Système des retraites : le monde d’après, entre déficits conjoncturels et structurels

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Système des retraites, le monde d’après : Entre déficits conjoncturels et structurels
La crise sanitaire actuelle liée au Covid-19 entraine une chute brutale des ressources financières alimentant notre système de retraite.

Le système des retraites français restera durablement déficitaire, même après la crise

Un système de retraite par répartition est, par définition, très dépendant d’un certain nombre de facteurs à commencer par la situation économique du pays. En effet, ses ressources sont essentiellement constituées de cotisations sociales assises sur les salaires, fortement dépendantes de l’évolution du marché de l’emploi. Lorsque, comme c’est le cas aujourd’hui, on constate, sur un seul exercice (2020), un recul de 10 % du PIB, une augmentation du taux de chômage prévisionnel (estimé à 9,1 % contre 8,4 % en 2019), et un taux d’inflation faible (0,5 %)1, les finances du système en pâtissent.

Au-delà de ces « chocs conjoncturels », qui par définition sont liés à une situation circonscrite dans le temps et peuvent être résorbés plus ou moins rapidement selon l’impact de la crise, il y a également d’autres données qui entrent en ligne de compte et qui impactent cette fois « structurellement » le système, à commencer par l’évolution de la démographie. Les pays dits « développés », dont fait partie la France, doivent faire face depuis plusieurs dizaines d’années au vieillissement de leur population, corrélé à une baisse du taux de natalité, qui impacte durablement le ratio cotisant/retraité et l’équilibre entre les recettes et les dépenses de leur système de retraite.

A ce sujet, le conseil d’orientation des retraites (COR) vient de rendre public un rapport sur la situation financière des retraites2, demandé par le gouvernement dans la perspective de la mise en place d’un système universel de retraite. Soucieux d’avoir un système « à l’équilibre financièrement » au moment de la bascule vers le nouveau dispositif, l’objectif était de distinguer au sein du nouveau déficit ce qui découle des conséquences économiques de la crise sanitaire de ce qui relève d’évolutions plus « structurelles » afin de déterminer les mesures à prendre et selon quel calendrier. En filigrane, cela doit permettre de présenter les choses ainsi :

  • Si le déficit constaté est essentiellement conjoncturel, alors il n’y a pas lieu d’utiliser les leviers d’ajustement du système de retraite (niveau de cotisation, niveau de pension ou âge de départ) ;
  • Cependant, si le déficit est au moins pour partie structurel, il faudra « se mettre autour de la table » et s’entendre sur les leviers « à mobiliser ».

Constat : une chute brutale des ressources, non compensée par ailleurs

Première information, les ressources du système de retraite subissent de plein fouet le repli brutal de l’activité (-5,4 % en termes réels par rapport à 2019) sous l’effet du :

  • Recours massif à l’activité partielle ;
  • De la baisse de l’emploi nées de la crise ;
  • Ainsi que des reports et/ou exonérations de cotisation, décidés pour les entreprises et les travailleurs indépendants.

Du côté des dépenses, il faut commencer par casser une « idée reçue » : la crise sanitaire n’a pas entraîné une réduction des dépenses de santé liées à une hausse des décès ciblant plus particulièrement les personnes âgées.

En réalité le COR constate plutôt un phénomène de sous-mortalité, qui pourrait provenir :

  • De la diminution des activités économiques ou de loisirs, notamment pendant le confinement, qui aurait pu induire une diminution du nombre de morts accidentelles.
  • De la mise en place de « gestes barrière », qui réduisent les infections liées à d’autres agents pathogènes que le coronavirus.
  • Du fait que, dans certains cas, la Covid n’aurait fait qu’accélérer la fin de vie de certains patients atteints de graves morbidités. 

Si on ajoute à cela un maintien du niveau des pensions de retraite alors même que le niveau des salaires a significativement baissé dans le même temps, la part des dépenses de retraite dans le PIB devrait légèrement augmenter, au moins à court terme. A plus long terme, plusieurs facteurs pourraient néanmoins inverser la tendance :

  • L’impact de la crise sur les droits acquis des actifs ;
  • L’impact d’une ou de réformes des retraites ;
  • L’indexation des pensions sur l’inflation, soit une moindre progression par rapport au revenu d’activité moyen.

La conjonction de tous ces éléments provoque une dégradation très importante du solde financier des retraites. Alors que le besoin de financement du système de retraite devait être de « seulement » 1,9 milliard d’euros en 20203 (soit 0,1% du PIB), le COR l’estime désormais à 25,4 milliards d’euros, soit l’équivalent d’1,1 % du PIB.

Ces prévisions restent néanmoins plus optimistes que les projections réalisées par le COR en juin dernier, qui tablait sur un besoin de financement d’environ 30 milliards d’euros. Raisons évoquées : une surmortalité « Covid » moins forte que prévue, et une conjoncture économique un peu moins dégradée.

Résultat : un système de retraite durablement déficitaire, même après absorption des conséquences de la crise

Le COR a essayé de distinguer les composantes conjoncturelle et structurelles du déficit :

  • La composante conjoncturelle s’obtient à partir d’une mesure de l’écart de production, qui est égal à la différence entre le PIB effectif et le PIB potentiel.
  • Le solde dit « structurel » s’obtient alors par différence entre le solde effectif et cette composante conjoncturelle.

