Fonction Publique : l’obligation de signalement des crimes et délits au procureur de la République et les lanceurs d’alerte

L’existence du dispositif d’alerte prévu par les articles 6 et suivants de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, modifiée, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 » [dans leur rédaction issue de la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte], nécessite d’en préciser l’articulation avec le régime de l’obligation de signalement prévue à l’article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale (CPP). En effet, dans un cas il est prévue « une possibilité de signalement », alors que dans l’autre « une obligation de signalement » s’impose à chaque agent public.

L’obligation de signalement des crimes et délits au procureur de la République et les lanceurs d’alerte
L'articulation entre le signalement des crimes et la protection des lanceurs d'alerte.

Quelles sont les catégories d’agents concernés par l’obligation prévue à l’article 40 alinéa 2 du CPP ?

L’article 40 alinéa 2 du CPP dispose que : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

Ainsi, aux termes de cette disposition, les autorités constituées, les officiers publics et les fonctionnaires ont une obligation de signalement des crimes et délits au procureur de la République. Le terme de « fonctionnaire » doit être entendu de façon large, au sens d’agent exerçant une fonction publique (1). Il inclut toute personne employée sous un régime de droit public : fonctionnaires titulaires et stagiaires, militaires, agents contractuels, vacataires, qu’ils relèvent ou non du code général de la fonction publique (CGFP) (2). S’agissant de ces derniers, ledit code indique bien que c’est l’ensemble des agents publics qui relèvent de ses dispositions – et pas seulement les fonctionnaires – qui entrent dans le champ de l’article 40 alinéa 2 du CPP, à travers la rédaction de son article L. 121-11. Ce dernier dispose en effet :

« Les agents publics se conforment aux dispositions du second alinéa de l’article 40 du code de procédure pénale pour tout crime ou délit dont ils acquièrent la connaissance dans l’exercice de leurs fonctions » (3).

S’agissant des militaires, cette obligation est prévue au I. de l’article L. 4122-4 du code de la défense.

Quels types d’agents sont exclus du champ d’application de l’article 40 alinéa 2 du CPP ?

Il s’agit des agents de l’administration dont les conditions d’emploi ne relèvent pas d’un régime de droit public. Entrent, en particulier, dans cette catégorie : les agents des services publics industriels et commerciaux (Spic), mêmes organisés en régie ou en établissements publics, lorsque leurs conditions d’emploi relèvent du code du travail. Il s’agit, également, des apprentis et des stagiaires (élèves et étudiants, à ne pas confondre avec les fonctionnaires accomplissant une période de stage statutaire). La doctrine précise, en outre, que l’article 40 alinéa 2 du CPP ne s’applique pas aux collaborateurs bénévoles ou aux « recrutés locaux ».

Enfin, les co-contractants de l’administration n’entrent pas dans le champ de l’article 40 alinéa 2 du CPP.

Quel est le périmètre des faits devant être signalés sur la base de l’article 40 alinéa 2 du CPP ?

L’obligation de signalement en application de l’article 40 alinéa 2 du CPP s’impose à l’agent public pour les faits dont il acquiert connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui revêtent la qualification de crime (toute infraction punie d’une peine de réclusion criminelle supérieure à 10 ans) ou de délit (peine d’amende supérieure à 3750 euros au moins et/ou d’emprisonnement inférieure ou égale à 10 ans).

Seul le procureur de la République peut être rendu destinataire du signalement effectué en application de l’article 40 alinéa 2, précité. Le juge judiciaire a déjà eu l’occasion d’indiquer que :

« si l’article 40 du code de procédure pénale fait obligation à tout fonctionnaire ayant, dans l’exercice de ses fonctions, acquis la connaissance d’un crime ou d’un délit d’en donner avis au procureur de la République, cette disposition ne saurait autoriser un agent public à enfreindre l’obligation de discrétion à laquelle il est soumis et à révéler à des particuliers des faits jugés par lui répréhensibles » (4). Il convient, cependant, de noter que le terme « discrétion » renvoie, en l’espèce, au secret de la correspondance s’imposant aux postiers (secret professionnel) et non à l’obligation de discrétion professionnelle, prévue par le statut.

Avant de transmettre un signalement au procureur de la République, l’agent public, s’il n’est pas tenu d’avoir acquis la certitude que les faits sont exacts, ni d’être certain de leur qualification pénale, doit signaler ces faits, dès lors qu’il a acquis la connaissance d’un crime ou d’un délit. Cependant, le pouvoir d’appréciation des faits ne doit pas se transformer en pouvoir d’appréciation de l’opportunité des poursuites pénales qui reste de la seule responsabilité du ministère public. Enfin, l’agent public doit signaler les faits dont il acquiert connaissance dans l’exercice de ses fonctions.

Le non-respect de l’obligation de signalement est-il susceptible d’être sanctionné ?

Si le code de procédure pénale ne prévoit pas de sanction pénale (5) en cas de non-respect de l’obligation de signalement prévue par l’article 40 alinéa 2, précité, des sanctions disciplinaires peuvent être envisagées (6). Elles ne sont pas subordonnées à la mise en œuvre d’une action pénale dirigée contre l’agent ayant commis une faute.

