Partager la publication "Mise en demeure de l’URSSAF : les 7 questions à vous poser"
La mise en demeure de l’URSSAF : un document encadré par le Code de la Sécurité sociale
Quoique très simple, la mise en demeure (CSS art L. 244-2 et R. 244-1) constitue un document essentiel dans le cadre d’une procédure de redressement opérée par un organisme de recouvrement. L’article L. 244-2 du Code de la Sécurité sociale précise, en effet, que toute action ou poursuite effectuée par l’organisme de recouvrement est « obligatoirement » précédée d’une mise en demeure quand elle intervient sur l’initiative de l’organisme de recouvrement.
Les points liminaires à connaître
A titre liminaire, plusieurs points se doivent d’être mis en relief :
- Suivant l’arrêt dit Deperne, « la mise en demeure, qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de cette mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l’intéressé d’avoir connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation; [qu’] à cette fin il importe qu’elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d’un préjudice » (Cass soc. 19 mars 1992. pourvoi n° 88-11682 V ; également : Cass. soc., 2 déc. 1993, pourvoi n° 91-16576 ; Cass soc., 20 oct. 1994, pourvoi n° 92-12570 ; Cass soc., 12 oct. 1995, pourvoi n° 93-14001). On relèvera cette position très ferme de la chambre sociale suivant laquelle ce formalisme doit être respecté « à peine de nullité », « sans que soit exigée la preuve d’un préjudice ». Le décret n° 2007-546 du 11 avril 2007 a inscrit dans l’article R 244-1 alinéa 1, les obligations de l’arrêt « Deperne ».
- La mise en demeure, doit être considérée comme une « décision de recouvrement » (Cass civ.2°. 14 février 2019. pourvoi n° 17-27759 – Nîmes. 5° chambre Pôle social. 15 juin 2023. RG n° 21/01055 – Paris. Pôle 6 – Chambre 12. 26 avril 2024. RG n° 21/08513 – Paris. Pôle 6 – Chambre 13. 24 mai 2024. RG n° 20/03931 – TJ de Bourg en Bresse. CTX PROTECTION SOCIALE. 7 octobre 2024. RG n° 23/00165)
- Cette mise en demeure a une grande importance pour le calcul des prescriptions. Suivant l’article L 244-3 al 1 du Code de la sécurité sociale, dans un cadre d’un contrôle normal de cotisations « les cotisations et contributions sociales se prescrivent par trois ans à compter de la fin de l’année civile au titre de laquelle elles sont dues », sachant que c’est la mise en demeure qui va fixer un des aboutissements pour le calcul de ladite prescription (CSS art L 244-2). Pratiquement donc, une mise en demeure envoyée en décembre 2024 va pouvoir concerner des cotisations de 2021, 2022, 2023 et 2024 (ce délai est porté à cinq ans en cas de constatation d’une infraction de travail illégal : CSS art L 244-11). … Quant au délai de prescription de l’action civile en recouvrement, il est de trois ans à compter de l’expiration au terme d’un délai d’un mois de la mise en demeure (CSS L 244-8-1 – le délai d’un mois étant celui prévu pour que le débiteur puisse régulariser sa situation : CSS art L 244-2 – ledit délai serait de 5 ans « en cas de constatation d’une infraction de travail illégal par procès-verbal » CSS art L 244-11).
Les 7 questions à vous poser face à une mise en demeure de l’URSSAF
Ces quelques points étant posés, il convient de s’interroger sur les questions que le cotisant doit se poser.
1° question : l’organisme est il capable de prouver l’envoi de ce document ?
