Fonction publique : La notion d’insuffisance professionnelle

Alors que le statut des fonctionnaires permet explicitement aux administrations de licencier un agent pour insuffisance professionnelle, peu d’entre elles y recourent. En outre, le rapport sur le "Coûts des normes et de l’enchevêtrement des compétences entre l’Etat et les collectivités" remis au gouvernement par le maire de Charleville-Mézières préconise de soumettre cette procédure à la commission administrative paritaire (CAP) où à la commission consultative paritaire (CCP, pour les agents contractuels) plutôt qu’au conseil de discipline afin de simplifier le recours à cette décision.

La notion d’insuffisance professionnelle
L'insuffisance professionnelle permet le licenciement d'un agent inapte à ses fonctions.

Qu’est-ce que l’insuffisance professionnelle ?

L’article L. 553-1 du code général de la fonction publique (CGFP) prévoit expressément que : 
« Le fonctionnaire peut être licencié : (…) Pour insuffisance professionnelle dans les conditions mentionnées aux articles L. 553-2 et L. 553-3 ».

L’insuffisance professionnelle se caractérise par l’inaptitude à exercer les fonctions d’un grade par rapport aux exigences de capacité que l’administration est en droit d’attendre d’un fonctionnaire de ce grade. Contrairement à la faute disciplinaire, aisée à établir la qualification d’insuffisance professionnelle relève d’une appréciation très subjective. La jurisprudence administrative a été amenée à préciser qu’elle pouvait, notamment, se caractériser par des éléments tels que l’incapacité de travailler en équipe, l’absence de rigueur dans l’exécution des tâches, la lenteur et la médiocrité du travail réalisé ou le manque d’éthique professionnelle (1).

La différence entre ces deux notions (faute et insuffisance) peut s’établir par référence aux notions de responsabilité et d’intention.

Par ailleurs, un licenciement pour insuffisance professionnelle est régulier alors même que certains des faits exposés dans le rapport fondant la décision de l’autorité hiérarchique seraient susceptibles de justifier une sanction disciplinaire dès lors que l’essentiel des faits reprochés relèvent de l’insuffisance professionnelle (2) ou que l’administration se fonde sur des éléments révélant l’inaptitude de l’agent au regard des exigences de capacité qu’elle est en droit d’attendre d’un fonctionnaire de son grade (3).

En outre, le licenciement pour insuffisance professionnelle est justifié même si l’agent n’a fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire antérieure (4).

Il ne peut être fondé que sur des éléments révélant l’inaptitude de l’agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé ou correspondant à son grade et non sur une carence ponctuelle dans l’exercice des fonctions.

Ainsi, le rappel effectué à un agent des règles relatives à l’utilisation du véhicule de service mis à sa disposition, relevant que la carrosserie était endommagée et l’invocation de deux carences ponctuelles au cours d’un mois ne constituent pas des éléments susceptibles de révéler l’inaptitude de l’intéressé à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé (5).
De plus, l’inaptitude n’a pas à être relevée à plusieurs reprises au cours de la carrière. Le juge administratif a estimé qu’une période de plus de trois mois au cours de laquelle aucune évolution positive de la manière de servir de l’agent n’a pu être constatée était suffisante pour évaluer l’insuffisance professionnelle de ce dernier (6). Ainsi, la procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle n’est enfermée dans aucun délai. L’administration peut notamment prendre en compte des faits portés à sa connaissance plusieurs années avant la date de décision de licenciement. C’est le caractère récurrent des manquements qui peut révéler une insuffisance professionnelle (7).

En revanche, l’insuffisance professionnelle ne peut :

  • être fondée sur l’inaptitude physique ou l’état de santé (8),
  • être constatée dans d’autres fonctions que celles occupées lors du licenciement (9).

Ainsi, une décision de licenciement pour insuffisance professionnelle d’un agent souffrant de troubles sévères de dyslexie et de dyscalculie a été annulée car reposant sur des motifs entachés de discrimination. En réalité, son employeur lui reprochait son manque de sincérité en ne l’ayant pas informé, dès son embauche, des troubles dont il souffrait (10).

Quelle est la procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle des fonctionnaires titulaires ?

Selon une décision d’une cour administrative d’appel, dans l’attente de l’issue de la procédure, l’administration peut écarter temporairement un agent de ses fonctions dans l’intérêt du service, même lorsqu’aucun texte ne prévoit cette possibilité, à condition que le litige repose sur des faits présentant un caractère de vraisemblance. Une telle décision constitue une mesure conservatoire ; elle n’a donc pas à être précédée de la saisine de la CAP (11).

En application des dispositions de l’article L. 553-2 du CGFP, un fonctionnaire qui fait preuve d’insuffisance professionnelle peut être licencié, après observation de la procédure prévue en matière disciplinaire.
Le conseil de discipline doit donc être obligatoirement consulté en cas de licenciement pour insuffisance professionnelle.

Comme indiqué ci-dessus, aucune disposition n’impose le respect d’un délai raisonnable entre le constat des carences de l’agent et le prononcé du licenciement pour insuffisance professionnelle (12).

Par ailleurs, aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe n’impose à l’administration, préalablement à un licenciement pour insuffisance professionnelle, de chercher à reclasser le fonctionnaire sur d’autres fonctions (13).

L’administration doit informer, par écrit le fonctionnaire, de la procédure engagée contre lui. Elle doit lui préciser les faits qui lui sont reprochés et l’informer de son droit à communication de son dossier et de la possibilité de se faire assister des défenseurs de son choix.

