Partager la publication "Lettre de licenciement : les nouveautés liées aux ordonnances Macron"
Quelques repères…
Pour le juge judiciaire, l’élément déterminant en cas de litige est donc le contenu de la lettre de licenciement. De ce fait, un employeur peut invoquer dans cette lettre un motif dont il est établi qu’il n’a pas été avancé lors de l’entretien. En revanche, lorsque le motif est énoncé dans la lettre de manière imprécise ou non matériellement vérifiable, le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse.
Un certain nombre de litiges sont directement liés au sentiment du salarié que les griefs invoqués par la lettre de licenciement sont trop peu expliqués et détaillés. Il résulte en effet d’une étude sur une centaine de décisions récentes que l’insuffisance de motivation de la lettre de licenciement est un motif très souvent mis en avant par les salariés dans les griefs justifiant la procédure contentieuse, même si elle est rarement retenue par la juridiction. Du côté des employeurs, l’exigence de motivation détaillée est souvent vécue comme très contraignante, et parfois trop formaliste, pas assez liée au fond.
Une histoire mouvementée…
Sans remonter trop loin dans le passé, on se souvient qu’avant 1986, l’employeur n’avait pas l’obligation de motiver la cause du licenciement dans le courrier de rupture. Mais le salarié avait la faculté de lui en demander les motifs dans un certain délai. L’ancien article L. 122-14-2 précisait : «L’employeur est tenu à la demande écrite du salarié d’énoncer la ou les causes réelles et sérieuses du licenciement. Les délais et les conditions de la demande et de l’énonciation sont xés par voie réglementaire.» Quant à l’ancien article R. 122-3, il prévoyait : «Le salarié qui entend user de la faculté ouverte par l’article L.122-14-2 doit formuler sa demande par lettre recommandée, avec demande d’avis de réception, avant l’expiration d’un délai de dix jours à compter de la date à laquelle il quitte effectivement son emploi. L’employeur doit faire connaître les causes réelles et sérieuses du licenciement par lettre recommandée avec demande d’avis de réception envoyée au plus tard dix jours après la présentation de la lettre du salarié prévue à l’alinéa ci-dessus. Les délais prévus au présent article, lesquels ne sont pas des délais francs, expirent le dernier jour à vingt-quatre heures.»
La jurisprudence avait déduit de ces dispositions que faute pour l’employeur d’avoir répondu à la demande du salarié d’énonciation des causes du licenciement, il était « réputé de manière irréfragable ne pas en avoir ». C’est finalement la loi n° 89-549 du 2 août 1989 qui a généralisé l’obligation de motivation dans la lettre de licenciement dans les termes suivants : « L’employeur est tenu d’énoncer le ou les motifs du licenciement dans la lettre de licenciement mentionnée à l’article L. 122-14-1 » (ancien article L. 122-14-2 du Code du travail).
On sait également que depuis l’arrêt Rogié du 29 novembre 1990 (pourvoi n° 88-44308), une jurisprudence constante de la Cour de cassation considère que l’imprécision du motif équivaut à une absence de motifs et qu’en conséquence le salarié peut prétendre au versement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Qui plus est, l’employeur ne pourrait invoquer devant le juge des motifs différents de ceux qu’il a formulés dans la lettre de licenciement.
Outre le fait que l’on passait d’une non motivation à une obligation de motivation (c’est-à-dire d’un extrême à un autre), cette position n’était pas exempte de critiques puisqu’elle assimilait un manquement sur la procédure (forme) à un licenciement sans cause réelle ni sérieuse (fond). Ainsi que l’avait résumé l’étude d’impact : «Il résulte en effet d’une étude sur une centaine de décisions récentes que l’insuffisance de motivation de la lettre de licenciement est un motif très souvent mis en avant par les salariés dans les griefs justifiant la procédure contentieuse, même si elle est rarement retenue par la juridiction. Du côté des employeurs, l’exigence de motivation détaillée est souvent vécue comme très contraignante, et parfois trop formaliste, pas assez liée au fond».
Un dispositif compliqué…
Désormais, l’article L. 1235-2 du Code du travail édicte que « la lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement ». Ainsi le Code du travail fixe une possibilité de « rattrapage » ou de « deuxième chance » pour l’employeur en cas de licenciement (pour motif personnel ou pour motif économique) insuffisamment motivé.
