Réforme de la représentativité syndicale

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Dans un arrêt du 14 avril, la Cour de cassation a casséun jugement du tribunal d’instance de Brest qui remettait en cause la réformeadoptée en août 2008. Les nouvelles règles de la représentativité continuentdonc de s’appliquer. Non sans mal !

Henri GREGO, expert en droit social et relations socialesmarque une pause dans le débat et revient sur le déploiement en cours de laréforme. Focus.

GERESO : La loi du 20 août 2008 bouleverse lesrepères. La réforme, qui s’appuie sur le principe de l’audience électorale pourrenforcer la légitimité des accords et des acteurs du dialogue social, a changéla donne. Quelles sont les tendances en matière de représentativité suite auxpremiers renouvellements des élus du personnel ?

Henri GREGO : Je constate deux choses cruciales. En premierlieu : un bouleversement du paysage syndical. On a dans certainesentreprises « symboliques » en matière de syndicalisme telle quela SNCF, une disparition de syndicats comme la CFTC et Force Ouvrière. Nousallons donc avoir certaines organisations syndicales qui seront les plus à mêmed’être impactées par la nouvelle loi. Nous allons ensuite être spectateur demariages contre-nature entre diverses organisations syndicales. En effet, sachant que la réforme pose des difficultés sur la répartition des audiences dechaque organisation syndicale, ces dernières vont tenter de passer les fameusesbarres chiffrées imposées par les nouvelles règles.

Aujourd’hui, l’enjeu pour lesorganisations syndicales c’est la désignation d’un délégué syndical. Si les 10%ne sont pas atteints, le délégué disparaît. Si les 30%, ne sont pas atteintsalors l’organisation syndicale ne contribue donc plus à la négociation ni nesigne d’accords. Les impacts sont importants, notamment sur les négociationsannuelles obligatoires.

Vous animez une conférence le 28 mai à Paris sur lethème : « Les nouveaux enjeux de la négociation collective -Dernières évolutions législatives, réglementaires et jurisprudentielles ».Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les entreprises dansl’application pratique des nouvelles règles ?

Conférence Focus Expert

Les nouveaux enjeux de la négociation collective » : le vendredi 28 mai de 8h45 à 12h30 – Espace Formation GERESO – Paris Montparnasse[…]

La première difficulté est que l’on peut« assister » à une mise en place d’un paysage syndical beaucoup pluscomplexe dans l’entreprise. Les employeurs n’ont pas encore, à priori, bienappréhendé l’objectif de la réforme. La preuve ? Depuis 2004[1],les différentes Directions du travail n’ont pu constater que 70 accords dérogatoiresà leurs conventions collectives, ce qui est infime à l’échelle du pays !Ça veut dire aussi qu’aujourd’hui, la loi n’est pas utilisée par lesentreprises. De fait, ce que la loi peut permettre en matière dérogatoire n’estpas intégré. Par exemple :

  • La majoration sur les heures supplémentaires, déterminé à25%, peut passer à 10%,
  • La prime de précarité du CDD fixée à 10% peut être ramenéeà 6%,
  • Le plafonnement des heures supplémentaires peut toutsimplement disparaître,
  • Le temps de repos obligatoire peut être ramené à 9 heures, aulieu de 11 fixé dans la loi, etc.
  • Ce sont des éléments déterminants car auparavant, c’étaittout simplement impensable ! D’où une négociation plus complexe à mener etappréhender. Soulignons que c’est précisément cette complexité que lesentreprises ne maîtrisent pas. En effet, aujourd’hui, elles gèrentessentiellement les difficultés liées à la mise en place de la loi plutçt queles enjeux. Bémol : la loi date de 2008 et nous sommes effectivement dansune période transitoire. Les difficultés apparaissent de manière accrue depuis2009 puisque le rythme des élections en entreprise s’est nettement accéléré. Etdu fait de la difficulté de compréhension de la réforme, les employeurs sepositionnent davantage en tant que spectateurs de tout ce qui se déroule auniveau syndical. Et c’est dommageable pour les négociations car si on nemaîtrise pas la loi et qu’on ne sait pas ce qu’il y a dedans, on rate desopportunités.

    Depuis la réforme, employeurs et syndicats ont formaliséplusieurs recours devant les tribunaux. Quelles sont les dernièresinterventions marquantes du législateur pour statuer ?

    Auparavant, on était dans un système« aristocratique ». Les organisations syndicales n’avaient pasd’exigences en matière de représentativité. On pouvait avoir des entités quiétaient là, installées ad vitam aeternam et les résultats électorauxobtenus aux élections professionnelles étaient sans conséquences  surl’existence même de l’organisation syndicale dans l’entreprise.

    Ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’on ne change pasaisément un système qui existe depuis 50 ans en deux petites années ! Parexemple, lorsque vous avez une entreprise multi-établissements et un seul CEcentral, vous pouvez avoir des organisations syndicales représentativeslocalement, mais qui peuvent ne pas l’être du tout au niveau du CE. Ce qui poseensuite le problème de la désignation d’un délégué syndical. En effet, c’est làoù l’on commence à rentrer dans quelque chose de beaucoup complexe ! Ilaura fallu que le ministère du travail apporte par l’intermédiaire decirculaires de nombreuses précisions[2].

    C’est aussi très logique qu’on ait beaucoup plus de saisinesdu tribunal d’instance, car les organisations syndicales sont amenées àcontester, loin d’être habituées à faire autrement que part le seul fait d’unedésignation. Dans la balance, il y a en effet le risque de ne plus êtrereprésentatif ou d’avoir à cohabiter avec des organisations dont ils nereconnaissent pas la légitimité.

    Par ailleurs, la loi n’a rien changé au niveau desirrégularités de scrutin. Mais comme l’enjeu est plus grand, les cas defraudes risquent de se multiplier. L’employeur doit être extrêmement vigilantcar les élections sont sous sa responsabilité.

    Lors du fameux jugement de Brest datant du 14 avril 2009[3],on s’est dit que c’était la première étape d’une succession d’autres arrêts quiiraient dans le même sens. Or celui-ci a été cassé par la cour de cassation.Dans la foulée, les tribunaux de Niort et Annecy ont suivi l’essence de la loiet débouté les organisations syndicales demanderesse. De même, la cour decassation a apporté depuis juillet 2009, huit arrêts. Non pas pour intervenirsur la notion de représentativité mais apporter des précisions surl’application de la réforme. Donc c’est bel et bien une loi qui va perdurer.

    La période que l’on vit est transitoire, toutes ces saisinessont logiques mais après, l’on devrait rentrer dans un système plus équilibréavec des employeurs qui auront face à eux, des syndicats représentatifs. Il estdonc d’autant plus crucial pour les entreprises de prendre la loi de 2004, etcelle de 2008, à bras le corps pour tenter de faire avancer la négociation au sein de leur entreprise.


    [1] « Enmatière de dialogue social, la loi Fillon du 4 mai 2004 instaure le principemajoritaire pour adopter ou rejeter un accord, ce qui vise à responsabiliserles organisations syndicales et à accroître la légitimité des accords et cellede leurs signataires » (source : Regards sur l’actualité. Travail etrelations professionnelles N°309. La documentation française)

    [2] CirculaireN°20 du 13 Novembre 2008

    [3] Dans unjugement rendu le 27 octobre 2009, le tribunal d’instance de Brest remettait enquestion la réforme de la représentativité syndicale instaurée par la loi d’août2008

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