Le fonctionnaire doit pouvoir obtenir avant le licenciement, dans un délai suffisant, communication non seulement de son dossier, mais aussi de toute autre pièce sur laquelle l’administration se fonde, même si elle ne figure pas au dossier (14).
En revanche, aucune disposition législative ou règlementaire n’impose à l’administration de convoquer un fonctionnaire à un entretien préalable à l’engagement de cette procédure (15).

L’administration doit ensuite saisir le conseil de discipline d’un rapport précisant les faits reprochés, le fonctionnaire est invité à prendre connaissance de ce rapport.

Le conseil de discipline émet alors un avis qui doit être motivé. Mais l’administration n’est pas tenue de suivre cet avis.

En outre, lors de la consultation du conseil de discipline, à défaut de réunir l’accord d’une majorité des membres présents sur la proposition de licenciement pour insuffisance professionnelle, l’instance doit être regardée comme ayant été consultée et comme ne s’étant pas prononcée en faveur de cette proposition. Un tel avis ne fait toutefois pas obstacle à ce que l’autorité administrative puisse décider de licencier l’intéressé (16).

Enfin la décision de licenciement prise par l’administration doit être motivée. Ainsi, elle doit comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement (17).

Quelle est la procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle des fonctionnaires stagiaires ?

Les fonctionnaires stagiaires qui font preuve d’insuffisance professionnelle peuvent être licenciés en cours de stage après avis de la CAP. Le licenciement ne peut intervenir avant que le stagiaire ait effectué la moitié de la durée normale du stage.

La décision de licenciement doit être précédée de la communication du dossier individuel de l’agent et doit être motivée.

Enfin, le juge administratif se refuse de se substituer à l’employeur public en lui imposant la titularisation du requérant. Il en résulte que le fonctionnaire est maintenu en qualité de stagiaire, avec toutes les conséquences qui en résultent, eu égard au laps de temps entre le licenciement et la notification de son annulation.

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Un fonctionnaire licencié pour insuffisance professionnelle peut-il bénéficier d’une indemnisation ?

En application des dispositions de l’article L. 553-3 du CGFP :

« Le fonctionnaire licencié pour insuffisance professionnelle peut recevoir une indemnité dans des conditions fixées par décret » (18).

Ainsi, le fonctionnaire titulaire licencié pour insuffisance professionnelle qui ne satisfait pas aux conditions pour être admis à la retraite à jouissance immédiate a droit, sauf cas de faute lourde, à une indemnité de licenciement.

La qualification de la faute relève de la compétence de l’administration sous le contrôle du juge administratif.

En revanche, un fonctionnaire stagiaire licencié pour insuffisance professionnelle ne peut prétendre à une indemnité.

L’indemnité est égale aux 3/4 du traitement brut afférent au dernier mois d’activité, multiplié par le nombre d’années de service valables pour la retraite limité à 15 ans.

Le calcul est opéré sur la base du traitement en vigueur à la date du licenciement, majoré du supplément familial et de l’indemnité de résidence

L’indemnité de licenciement statutairement prévue pour les fonctionnaires ne constitue pas une rémunération versée en contrepartie de la prestation de travail : elle a en effet un caractère de dommages-intérêts. Elle n’est donc pas soumise aux mêmes règles en matière de prélèvements obligatoires. Ainsi, l’article 80 duodecies 1 3° du code général des impôts dispose que l’indemnité de licenciement n’est pas imposable, sous réserve qu’elle n’excède pas le montant prévu par la loi. C’est que forcément le cas, l’administration ne disposant d’aucune marge de manœuvre.

Du fait de l’impossibilité de dépassement du montant fixé par la loi, l’indemnité de licenciement ne subit pas de prélèvement au titre de la CSG et de la CRDS (19). Elle est également exonérée des autres prélèvements obligatoires, puisqu’elle n’est assimilable ni au traitement, ni, plus généralement, à une rémunération.


Références :

  1. CAA Bordeaux, 12 juin 2012, requête n° 11BX03228 ;
  2. CAA Paris, 20 février 1996, requête n° 94PA00933 ;
  3. CAA Versailles, 26 janvier 2016, requête n° 14VE00916 ;
  4. CAA Bordeaux, 26 juin 2001, requête n° 97BX00780 ;
  5. CAA Marseille, 11 février 2021, requête n° 19MA03625 ;
  6. CE, 30 décembre 2020, requête n° 428015 ;
  7. CAA Nantes, 30 novembre 2018, requête n° 17NT02410 ;
  8. CE, 25 février 1972, requête n° 80674 ;
  9. CE, 6 juin 1980, requête n° 18435 ;
  10. CAA Marseille, 5 avril 2002, requête n° 21MA01214 ;
  11. CAA Nancy, 20 septembre 2012, requête n° 12NC00237 ;
  12. Voir note 7 ;
  13. CE, 18 janvier 2017, requête n° 390396 ;
  14. CE, 24 octobre 2012, requête n° 338290 ;
  15. CAA Nancy, 31 janvier 2013, requête n° 12NC00246 ;
  16. CE, 3 mai 2023, requête n° 466103 ;
  17. CAA Versailles, 14 avril 2011, requête n° 09VE01962 ;
  18. Pour la fonction publique d’Etat, il s’agit du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985, relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l’Etat, à la mise à disposition, à l’intégration et à la cessation définitive de fonctions (article 61) ; pour la fonction publique territoriale, il s’agit du décret n° 85-186 du 7 février 1985, relatif à l’indemnité de licenciement pour insuffisance professionnelle due aux fonctionnaires des collectivités territoriales et pour la fonction publique hospitalière, de l’arrêté du 19 décembre 1983 relatif à l’indemnisation des agents des établissements d’hospitalisation publics et de certains établissements à caractère social licenciés pour insuffisance professionnelle ;
  19. Article L. 136-2- II- 5° du code de la sécurité sociale.

 

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