Transparence des rémunérations : quelles sont vos obligations ?

La transparence des rémunérations s'impose progressivement. Une étude récente montre que 83% des salariés français sont favorables à "une transparence totale des salaires, dans toutes les entreprises, pour tous les salariés et tous les dirigeants", comme le souligne Youssef Achour, Président de la coopérative UpCoop, dans une tribune.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : selon l’INSEE, en France, les femmes du secteur privé gagnent en moyenne 23,5% de moins que les hommes. Même à temps de travail égal, l'écart reste de 14,9%, et à poste identique, il atteint encore 4% en équivalent temps plein.

Comme l'explique sur Focus RH, Sophie Piot, experte en conseil RH, "la directive européenne sur la transparence des salaires, votée en 2023, marque un tournant pour la politique salariale des entreprises. [...] Loin d'une simple mise à jour réglementaire, c'est une révolution silencieuse qui va profondément transformer relations professionnelles et pratiques RH."

Face à cette évolution majeure, quelles sont exactement les obligations des employeurs en matière de transparence salariale ? Comment s'y conformer ? Quels risques encourent les entreprises en cas de non-respect ? Décryptage.

Transparence des rémunérations : quelles sont vos obligations ?
Transparence salariale : quelles obligations et enjeux pour les entreprises ?

Quel est le cadre légal sur la transparence des rémunérations ?

En France, la loi de 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a marqué une première étape significative en matière de transparence salariale. 

Elle impose aux entreprises de plus de 50 salariés de calculer et publier annuellement leur indice d’égalité professionnelle femmes-hommes. Cette obligation s’inscrit dans une démarche plus large de lutte contre les discriminations salariales et vise à objectiver les différences de traitement entre hommes et femmes

Les entreprises n’obtenant pas un score minimum de 75 points doivent mettre en place des mesures correctives sous peine de sanctions financières. Dans les faits, ce dispositif a permis de mettre en lumière des écarts persistants mais n’a pas encore complètement résolu la problématique de l’opacité des rémunérations.

Par ailleurs, depuis la loi Pacte, les sociétés cotées en bourse doivent communiquer les écarts de salaires existants entre l’employé moyen et les dirigeants. Elles sont également obligées de communiquer la médiane des salaires.

Zoom sur la directive européenne de 2023

La directive européenne sur la transparence des rémunérations, adoptée en 2023, représente une avancée majeure qui va considérablement renforcer ces obligations. Elle entrera en vigueur le 7 juin 2026 et s’appliquera dans l’ensemble de l’Union européenne.

Cette directive introduit plusieurs mesures :

  • L’obligation d’indiquer le salaire de départ ou une fourchette de rémunération dans les offres d’emploi
  • L’interdiction de questionner les candidats sur leur historique de rémunération
  • Le droit pour les salariés de demander des informations sur leur niveau de rémunération et les écarts salariaux 
  • L’interdiction des clauses contractuelles empêchant les salariés de divulguer leur rémunération
  • La publication annuelle des écarts de rémunération entre hommes et femmes pour les entreprises de plus de 250 salariés
  • La publication tous les 3 ans pour les entreprises de 100 à 249 salariés
  • L’évaluation et la correction des écarts de rémunération dépassant 5% sans justification objective

Pour les entreprises de  moins de 100 salariés, il n’y a pas d’obligation… Mais pour attirer les candidats, mettre en place volontairement la transparence des rémunérations s’avèrera sans doute nécessaire pour se positionner comme un employeur soucieux de l’égalité professionnelle !

À noter que fin 2024, seulement 50,7% des offres d’emploi en France mentionnaient des informations salariales, plaçant l’Hexagone derrière d’autres pays européens comme le Royaume-Uni (69,7%). Ce pourcentage devrait augmenter significativement avec l’entrée en vigueur de la directive.

Le futur cadre français sur la transparence des rémunérations

La France devra transposer cette directive en droit national d’ici juin 2026, ce qui entraînera probablement un renforcement des dispositions actuelles. L’évoltion du cadre légal va non seulement imposer de nouvelles contraintes aux entreprises, mais va sans doute aussi contribuer à faire évoluer les cultures organisationnelles vers plus d’équité et de transparence.

Quelles sont les obligations des entreprises en matière de transparence des rémunérations ?

Pour les entreprises françaises de plus de 50 salariés, le calcul et la publication de l’index d’égalité professionnelle est déjà  une obligation légale incontournable. La transparence est également de mise puisque ces résultats doivent impérativement figurer sur le site internet de l’entreprise et être communiqués au Comité Social et Économique.

Les nouvelles obligations de reporting issues de la directive européenne

Pour les entreprises de plus de 250 salariés, la publication annuelle des écarts de rémunération entre hommes et femmes deviendra obligatoire. Cette analyse devra être détaillée par catégorie et par niveau hiérarchique, avec un calcul précis de l’écart de rémunération médian entre les travailleurs féminins et masculins. 

Les entreprises de 100 à 250 salariés ne sont pas exemptées de ces obligations mais bénéficient d’un rythme de reporting allégé, fixé à tous les trois ans. 

La directive introduit également des changements qui s’appliquent à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Les clauses de confidentialité salariale dans les contrats de travail seront désormais interdites, ce qui constitue un bouleversement majeur dans la culture du secret qui entoure traditionnellement les questions de rémunération, particulièrement en France où l’argent est un sujet tabou.