Toutefois, cette faculté de rattrapage est limitée. En effet, si le projet d’ordonnance indiquait que l’employeur pouvait « compléter et préciser les motifs de licenciement », le texte publié au Journal officiel envisage uniquement que l’employeur puisse « préciser » les motifs. Les termes sont ici importants. Ainsi l’employeur ne saurait régulariser une lettre de licenciement non motivée ou ajouter de nouveaux motifs. Le terme « préciser » est synonyme d’expliquer, détailler, clarifier…. Cette initiative de précision peut venir directement de l’employeur par lettre recommandée avec avis de réception ou par lettre remise en main propre contre décharge dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement. Mais elle peut également émaner du salarié dans les 15 jours à compter de la notification de son licenciement par lettre recommandée avec avis de réception ou être remise à l’employeur contre récépissé. L’employeur dispose alors à son tour de 15 jours à compter de la réception de la demande du salarié pour apporter, le cas échéant, lesdites précisions, sous les mêmes formes.
Faute de précisions quant à la notion de « jours », il semble bien qu’il faille les considérer comme des jours calendaires et que la computation des délais obéisse aux principes des articles 641 et 642 du Code de procédure civile et R. 1231-1 du Code du travail. Ainsi, le délai de 15 jours calendaires démarrerait le lendemain de la date de la notification du licenciement ou de la réception de la demande du salarié et se terminerait au quinzième jour à 24 heures. Qui plus est, et toujours faute de précision des textes, cette possibilité offerte au salarié de demander des précisions sur les motifs de son licenciement, ne doit pas obligatoirement être mentionnée dans la lettre de rupture.
Concrètement, et dès lors que la demande émane du salarié, trois situations peuvent être envisagées :
- Le salarié n’a pas formulé de demande de précisions auprès de l’employeur
Cette situation est expressément prévue par l’article L. 1235-2 du Code du travail : lorsque le salarié n’a pas demandé à son employeur des précisions sur les motifs de licenciement indiqués dans la lettre, qu’il estime incomplets, l’irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne privera pas le licenciement, à elle seule, de cause réelle et sérieuse. Le salarié pourra ainsi seulement prétendre à une indemnité qui ne pourra pas dépasser un mois de salaire.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces termes ne sont pas d’une grande clarté. Mais, on peut en déduire que le licenciement ne pourra être jugé sans cause réelle et sérieuse uniquement pour une insuffisance de motivation, si le salarié n’a pas sollicité de précisions ; cependant, le licenciement pourra être jugé sans cause réelle et sérieuse pour d’autres motifs tenant au fond du litige (ex. : faits fautifs prescrits, faute grave ou lourde non prouvée, absence de recherche de reclassement en cas de licenciement économique…).
D’aucuns estiment que cette disposition comporte le risque que sciemment certains employeurs limitent les motifs du licenciement, avec le secret espoir que le salarié n’effectuera pas de démarche complémentaire… Une telle démarche pourrait toutefois se révéler hasardeuse pour l’employeur dès lors que le salarié conserve la faculté d’engager un contentieux sur le fond du litige…
- Le salarié a formulé une demande de précisions et l’employeur a complété la lettre
Le juge va alors se fonder sur la lettre de licenciement et les précisions apportées pour rechercher si le licenciement est bien justifié. L’employeur se doit donc d’accorder une attention particulière à la rédaction de la réponse. On relèvera également que cette demande du salarié est sans incidence sur le délai de prescription de l’action portant sur la rupture du contrat de travail qui est désormais de 12 mois à compter de la notificationde cette dernière.