Résultat, pour 2020, environ 90% du déficit serait dû aux conséquences de la crise « Covid » (soit plus de 23 milliards d’euros sur un total de 25,4 milliards). Sur la période 2021-2024, le déficit se réduirait de manière significative compte tenu de l’amélioration des indicateurs économiques (une estimation à prendre avec prudence de l’aveu même du COR). Sa composante conjoncturelle se réduirait du coup progressivement pour s’annuler à l’horizon 2024.

En 2024, et à législation constante, le solde financier du système de retraite serait toujours déficitaire d’environ 13,3 milliards d’euros, un déficit par construction structurel puisque l’impact de la crise aura été résorbé. Il y a un an, le COR tablait sur un déficit d’un peu moins de 10 milliards d’euros à cet horizon.

Les mesures d’économie envisagées dans le cadre des travaux sur le système universel de retraite

Les résultats qui viennent d’être exposés ci-dessus devraient permettre au gouvernement de justifier un éventuel renoncement à des mesures d’économie d’ici la fin du quinquennat. En effet, il faut d’abord relancer l’économie, ce qui paraît difficile en augmentant les cotisations ou en baissant le niveau des pensions. Quant à l’allongement de la durée du travail, il ne paraît pas très indiqué alors même que le nombre de chômeurs devrait fortement augmenter… Rien n’interdit néanmoins de réfléchir à des mesures pour rééquilibrer le système, ou a minima tendre vers son équilibre.

A très court terme, certaines organisations syndicales évoquent la possibilité de transférer le déficit du régime général (une dizaine de milliards d’euros en incluant le fonds de solidarité vieillesse) à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), dont l’existence a été récemment prolongée de 2024 à 2033, mais il s’agirait alors uniquement de transférer la dette, et non de la réduire. De la « tuyauterie budgétaire » en somme.

D’autres évoquent l’idée de puiser dans les réserves constituées par certains régimes de retraite vertueux, à commencer par celles de l’Agirc-Arrco (environ 65 milliards d’euros – estimation avant crise). Mais cela pose plusieurs problèmes : ces fonds appartiennent au régime de retraite complémentaire, dont la gouvernance est paritaire. Par ailleurs, le régime Agirc-Arrco doit lui-même faire face à une dégradation inédite de ses comptes (-6,5 milliards d’euros en 2020). Enfin, cela ne règlerait que temporairement la situation.

Dans le cadre de ses travaux sur le projet de retraite universelle, le gouvernement avait déjà fait chiffrer, en début d’année, l’impact de différentes mesures paramétriques sur le système de retraite permettant d’assurer l’équilibre du système de retraite en ciblant plus particulièrement les mesures qui impactent la durée du travail4 :

  • Le relèvement de l’âge légal d’ouverture de droits de 62 à 64 ans, pour un gain estimé de 5,8 milliards d’euros par an.
  • L’instauration d’un « âge taux plein » à 63 ou 64 ans en dessous duquel une décote systématique et viagère serait appliquée sur le montant de la pension, pour un gain compris entre 6,1 et 10,8 milliards d’euros par an selon l’âge choisi.
  • L’augmentation de la durée requise de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein en procédant à une accélération de la réforme Touraine5 (objectif = arriver plus vite à 43 annuités) ou en allant jusqu’à 44 annuités requises. Ces mesures permettraient de récupérer respectivement 3,9 et 5 milliards d’euros par an.
  • Le durcissement des conditions de départ au titre des carrières longues6, en augmentant la condition de durée d’activité avant 20 ans, rapporterait 1,3 milliards d’euros par an.
  • Une autre mesure, non chiffrée, est également évoquée : celle d’une sous-indexation prolongée du niveau des pensions de retraite, comme cela a déjà été le cas en 2019 et 2020.

La mise en œuvre de telles mesures doit, au préalable, faire l’objet de discussions entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Pour le moment, il semblerait que tous s’accordent à dire que la priorité doit être de traiter les conséquences de la crise sanitaire : priorité à l’emploi pour les organisations syndicales, priorité à la croissance et à la relance économique pour les organisations patronales. Les mesures récentes de « reconfinement » pour la fin d’année, annoncées par le Président de la République le 28 octobre dernier, ne devraient pas arranger les choses et les prévisions économiques du Gouvernement (qui anticipait un rebond dès 2021) sont probablement déjà obsolètes…

Néanmoins le constat est là : le système de retraite est (et restera) durablement déficitaire. Une fois que la crise sera « passée », et avant l’instauration d’un éventuel système universel de retraite, il sera nécessaire de prendre des mesures paramétriques pour assainir les comptes. Reste à savoir lesquelles…


Références

  1. Il s’agit des hypothèses retenues par le gouvernement dans les lois financières de 2021
  2. https://www.cor-retraites.fr/node/544
  3. Rapport du COR novembre 2019 – Perspectives des retraites en France à l’horizon 2030
  4. Article Le Parisien – « Les cinq scénarios d’une réforme des retraites » 13/07/2020
  5. La loi Touraine du 20 janvier 2014 a prévu une augmentation progressive de 41,5 à 43 ans de cotisations à partir de la génération 1958 jusqu’à la génération 1973.
  6. Pour aller plus loin : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F13845

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