Enquêtes internes : que dit la loi ?

Les enquêtes internes sont devenues un outil incontournable pour les entreprises de plus en plus confrontées à des signalements de harcèlement, de discrimination ou de fraude.

En effet, 62% des salariés estiment que les faits de harcèlement se sont multipliés ces dernières années selon le Baromètre du harcèlement au travail.

Et parallèlement, les salariés mobilisent de plus en plus facilement les dispositifs d’alerte rendus obligatoires par l’entrée en vigueur de la loi Sapin II en 2017. 66 % d’entre eux, selon l’édition 2022 du baromètre du Climat Éthique, affirment avoir connaissance de son existence. Or, 61% des signalements effectués via le dispositif d’alerte interne conduisent au déclenchement d’une enquête.

Enquêtes internes : que dit la loi ?
Les enquêtes internes doivent être équitables, confidentielles et rigoureuses.

Face à la multiplication de ces procédures, leur encadrement juridique s’est progressivement précisé, notamment à travers la jurisprudence et les recommandations du Défenseur des droits. Ce dernier a d’ailleurs publié en février 2025 une décision-cadre fixant une méthodologie rigoureuse pour mener ces investigations.

Alors, comment conduire une enquête interne conforme aux exigences légales ? Quels sont les principes essentiels à respecter ? Quelles sont les bonnes pratiques ? Tour d’horizon des règles qui s’imposent aux employeurs pour garantir la fiabilité et l’équité de ces procédures sensibles.

Zoom sur les fondements légaux de l’enquête interne

L’employeur est légalement tenu de diligenter une enquête interne lorsqu’il est informé de possibles faits de harcèlement ou de discrimination. Cette obligation découle directement de son devoir de protection de la santé et de la sécurité des salariés.

Dans un arrêt de la Cour de cassation du 6 juillet 2022, la chambre sociale a en effet statué qu’une enquête interne maladroite et partiale constitue un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. L’employeur doit prendre les mesures nécessaires, notamment dans la rédaction de sa procédure interne, pour réaliser l’enquête dans des conditions préservant la santé physique et morale de l’ensemble du personnel impliqué

La jurisprudence et les autorités de contrôle ont donc progressivement précisé le cadre juridique de ces investigations.

Une obligation légale pour l’employeur

Dès qu’un signalement est effectué, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour faire la lumière sur les faits allégués. Cette obligation d’enquête s’impose que le signalement émane de la victime présumée, d’un témoin, des représentants du personnel ou d’un lanceur d’alerte. 

Le Défenseur des droits a d’ailleurs rappelé dans sa décision-cadre de février 2025 qu’une enquête doit être ouverte systématiquement lorsque « le signalement nécessite des investigations complémentaires ».

Des principes directeurs à respecter

L’enquête interne doit impérativement respecter plusieurs principes fondamentaux :

  • La confidentialité des informations recueillies ;
  • L’impartialité dans la conduite des investigations ;
  • L’objectivité dans l’analyse des faits ;
  • Le contradictoire permettant à chaque partie de s’exprimer ;
  • La présomption d’innocence de la personne mise en cause.

La Cour de cassation a notamment précisé dans un arrêt du 27 novembre 2024 que si l’employeur n’est pas tenu de communiquer l’intégralité du rapport d’enquête aux parties, il doit néanmoins fournir « des éléments suffisamment précis pour permettre un débat contradictoire ».

Un encadrement renforcé par le RGPD

Les enquêtes internes impliquant nécessairement le traitement de données personnelles, elles doivent aussi se conformer aux exigences du RGPD

Le référentiel de la CNIL relatif aux dispositifs d’alerte de juillet 2023 encadre strictement :

  • La collecte et la conservation des données ;
  • Les droits d’accès des personnes concernées ;
  • La durée de conservation des informations ;
  • Les mesures de sécurité et de confidentialité.

💡Vous avez besoin de creuser cet aspect ? Vous pouvez télécharger ici le dernier référentiel de la CNIL en matière d’alertes professionnelles.

Le déroulement de l’enquête interne : les étapes clés et les bonnes pratiques

Le succès d’une enquête interne repose sur une méthodologie rigoureuse, détaillée par le Défenseur des droits dans sa décision-cadre de 2025. Chaque étape doit être soigneusement documentée pour garantir la fiabilité des conclusions et le respect des droits de toutes les parties prenantes. Explications.

Le recueil du signalement initial

La phase initiale de recueil du signalement est clé pour la suite de l’enquête. La personne qui reçoit le signalement doit créer un climat de confiance tout en maintenant la neutralité nécessaire. 

Elle doit encourager l’auteur du signalement à formaliser par écrit sa déclaration, en détaillant précisément les faits rapportés et leur chronologie. Cette étape permet également d’identifier d’éventuels témoins ou éléments de preuve qui pourront être utiles à l’enquête. Il est essentiel d’informer dès ce stade l’auteur du signalement sur la confidentialité de la procédure et ses différentes étapes.