L’article L. 244-2 précise que l’envoi de la mise en demeure est « effectué par lettre recommandée ». La précision est importante, mais elle va de soi. En effet, la procédure du recommandé permet à l’URSSAF de prouver que le débiteur a bien été informé du montant du redressement ainsi que des possibilités de recours prévues par les textes. En cas de contestation du débiteur, il appartient à l’organisme de recouvrement de prouver que la notification du document a bien été accomplie (Cass. soc. 15 février 1989. Bull. civ. n° 143 V. également : Paris. Pôle 6. Ch. 12. 20 juin 2013. RG n° 12/02943 : faute de prouver l’envoi de la mise en demeure en lettre recommandée avec accusé de réception au cotisant, l’URSSAF n’est pas fondée à poursuivre les redressements litigieux qui dès lors doivent être purement et simplement annulés. V. dans le même sens : Paris. Pôle 6. Ch. 12. 7 mars 2013. RG n° 10/09239. Paris. Pôle 6. Ch. 12. 7 mars 2013. RG n° 10/09243. Douai. 30 novembre 2011. RG n° 10/02911)
En revanche, dès lors que l’URSSAF justifie de cet envoi en courrier recommandé avec accusé de réception, le défaut de réception effective par la société de cette mise en demeure n’est pas susceptible d’affecter ni la validité de celle-ci ni la validité de la procédure de redressement (Cass. civ. 2°. 24 janvier 2019. pourvoi n° 17-28437)
2°question : la mise en demeure a-t-elle été envoyée à la bonne adresse ?
La mise en demeure est adressée au siège de l’entreprise (Aix en Provence. Ch 14. 29 mars 2012. RG n° 10/17796). Pour la Cour d’appel de Nancy, la mise en demeure qui fait suite à la lettre d’observations et se réfère aux énonciations de ce document doit en conséquence être adressée à la même personne (Nancy. Chambre Sociale-1re sect. 21 février 2023. RG n° 22/01268 22/01283 22/01261 22/01279 22/01267 22/01263 22/01262 22/01287).
3° question : la mise en demeure comporte t’elle, outre la signature de son auteur, le nom, le prénom, la qualité de l’expéditeur du document ?
Il s’agit ici d’une application de l’article L 212-1 du Code des relations du public avec l’administration (CRPA) suivant lequel « toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ». Rappelons en outre que suivant l’article L 100-3 du CRPA, on entend par « Administration : les administrations de l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de Sécurité sociale ». Cette simple disposition signifie, sauf exception, que les relations URSSAF, MSA/cotisants entrent dans le champ d’application du CRPA et lui sont donc soumises.
Or, si pendant des lustres, la jurisprudence a décidé que l’absence de ces mentions n’était pas de nature à entraîner une nullité dès lors que le document précisait la dénomination de l’organisme qui l’a émis (Cass. civ. 2°. 5 juillet 2005. Bull. civ. II, n° 179 – Nancy, Chambre sociale, section 1, 14 décembre 2021, RG n° 21/01297 21/01298 – l’absence de signature de la mise en demeure n’en affecte pas la validité dès lors que l’organisme qui la délivre y est mentionné : Rouen. Chambre sociale. 6 octobre 2023. RG n° 22/03298)… Certaines décisions récentes semblent opter pour une autre orientation estimant que la carence de ces mentions entraîne la nullité de la mise en demeure (V ainsi : TJ de Vesoul. Contentieux général de la sécurité sociale. 8 septembre 2023. RG n° 23/00077, 22 juillet 2024. RG n° 23/00244, 23/00197, 23/00258, 23/00179, 23/00178, 23/00176 – V également Besançon. Chambre sociale. 3 décembre 2024. RG n° 22/01728 ainsi que TJ de Nanterre. CTX Protection sociale. 3 décembre 2024. RG n° 23/02705, 23/02112, 23/02566 suivant lequel viole le code des relations entre le public et l’administration la mise en demeure qui ne mentionne pas le nom, le prénom, la qualité de l’auteur du document).
4° question : le contenu de la mise en demeure est-il satisfaisant ?
Si la mise en demeure fait suite à un contrôle, elle doit mentionner au titre des différentes périodes annuelles contrôlées, les montants notifiés par la lettre d’observations corrigés le cas échéant à la suite des échanges entre la personne contrôlée et l’agent chargé du contrôle. La référence et les dates de la lettre d’observations et le cas échéant du dernier courrier établi par l’agent en charge du contrôle lors des échanges figurent sur le document. Les montants indiqués tiennent compte des sommes déjà réglées par la personne contrôlée.