- Le salarié a formulé une demande à laquelle l’employeur ne répond pas
Cette situation peut concerner deux hypothèses. Soit l’employeur ne répond pas à la demande du salarié parce qu’il estime la lettre de rupture suffsamment motivée, et il semble dans ce cas, qu’il n’y ait pas d’obligation de réponse. En effet, les articles R. 1232-13 et R. 1233-2-2 du Code du travail indiquent que l’employeur apporte des précisions « s’il le souhaite ». Soit l’employeur oublie de répondre à la demande du salarié. Et là encore, rien ne semble le contraindre à répondre à la demande du salarié, puisque, une nouvelle fois, il apporte « des précisions s’il le souhaite ». Notons simplement que le chef d’entreprise s’est peut-être privé d’une possibilité de clarifier la rupture et qu’en cas de contentieux, le juge ne statuera qu’en fonction de la simple lettre de licenciement. En outre, il paraîtrait cohérent de penser qu’en cas d’insuffisance de motivation, ledit licenciement soit dépourvu de cause réelle et sérieuse. On notera simplement que si le licenciement est insuffisamment motivé et dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié sera indemnisé en fonction du seul barème obligatoire mentionné à l’article L. 1235-3 du Code du travail (article L. 1235-2). En d’autres termes, l’indemnité versée au salarié pour réparer le licenciement abusif inclura l’indemnité prévue pour insuffisance de motivation.
Reste un dernier point à régler et non des moindres. Comment conjuguer ces nouvelles dispositions avec la proposition pour un salarié d’adhérer à un contrat de sécurisation professionnelle en cas de licenciement économique (Article L. 1233-65 du Code du travail). Rappelons que le contrat de sécurisation professionnelle s’adresse aux entreprises de moins de 1 000 salariés mettant en œuvre des licenciements économiques. Il permet pour le salarié de bénéficier d’un ensemble de mesures favorisant un retour accéléré à l’emploi durable. L’employeur est tenu de le proposer au salarié, qui peut refuser d’en bénéficier. Or, la Chambre sociale a décidé, dans un arrêt du 12 juin 2012 (pourvoi n° 10-14632), sans cesse réitéré, que «lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l’acceptation par le salarié d’une convention de reclassement personnalisé, l’employeur doit en énoncer le motif économique soit dans le document écrit d’information sur la convention de reclassement personnalisé remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement, soit dans la lettre qu’il est tenu d’adresser au salarié lorsque le délai de réponse expire après le délai d’envoi de la lettre de licenciement imposé par les articles L. 1233-15 et L. 1233-39 du Code du travail, soit lorsqu’il ne lui est pas possible d’envoyer cette lettre avant l’acceptation par le salarié de la proposition de convention, dans tout autre document écrit remis ou adressé à celui-ci au plus tard au moment de son acceptation».
Est donc à ce stade que l’employeur ou le salarié pourra apporter ou demander des précisions ? Faute de texte, le doute est permis, même si la prudence incite à répondre positivement à cette interrogation…
Quel regard porter sur ce nouvel édifice ? Certes, on peut admettre les critiques suivant lesquelles il paraissait paradoxal qu’un manquement à la procédure rende le licenciement sans cause réelle ni sérieuse. Mais le processus mis en œuvre ne se révèle-t-il pas finalement compliqué ? Le fait que l’on attende que la jurisprudence se prononce sur un certain nombre de situations inconnues participe-t-il à la clarté du dispositif ? Sans nul doute, le sujet risque d’occuper les juristes pendant un certain nombre d’années.
Le Code du travail fixe une possibilité de « rattrapage » en cas de licenciement (pour motif personnel ou pour motif économique) insuffisamment motivé. La demande de précision peut émaner du salarié dans les 15 jours à compter de la notification de son licenciement par lettre recommandée avec avis de réception ou être remise à l’employeur contre récépissé. L’employeur dispose alors à son tour de 15 jours à compter de la réception de la demande du salarié pour apporter, le cas échéant, lesdites précisions, sous les mêmes formes. L’initiative de précision peut également venir directement de l’employeur par lettre recommandée avec avis de réception ou par lettre remise en main propre contre décharge dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement. Lorsque le salarié n’a pas demandé à son employeur des précisions sur les motifs de licenciement indiqués dans la lettre, qu’il estime incomplets, l’irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne privera pas le licenciement, à elle seule, de cause réelle et sérieuse. Le salarié pourra ainsi seulement prétendre à une indemnité qui ne pourra pas dépasser un mois de salaire.
Licenciement en cas de pluralité de motifs
Actuellement, en cas de licenciement nul avec pluralité de motifs, lorsque le juge relève que l’un d’entre eux est illicite (atteinte à une liberté ou un droit fondamental), le licenciement est considéré nul dans son ensemble, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres motifs de licenciement pour vérifier l’existence d’une cause réelle et sérieuse.