La constitution de l’équipe d’enquête

L’impartialité et la compétence des enquêteurs sont des conditions essentielles à la crédibilité de l’enquête. Qu’ils soient internes ou externes à l’entreprise, les enquêteurs ne doivent avoir aucun lien hiérarchique avec les personnes concernées pour garantir leur objectivité. 

Ils doivent disposer d’une formation adaptée aux investigations et être en nombre suffisant pour mener les entretiens dans de bonnes conditions. Un engagement de confidentialité strict encadre leur mission.

La conduite des auditions

Le Défenseur des droits a précisé que certaines auditions sont incontournables : la victime présumée doit bien sûr être entendue, ainsi que la personne mise en cause et les témoins directs ou indirects. 

Les responsables hiérarchiques concernés doivent également être auditionnés, de même que toute personne dont l’audition est expressément demandée par l’une des parties. 

Chaque entretien fait l’objet d’un compte-rendu écrit qui doit être validé par la personne entendue. La traçabilité est essentielle : si un témoin demandé n’est pas entendu, les raisons doivent être clairement documentées dans le rapport final.

Les mesures de protection pendant l’enquête interne

L’employeur ne peut se contenter de diligenter l’enquête : il doit également prendre des mesures conservatoires pour protéger la victime présumée et les témoins pendant toute la durée des investigations.

 Ces mesures peuvent prendre différentes formes selon les situations :

  •  recours au télétravail, 
  • dispense temporaire d’activité avec maintien de la rémunération, 
  •  mutation provisoire. 

Dans certains cas, une mise à pied conservatoire de la personne mise en cause peut s’avérer nécessaire. Ces décisions doivent toutefois être maniées avec précaution pour préserver à la fois la confidentialité de l’enquête, la présomption d’innocence et la sérénité des investigations.

Quels droits et obligations des parties prenantes d’une enquête interne ?

Le succès d’une enquête interne repose sur un équilibre délicat entre les droits de chacun et l’efficacité des investigations. L’employeur doit veiller au respect de certains principes fondamentaux tout au long de la procédure.

La confidentialité constitue la pierre angulaire du dispositif. Les témoins doivent être protégés d’éventuelles représailles, ce qui implique une stricte discrétion sur leur identité et leurs déclarations.

 La personne mise en cause bénéficie quant à elle de la présomption d’innocence et doit pouvoir exercer ses droits de défense, notamment en ayant accès aux éléments précis qui lui sont reprochés.

Le principe du contradictoire doit également être respecté. La Cour de cassation a précisé dans son arrêt du 27 novembre 2024 que si l’intégralité du rapport d’enquête n’a pas à être communiquée, l’employeur doit fournir des éléments suffisamment détaillés pour permettre un véritable débat. Cette exigence s’applique particulièrement lors de l’engagement d’une procédure disciplinaire.

Les représentants du personnel ont aussi un rôle à jouer. En cas d’alerte pour atteinte aux droits des personnes ou danger grave et imminent, une enquête conjointe doit être menée avec le représentant du CSE. Cette collaboration renforce la légitimité et l’efficacité de la démarche.

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  • Conduire une enquête interne.
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  • Collaborer avec les autres acteurs de prévention.

Sanctions et conséquences : l’importance d’une réponse adaptée

La conclusion de l’enquête interne constitue une étape décisive qui engage la responsabilité de l’employeur. En cas de faits avérés, celui-ci doit apporter une réponse ferme et proportionnée, sous peine de manquer à son obligation de sécurité.

Si l’enquête établit l’existence d’une discrimination ou d’un harcèlement, une sanction disciplinaire s’impose à l’encontre de son auteur. La jurisprudence considère notamment que le harcèlement sexuel justifie un licenciement pour faute grave. Des mesures doivent également être prises pour éloigner définitivement l’auteur des faits de sa victime, afin d’éviter tout risque de réitération.

À l’inverse, si les faits ne sont pas établis avec certitude, une vigilance particulière s’impose. Le Défenseur des droits recommande de ne pas exclure systématiquement la qualification de harcèlement en l’absence de preuves irréfutables, celles-ci étant souvent difficiles à réunir dans ce type de situation. L’employeur doit alors documenter précisément les raisons de ses conclusions et maintenir une vigilance accrue.

Au-delà des sanctions individuelles, l’enquête doit aussi déboucher sur des mesures de prévention collectives : renforcement de la formation, mise à jour des procédures internes, désignation de référents… Il s’agit aussi et surtout de tirer les enseignements de la situation pour éviter sa répétition.

En définitive, la multiplication des enquêtes internes témoigne d’une prise de conscience accrue des enjeux liés au harcèlement et aux discriminations dans le monde du travail. Pour être efficace, cette démarche doit respecter une méthodologie rigoureuse, garante des droits de chacun. Les récentes clarifications apportées par la jurisprudence et le Défenseur des droits permettent aujourd’hui aux employeurs de disposer d’un cadre précis pour mener ces investigations sensibles. 

L’enjeu est désormais de s’approprier ces bonnes pratiques pour faire de l’enquête interne un véritable outil au service de la prévention et du traitement des situations de harcèlement et de discrimination.

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