Pour certaines Cours, ces mentions sont indispensables pour que le cotisant ait connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation et en leur absence, la mise en demeure est nulle (Aix-en-Provence, chambre 4-8b, 21 juin 2024, RG n° 22/15436 – Paris. Pôle 6 chambre 13. 29 septembre 2023. RG n° 19/10101 – V.en sens contraire : Pau, chambre sociale, 2 mars 2023, RG n° 21/00010)
5° question : avez-vous vérifié le montant réclamé ?
Suivant l’article R 243-59 III al 5 du Code de la sécurité sociale, les observations envoyées par l’URSSAF au début de la procédure contradictoire doivent comporter le « montant des redressements ». Quant à l’article R 244-1 al 1 du même Code, il indique que la mise en demeure précise « le montant des sommes réclamées ».
Quelles sont les conséquences si les sommes indiquées dans les deux documents ne sont pas identiques, alors que la mise en demeure fait expressément référence à la lettre d’observations ?
Commençons par le plus simple. Si la mise en demeure peut procéder par référence à la lettre d’observations, il convient toutefois que cette référence ne soit pas source de confusion : ainsi une différence de montant entre la lettre d’observations et la mise en demeure est de nature à la voir annuler si elle conduit à des discordances qui ne peuvent s’expliquer (Cass civ.2°. 9 octobre 2014, pourvoi n° 13-22039). Ainsi, doit être annulée la mise en demeure pour un montant de 24 284 euros alors que la lettre d’observations visait un redressement d’un montant global en cotisations de 36 071 euros que l’inspecteur de l’URSSAF avait expressément déclaré maintenir dans sa totalité après réception des observations de la société. Cette différence de 11 787 euros ne permettait pas à la société d’avoir une connaissance suffisamment précise de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation vis-à-vis de l’Union de recouvrement (Amiens. Ch. soc. 5. Cabinet A. 4 mars 2014. RG n° 13/00314, 13/00724
La solution semble en revanche plus compliquée à appréhender par les tribunaux dès lors que l’écart entre la mise en demeure et la lettre d’observations est faible. Ainsi, une différence de 2 euros entre la lettre d’observations et la mise en demeure ne permet pas d’invoquer la nullité de ladite mise en demeure (Metz. 12 janvier 2017. RG n° 15/01642 – 15/01029 – 15/01030 – V. pour une différence de 1€ : Rouen. Chambre sociale. 5 avril 2024. RG n° 21/04373, 3 € : Nîmes. 7 mars 2017. RG n° 15/04305 – Amiens. 2° protection sociale. 23 janvier 2024. RG n° 22/04183 ou 7 € : Cass civ.2°. 13 décembre 2007. pourvoi n°06-20543).
C’est cependant pour une position inverse qu’ont opté certaines juridictions. Ainsi, pour la Cour de Rennes, une différence même d’1 euro entre les observations et la mise en demeure peut entraîner une nullité de cette mise en demeure dès lors que cette différence est inexpliquée (Rennes, 9ème Ch Sécurité Sociale 18 avril 2018 RG n° 16/09507). De même, pour la Cour de Paris : « la discordance entre le montant des cotisations figurant sur la mise en demeure et celui mentionné dans la lettre d’observations [4 €] sans que le moindre élément d’explication n’en soit porté sur la mise en demeure, ne permettait pas au cas d’espèce au cotisant d’avoir connaissance de l’étendue exacte et certaine de son obligation, peu important à cet égard que la différence de montant soit peu importante » (Paris. Pôle 6 – Chambre 12. 14 octobre 2022. RG n° 18/05457 V. pour une décision identique s’agissant d’une différence de 491 € en défaveur du cotisant : Aix en Provence, Chambre 4-8, 11 mars 2022, n° 20/13201).