Quel est le rôle de la chaîne hiérarchique dans le régime de signalement prévu à l’article 40, alinéa 2 du CPP ?

A la différence de la loi du 9 décembre 2016, précitée et de son décret d’application du 3 octobre 2022 (7), cette disposition du code de procédure pénale ne précise pas les modalités concrètes du signalement à opérer. Elle indique seulement que le destinataire du signalement est le procureur de la République, que l’auteur du signalement doit lui transmettre « tous les renseignements, procès-verbaux et actes »relatifs à l’objet du signalement et que le signalement doit intervenir sans délai.
Pour signaler un crime ou un délit en application de l’article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale, le recours à une autorisation du supérieur hiérarchique n’est donc pas nécessaire (8). La dénonciation des faits peut donc être directement effectuée auprès du procureur de la République par l’agent qui en a connaissance par tout moyen (9), par exemple par simple lettre ou déclaration orale. La chaîne hiérarchique ne peut pas faire obstacle à la mise en œuvre par les agents publics de leur obligation de signalement imposée par la loi.

Pour autant, une intervention hiérarchique est possible.

Ainsi, les chefs de service peuvent, dans le cadre de leurs pouvoirs d’organisation, préciser les modalités pratiques de mise en œuvre du signalement (10).

Par ailleurs, le principe déontologique de loyauté, de nature jurisprudentielle pour les agents publics relevant du CGFP et inscrit à l’article L. 4111-1 du code de la défense pour les militaires, conduit à conseiller à tout agent effectuant un signalement au procureur de la République sur la base de l’article 40 alinéa 2 du CPP d’en informer son supérieur hiérarchique, sauf, lorsque celui-ci est concerné par les faits signalés.

En outre, la jurisprudence a admis que le supérieur hiérarchique effectue un signalement sur la base des travaux de ses subordonnés qui découvrent directement dans l’exercice de leurs fonctions une situation constitutive d’un crime ou d’un délit (11). Il incombe, alors, au supérieur hiérarchique d’évaluer si la situation nécessite d’informer l’autorité judiciaire, éventuellement après avoir diligenté des investigations complémentaires (12)

Cependant, si la jurisprudence admet que ce soit l’autorité supérieure qui s’acquitte de l’obligation de signalement, il convient que celui-ci soit réalisé dans le respect des « exigences de l’article 40 du code de procédure pénale » (13).

Dans son étude sur le droit d’alerte adoptée par son assemblée générale plénière le 25 février 2016, le Conseil d’État a, pour sa part, déduit de cet arrêt, cité en note 11, qu’il « incombe dans ce cas à l’agent à l’origine de l’alerte de veiller à sa transmission dans les meilleurs délais et, au besoin, de reprendre l’initiative en cas d’inertie ou de refus de son autorité hiérarchique » (14). Dès lors, l’agent n’est libéré de son obligation de signalement direct que si son supérieur hiérarchique, informé, y donne la suite appropriée. Face à une abstention du supérieur hiérarchique, l’agent devra transmettre lui-même le signalement au ministère public. Le retour d’information est donc indispensable pour que l’agent public, qui a transmis à sa hiérarchie les éléments permettant de réaliser une alerte en application de l’article 40 alinéa 2 du CPP, évalue si celle-ci a bien pris les mesures levant sa responsabilité personnelle.
Dès lors qu’une administration adopte une procédure impliquant que le supérieur hiérarchique soit informé et chargé de procéder au signalement auprès du procureur de la République, il importe donc :

  • que la procédure prévoie la possibilité de conflits d’intérêts et propose une voie de contournement ;
  • que soit organisé le retour d’information à destination de l’agent à l’origine du signalement.

A ce titre, les règles applicables en matière d’information des auteurs de signalement en application des articles 6 et suivants de la loi du 9 décembre 2016 et du décret du 3 octobre 2022, précités, peuvent inspirer l’organisation du retour d’information à l’auteur d’un signalement sur la base de l’article 40 alinéa 2 du CPP.

L’OCDE, quant à elle, souligne que le passage par l’autorité hiérarchique laisse une place importante au pouvoir d’appréciation en opportunité du bien-fondé du signalement et exprime donc des craintes sur le fait que ce passage ne gêne la transmission de signalements au procureur de la République. Pour elle, il importe donc d’organiser ce retour systématique d’information à l’agent à l’origine du signalement (15).

Que doit faire le référent alerte en cas de signalement par un agent public d’un crime ou d’un délit via la procédure découlant des articles 6 et suivants de la loi du 9 décembre 2016 ?

Avant l’adoption de la loi du 21 mars 2022, il était recommandé, lors d’un signalement effectué sur la base de l’article 40 alinéa 2 du CPP, de réaliser simultanément un signalement auprès du référent alerte. Cette recommandation avait pour but d’assurer à l’agent public le bénéfice des mesures de protection de la loi du 9 décembre 2016, précitée. Du fait de l’alignement complet des dispositifs de protection des auteurs de signalement, qu’ils soient opérés sur la base de l’article 40 alinéa 2 du CPP ou des articles 6 et suivants de la loi du 9 décembre 2016, ce double signalement n’est plus nécessaire. Il demeure toutefois possible pour un agent public d’effectuer simultanément un signalement auprès du procureur de la République sur la base de l’article 40 alinéa 2 du CPP et une alerte en application des articles 6 et suivants de la loi du 9 décembre 2016 pour dénoncer des faits constitutifs d’un crime ou d’un délit.