Communication interne et gestion du changement

Ce nouveau paradigme de transparence salariale impose aux entreprises de repenser entièrement leur approche de la communication RH. Comme le fait remarquer Sophie Piot : « projetez-vous dans un open space en juin 2026, où chacun sera en capacité de comparer son salaire à celui de ses collègues… Des écarts jusqu’ici confidentiels deviennent brutalement visibles. »

Face à cette perspective, les entreprises devront préparer leurs managers à justifier les différences de rémunération sur la base de critères objectifs. Une politique de communication claire et transparente sur les grilles salariales deviendra indispensable. Plus largement, c’est l’ensemble des collaborateurs qu’il faudra accompagner vers cette nouvelle culture de transparence, en anticipant les réactions potentiellement négatives et les tensions qui pourraient en découler.

L’obligation de correction des écarts injustifiés

Au-delà de la simple transparence, la directive européenne impose aux entreprises une obligation de résultat. Les écarts de rémunération supérieurs à 5% qui ne peuvent être justifiés par des facteurs objectifs devront être corrigés. Les partenaires sociaux seront impliqués dans ce processus : les mesures correctives devront faire l’objet de négociations avec ces derniers.

Quelles conséquences en cas de non-conformité ?

Actuellement, le défaut de publication de l’index d’égalité professionnelle ou l’absence de mesures correctives peut entraîner une pénalité pouvant atteindre 1% de la masse salariale annuelle. Avec l’entrée en vigueur de la directive européenne, le dispositif sera renforcé.

La directive prévoit en effet un renversement de la charge de la preuve : ce sera désormais à l’employeur de prouver l’absence de discrimination, et non plus au salarié de démontrer qu’il en est victime. Ce changement fondamental facilitera considérablement les recours des salariés et augmentera donc le risque juridique pour les entreprises.

Des risques d’image et de tensions sociales internes

Au-delà des sanctions financières, les entreprises non conformes s’exposent à des risques d’image et de réputation. À l’heure où la responsabilité sociale des entreprises est scrutée de près, des écarts salariaux injustifiés entre hommes et femmes peuvent largement ternir l’image de marque de l’entreprise.Et notamment sa marque employeur.

En interne, elles peuvent générer des tensions sociales particulièrement déstabilisantes. Comme l’explique Sophie Piot, « lorsque la rémunération est perçue comme injuste, elle remet en cause un équilibre fondamental. […] Des écarts jusqu’ici confidentiels deviennent brutalement visibles. Frustrations, démotivation ou rancœurs pourraient exploser chez ceux qui s’estiment injustement traités. »

Ces tensions peuvent se manifester de différentes manières : désengagement des collaborateurs, baisse de productivité, augmentation du turnover, voire carrément des conflits sociaux ouverts…

Des risques de contentieux individuels et collectifs

La directive européenne ouvre aussi la voie à une multiplication des contentieux en matière de discrimination salariale. Les salariés disposeront en effet d’un droit d’information renforcé et de moyens de recours facilités. Le renversement de la charge de la preuve, associé à la transparence accrue des données salariales, créera un environnement propice aux actions en justice.

Comment structurer sa politique salariale de manière transparente ?

Face à ces évolutions, les entreprises doivent anticiper et se préparer. Mais comment structurer sa politique salariale pour être aligné avec les enjeux de transparence salariale ?

Établir des critères objectifs et explicites de rémunération

La première étape consiste à définir des critères de rémunération clairs, objectifs et explicites. Cette démarche implique une réflexion approfondie sur la valeur réelle de chaque critère. Par exemple, quelle est la valeur de l’expérience dans un contexte de transformation rapide des métiers ? Comment évaluer objectivement la performance individuelle sans biais ? 

Une fois ces critères définis, ils doivent être formalisés dans une grille de rémunération structurée, comprenant des fourchettes salariales pour chaque niveau et fonction. 

💡Par exemple, depuis plusieurs années, l’entreprise Shine a par exemple construit une grille des salaires qu’elle met à disposition de tous.

Former les managers et sensibiliser l’ensemble des collaborateurs

La réussite d’une démarche de transparence salariale repose en grande partie sur l’adhésion des managers car ces derniers seront en première ligne pour justifier et expliquer les écarts de salaire.

Il est donc nécessaire de former les managers à :

  • Comprendre et s’approprier les critères de rémunération ;
  • Expliquer de manière objective les décisions salariales à leurs équipes ;
  • Gérer les situations conflictuelles liées aux questions de rémunération ;
  • Identifier et corriger leurs propres biais lors des évaluations professionnelles.

Impliquer les partenaires sociaux dans la démarche

La transparence salariale est un sujet qui touche directement au dialogue social. Impliquer les partenaires sociaux dès le début de la démarche présente plusieurs avantages : cela permet d’enrichir la réflexion, de prévenir d’éventuelles tensions et de faciliter l’appropriation collective des nouvelles règles.

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Conclusion : vers plus de transparence ?

Au-delà de la simple conformité réglementaire, les enjeux de la transparence salariale sont multiples. Il s’agit bien sûr de lutter contre les discriminations salariales, notamment celles liées au genre. Mais comme l’observe Youssef Achour, les enjeux vont bien au-delà : « La transparence des salaires rendra difficilement soutenable et justifiable le maintien d’une telle inégalité dans nos entreprises et jouera en conséquence comme levier pour rendre enfin effective l’égalité de rémunérations entre les genres. Elle procure également un second avantage : mettre en difficulté le népotisme, le favoritisme, le ‘piston’, qui prospèrent dans l’opacité. »

La question n’est donc plus de savoir si nous allons vers plus de transparence :  la réponse est clairement oui !  Mais plutôt : comment accompagner cette transition ?  Cela implique une refonte en profondeur des politiques de rémunération, une formation adaptée des managers, une communication claire auprès de l’ensemble des collaborateurs, et une implication active des partenaires sociaux. A vous de jouer !

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