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6° question : avez-vous vérifié le libellé de la nature des cotisations ?
L’article R 244-1 du Code de la sécurité sociale précise que la mise en demeure doit comporter la cause, la nature et le montant des sommes réclamées, les majorations et pénalités qui s’y appliquent ainsi que la période à laquelle elles se rapportent.
Or, maintes mises en demeure comportent la simple mention « Nature des cotisations : régime général ».
Une telle mention est inexacte dans la plupart des cas. En effet, ledit régime général est défini à l’article L. 200-1 du Code de la sécurité sociale et couvre un certain nombre de risques : maladie, vieillesse, prestations familiales, protection universelle maladie, autonomie. En aucun cas par exemple, la contribution d’assurance chômage et l’AGS ne font ainsi partie du « Régine Général » ; certes, depuis le 1er janvier 2011, les contributions au régime d’assurance chômage et les cotisations au régime de garantie des salaires (AGS) sont recouvrées par les URSSAF (V. loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009). Mais cela ne vaut que pour le recouvrement des sommes qui n’ont rien à voir avec le régime général de la sécurité sociale … De même en est il de la CSG crée par la loi de finances n° 90-1168 du 29 décembre 1990 qui est considérée par le Conseil constitutionnel comme un impôt (et non pas comme une cotisation : décision 90-285 DC du 28 décembre 1990, décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000). De même en serait-il de la contribution FNAL, recouvrée par l’URSSAF, mais qui constitue un impôt (décision du 18 décembre 2014 n° 2014-706 DC) ou du versement mobilité (décision n° 2016-622 QPC du 30 mars 2017)
Pour certaines juridictions, ces mentions inexactes (alors que le document doit être « être précis et motivé » (CSS art L 244-2 al 2), rendent nulle la mise en demeure (Aix-en-Provence, 9 décembre 2022, n° 21/08307 – Tribunal Judiciaire de Lille. Pôle social. 12 juillet 2022. RG n° 20/01497- TJ Bobigny, Serv. contentieux social, 10 avril 2024, RG n° 23/00620 – TJ de Rennes, 7 juin 2024. RG n° 19/01099 – TJ de Besançon. Pôle social. 13 juin 2022. RG n° 21/00191)
Soulignons enfin que le fait que le cartouche de la mise en demeure « Nature des cotisations : régime général » renvoie à la lettre d’observations n’est ici strictement d’aucun secours pour rattraper ces insuffisances puisque c’est la mention même de la nature des sommes réclamées (le fait générateur) qui est inexacte, imprécise…
L’URSSAF ne saurait donc se targuer d’un renvoi à la lettre d’observations alors que c’est la mention même de la « nature des sommes réclamées qui est fausse.
7° question : le délai imparti au cotisant pour régulariser sa situation est-il mentionné ?
Suivant l’article L 244-2 du Code de la sécurité sociale, toute action ou poursuite est obligatoirement précédée, par une mise en demeure adressée par lettre recommandée à l’employeur l’invitant à régulariser sa situation dans le mois.
Une mise en demeure délivrée par une URSSAF qui ne mentionne pas ce délai imparti au cotisant pour régulariser sa situation est donc nulle (Cass civ. 2°. 31 mai 2005 pourvoi n° 03-30658 – 19 décembre 2019 pourvoi n° 18-23623)
Attention, un dernier point : une URSSAF peut régulariser une mise en demeure nulle par l’envoi d’une nouvelle mise en demeure dans le cadre du respect de la prescription des cotisations (Cass. civ. 2°. 6 juillet 2017. pourvoi n° 16-19384 – Amiens, 2° protection sociale, 8 avril 2021, RG n° 18/04145 : une URSSAF peut régulariser une mise en demeure nulle par l’envoi d’une nouvelle mise en demeure faite dans le respect de la procédure). Il convient donc d’être très attentif quant à la date où la nullité de la mise en demeure sera soulevée…