Il ne peut, en revanche, être retiré après le délai de quatre mois, même s’il est illégal. Cependant, tous les actes ayant des effets prolongés dans le temps ne sont pas de cette nature. Ainsi un classement indiciaire irrégulier, qui produit des effets sur le traitement pendant toute la durée où l’agent reste dans l’échelon correspondant et qui se répercute sur tous les classements statutaires postérieurs, ne peut plus être retiré après quatre mois. Ces règles doivent, de plus, se combiner avec les règles spéciales de répétition de l’indu en matière de rémunération des agents publics ;
- Par ailleurs, ce délai de quatre mois ne concerne que le retrait ou l’abrogation à l’initiative de l’autorité administrative ou d’un tiers. Le bénéficiaire de la décision peut toujours demander la remise en cause d’une décision créatrice de droits pour qu’une autre plus favorable lui soit substituée (8). L’administration peut faire droit à cette demande si elle n’est pas susceptible de porter atteinte aux droits de tiers.
- Enfin, l’intervention du juge peut conduire l’administration à pouvoir retirer des actes plus de quatre mois après leur signature. Il en va notamment ainsi lorsque l’intervention du juge des référés conduit l’administration à prendre des mesures provisoires. Si le jugement au fond dément ce qu’avait estimé le juge des référés, l’administration peut, sous certaines conditions, retirer ou abroger les actes qu’elle avait pris à la suite du référé dans les quatre mois suivant la notification à l’administration du jugement. Il en est ainsi, par exemple, lorsque le juge des référés suspend une révocation ou un licenciement, ce qui conduit à l’administration à réintégrer provisoirement l’agent. Si le juge du fond valide finalement la mesure d’éviction du service, l’administration est en droit de retirer la décision de réintégration et tous ses actes d’application dans un délai de quatre mois à compter de la notification du jugement, à l’exception de celles qui tirent la conséquence du service accompli par l’agent (9). Toutefois, lorsque, pour soustraire au juge une décision soumise à son contrôle, l’administration retire la décision attaquée et prend concomitamment une nouvelle décision de même portée, le juge ne peut plus se prononcer sur la légalité de la première décision dès lors qu’elle a disparu rétroactivement de l’ordonnancement juridique, mais il se considère saisi de la nouvelle décision sans que le requérant ait à introduire une nouvelle requête (10).
Quelques exemples d’actes créateurs de droits
La plupart des actes de gestion de carrière des fonctionnaires ou accordant des avantages aux agents publics sont des actes créateurs de droits. Cela qui signifie que, si l’administration commet une erreur, l’autorité de gestion ne peut remettre en cause sa décision que dans les conditions prévues par les articles L. 242-1 et L. 242-2 du CRPA, précités.
Ainsi, sont créateurs de droits, les décisions suivantes :
- l’arrêté plaçant un agent en congé pour accident de service (11) ;
- un avancement d’échelon (12) ;
- une promotion de grade (13) ;
- toutes les décisions accordant des avantages financiers (14) ;
- l’octroi de la protection fonctionnelle à un fonctionnaire (15.).
Le cas des décisions de nomination à certaines fonctions
En principe, une décision informant un fonctionnaire de sa prochaine affectation n’est pas créatrice de droits (16). En outre, lorsque les fonctions confiées sont révocables à tout moment, y compris lorsqu’il ne s’agit pas d’un emploi à la discrétion du Gouvernement, la décision de nomination n’est pas créatrice de droits (17). Cela a pour principale conséquence que la décision mettant fin à cette affectation dans l’intérêt du service n’a pas à être motivée. Il n’en est autrement que lorsque la nomination est prévue pour une certaine durée ou avec une certaine stabilité que la décision est créatrice de droits. Elle peut néanmoins être abrogée à tout moment dans l’intérêt du service ; l’abrogation doit cependant, du fait de ce caractère créateur de droits, être motivée (18).
Lorsque la nomination est créatrice de droits, ces droits sont créés dès la signature de la décision (19).
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La portée des droits créés
Lorsqu’une décision résulte d’une pure erreur matérielle, elle peut, dans certains cas extrêmes, être dépourvue de toute existence légale. Dans un tel cas, elle ne crée donc aucun droit (20).
Par ailleurs, certains actes ne peuvent créer de droits qu’à l’égard des fonctionnaires d’un seul versant de la fonction publique. Ainsi, le fait qu’un fonctionnaire d’un département candidate et obtienne, par erreur, d’être inscrit par le préfet sur la liste des fonctionnaires de l’État admis à un stage de formation professionnelle, pendant lequel les intéressés restent titulaires de leur poste et conservent leur traitement, ne crée aucun droit au profit de ce fonctionnaire du département (21).
En outre, la portée des droits doit, également, être pondérée. Ainsi, la décision décidant d’un taux de prime donne droit à ce taux pour la période considérée, mais pas à son maintien pour l’avenir (22). Ou encore, lorsqu’un fonctionnaire bénéficie d’un avancement de grade, cette promotion doit être conditionnée à l’acceptation de l’emploi qui peut, le cas échéant, lui être assigné dans son nouveau grade (23) et son refus peut entraîner le retrait du tableau d’avancement de la promotion de grade, pourtant créateur de droits (24).
Références
- CE, 25 juin 1954, Syndicat national de la meunerie à seigle ;
- M. X., requête n° 197178 ;
- CE, Sect., 21 décembre 2007, Société Bretim, requête n° 385515 ;
- Art. L. 121-1 du CRPA ;
- Art. L. 211-2 du CRPA ;
- Art. L. 241-2 du CRPA ;
- 1° de l’art. L. 242-2 du CRPA ;
- Art. L. 242-4 du CRPA ;
- CE, 23 mai 2018, Ministre de l’intérieur c/ M. X., requête n° 416313 ;
- CE, 15 octobre 2018, requête n° 414375 ;
- CE, Ass., 26 octobre 2001, M. X., requête n° 197178 ;
- CE, 7 janvier 2013, M. A., requête n° 342062 ;
- CE, 7 août 2008, Mme A., requête n° 287581 ;
- CE, Sect., 12 octobre 2009, M. A., requête n° 310300 ;
- CE, 22 janvier 2007, ministre des Affaires étrangères c/ M. A., requête n° 385710 ;
- CE, 30 septembre 1994, M. X. requête n° 146476 ;
- CE, 14 mai 2014, M. A., requête n° 363529 ;
- CE, 4 mars 2009, M. A., requête n° 311122 ;
- CE, Sect., 24 février 1967, requête n° 66245 ;
- Par exemple : s’agissant d’un un avancement d’échelon : CE, 28 décembre 2005, M. A.., requête n° 279432 ;
- CE, 19 novembre 1975, Dame X., requête n° 93557 ;
- CE, 19 décembre 1980, Sieur X. et autres, requête n° 11538 ;
- Art. 58 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État ;
- CE, 27 juillet 1990, M. X., requête n° 86897.