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Tableau récapitulatif sur l’articulation entre l’article 40 alinéa 2 du code de procédure CPP et l’alerte prévue aux articles 6 et suivants de la loi du 9 décembre 2016, précitée (crimes et délits dont la connaissance a été acquise dans l’exercice des fonctions)

Signalement / alerte

Article 40 alinéa 2 du CPP

Articles 6 et suivants de la loi du 9 décembre 2016

Auteurs

Les agents publics civils (toute personne employée sous un régime de droit public : fonctionnaires titulaires et stagiaires, agents contractuels, vacataires, qu’ils relèvent ou non du CGFP) et les militaires

  • Les collaborateurs, co-contractants et membres des organes dirigeants de l’administration non inclus dans le champ d’application de l’article 40 alinéa 2 du CPP (contractuels de droit privé, agents de droit local étranger, personnes dont la relation de travail s’est terminée, personnes qui se sont portées candidates à un emploi au sein de l’entité concernée, membres de l’organe d’administration ou de direction de l’entité concernée qui n’ont pas la qualité d’agent public, cocontractants de l’entité concernée et leurs sous-traitants) : pour l’ensemble des informations mentionnées au I de l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016.
  • Les agents publics civil et militaires également inclus dans le champ de l’article 40 alinéa 2 du CPP.

Périmètre et caractéristiques des faits signalés

Lorsque l’auteur du signalement dispose d’éléments suffisants lui permettant d’acquérir la connaissance d’un crime ou d’un délit justifiant d’en donner avis sans délai au procureur de la République

Informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement.
Ces informations peuvent concerner des faits seulement très susceptibles de se produire. Pour qu’un signalement interne soit possible, il doit porter sur des faits qui se sont produits ou sont très susceptibles de se produire dans l’entité concernée. L’auteur du signalement peut ne pas avoir acquis personnellement la connaissance de ces informations.

Procédure

Signalement obligatoire au procureur de la République : transmission sans délai de tous les renseignements, procès-verbaux et actes relatifs à l’objet du signalement.

Signalement facultatif :

  • Interne, dans le respect de la procédure mise en place par l’employeur public, en application du décret n° 2022- 1284 du 3 octobre 2022, relatif aux procédures de recueil et de traitement des signalements émis par les lanceurs d’alerte et fixant la liste des autorités externes instituées par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte.
  • Externe (même référence juridique). Il n’existe ni temporalité à respecter, ni hiérarchie entre ces deux procédures de signalement portant sur les mêmes faits.

Divulgation publique, par voie de presse, notamment (sous certaines conditions).

Document sans nom

Références :

  1. Cass. crim., 6 juillet 1977, pourvoi n° 76-92.990, Bull.crim. n° 255 ;
  2. CAA Nantes, 30 mars 2020, requête n° 18NT02423, s’agissant des praticiens hospitaliers relevant du code de la santé publique ;
  3. En revanche, les magistrats de l’ordre administratif, statuant au contentieux, sont exclus du champ d’application de l’article 40 alinéa 2 du CPP (CE, 28 décembre 2001, Givry, requête n° 233993) ;
  4.  Cass. crim., 6 juillet 1977, pourvoi n° 76-92.990, Bull. crim. n° 255 ;
  5.  Cass. crim., 13 octobre 1992, pourvoi n° 91-82.456, Bull.crim. n° 320 ;
  6.  CAA Paris, 30 juin 2004, M. Patrick X, requête n°01PA00841 : la sanction doit prendre en compte les circonstances particulières de l’espèce, par exemple si l’agent devait, compte tenu de sa formation, de son niveau de responsabilité ou encore de son expérience, savoir que les faits portés à sa connaissance étaient de nature correctionnelle ou criminelle ;
  7. Décret n° 2022- 1284 du 3 octobre 2022, relatif aux procédures de recueil et de traitement des signalements émis par les lanceurs d’alerte et fixant la liste des autorités externes instituées par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte ;
  8. CE, 15 mars 1996, M. Guigon, requête n° 146326 ;
  9. Question écrite AN n° 38841, du 11 mai 2011, posée par M. Pierre Morel A L’Huissier ;
  10. CE, 20 mars 2000, MM. Hanse et autres, requête n° 200387 ;
  11. Cass. crim., 14 décembre 2000, pourvoi n° 00-86.595, Bull. crim., n° 380 ;
  12. CE, 29 décembre 2000, M. Treyssac, requête n° 197739 ;
  13. Voir note 11 ;
  14. Conseil d’État, « Le droit d’alerte : signaler, traiter, protéger », La Documentation française, 2016. ;
  15. OCDE, Rapport de phase 3 sur la mise en œuvre par la France de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption, 2012, point 171.

 

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