Le forfait-jours : encore et toujours dans le viseur de la Cour de cassation

Depuis sa mise en place par la loi du 19 janvier 2000 sur la réduc­tion du temps de travail, le dis­positif du forfait-jours n’a cessé d’être examiné et encadré par la jurisprudence. Initialement conçu pour offrir plus de flexibilité aux cadres autonomes, ce régime dé­rogatoire au décompte horaire du temps de travail est devenu, au fil des années, un terrain fertile pour les contentieux. La Cour de cassa­tion, soucieuse de garantir la pro­tection de la santé et de la sécurité des salariés, continue de durcir sa position en exigeant des garanties effectives sur le suivi de la charge de travail et le respect des temps de repos. Deux arrêts récents du 18 décembre et du 20 novembre 2024 illustrent cette tendance et réaffirment les exigences strictes en matière de validité des conven­tions de forfait-jours.

Le forfait-jours : encore et toujours dans le viseur de la Cour de cassation
Forfait-jours : la Cour de cassation durcit encore sa position.

Un encadrement strict du forfait-jours

Pour être valable, une conven­tion individuelle de forfait-jours doit impérativement être fondée sur un accord collectif respec­tant certaines conditions notam­ment :

  • Le suivi effectif et régulier de la charge de travail pour évi­ter tout dépassement excessif des durées maximales raison­nables ;
  • Le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires, garantissant la santé du salarié ;
  • Un entretien annuel obliga­toire pour s’assurer de l’adé­quation de la charge de travail avec les obligations profession­nelles du salarié.

Toute carence dans l’un de ces éléments expose l’employeur à une remise en cause de la convention de forfait, entraînant la requalification du temps de travail en heures supplémen­taires et le versement des rappels de salaire afférents.

Arrêt du 18 décembre 2024 : un contrôle insuffisant du temps de travail entraîne la nullité du forfait-jours

Dans cette affaire (Cour de cas­sation, chambre sociale, 18 dé­cembre 2024, n° 23-11.306), un salarié cadre avait conclu une convention de forfait-jours en 2007. Lors de la rupture de son contrat en 2018, il saisit les prud’hommes pour demander la nullité de cette convention et le paiement de rappels d’heures supplémentaires. Un forfait-jours ne peut exiger un rappel d’heures supplémentaires dans la mesure où sa durée du travail est expri­mée en jours et non en heures. Pourtant, la Cour de cassation fait droit à la demande du sala­rié au motif que l’accord collectif servant de base au forfait-jours ne prévoyait pas un suivi effectif et régulier de la charge de travail. L’avenant à l’accord d’entreprise se contentait d’indiquer que :

  • Un calendrier prévisionnel des jours de repos serait élaboré chaque trimestre ;
  • Le salarié devait auto-déclarer son temps de travail ;
  • Une réunion avec la hiérarchie était envisageable en cas de surcharge.

Or, selon la Haute Cour, ces dis­positions ne garantissaient ni un contrôle suffisant de l’ampli­tude du travail ni une protection effective de la santé du salarié. L’absence d’un véritable suivi per­mettant d’anticiper et de prévenir les risques liés à la surcharge de travail rendait la convention de forfait-jours nulle, ouvrant droit au paiement des heures supplé­mentaires et des congés payés afférents, le salarié étant automa­tiquement replacé dans l’organi­sation habituelle avec une durée du travail exprimée en heures.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence désormais constante, selon laquelle la simple possibilité d’alerter l’em­ployeur ne constitue pas une garantie suffisante. C’est à l’em­ployeur de mettre en place des mécanismes permettant un suivi réel et proactif de la charge rai­sonnable de travail.

Arrêt du 20 novembre 2024 : une convention de forfait annulée ne permet pas de qualifier un salarié de cadre dirigeant

L’affaire (Cour de cassation, chambre sociale, 20 novembre 2024, n° 23-17.881) concerne un responsable administratif et fi­nancier, engagé en 2012 par une entreprise et licencié en 2016. Il re­vendiquait le paiement d’heures supplémentaires, mais la cour d’appel avait rejeté ses demandes en estimant qu’il relevait de la ca­tégorie des cadres dirigeants, ce qui l’excluait de la réglementation sur le temps de travail.

La Cour de cassation casse l’arrêt en rappelant un principe essentiel :

« La conclusion d’une conven­tion de forfait-jours, fût-elle ul­térieurement déclarée illicite ou privée d’effet, ne permet pas à l’employeur de soutenir que le salarié relevait de la catégorie des cadres dirigeants. »

En d’autres termes, le simple fait que l’employeur ait appliqué un forfait-jours ne permet pas, en cas d’annulation de celui-ci, de requalifier le salarié en cadre dirigeant. Or, ce statut est stric­tement défini par l’article L. 3111-2 du Code du travail, qui impose de démontrer que :

  • Le salarié dispose d’une grande autonomie dans l’organisation de son emploi du temps.
  • Il prend des décisions de ma­nière largement indépendante.
  • Il perçoit une rémunération par­mi les plus

La Cour estime que la cour d’appel s’était fondée sur des critères in­suffisants pour justifier la qualifi­cation de cadre dirigeant et aurait dû examiner les demandes du sa­larié relatives aux heures supplé­mentaires.

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Un message clair de la Cour de cassation : la rigueur reste de mise

Ces deux arrêts illustrent parfaitement le durcis­sement de la jurisprudence en matière de for­fait-jours :

  • Un accord collectif prévoyant un simple suivi formel du temps de travail ne suffit plus : l’employeur doit démontrer un véritable contrôle per­mettant d’adapter la charge de travail en temps réel.
  • La nullité d’une convention de forfait-jours ne peut pas être contournée par la requalification du salarié en cadre dirigeant, sauf à démontrer strictement les critères posés par la loi.

Ces décisions rappellent aux employeurs la néces­sité d’être extrêmement vigilants lorsqu’ils mettent en place un forfait-jours. Un accord collectif bien ré­digé, des outils de suivi concrets et un réel contrôle des temps de travail ne sont plus une option, mais une obligation stricte sous peine de sanctions fi­nancières lourdes.

Le forfait-jours reste donc sous haute surveillance, et la prudence doit être de mise pour les entreprises souhaitant recourir à ce mode d’aménagement du temps de travail.

Cour de cassation, chambre sociale, 18 décembre 2024, n° 23-11.306

Cour de cassation, chambre sociale, 20 novembre 2024, n° 23-17.881

 

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