Les moyens mis en œuvre pour redynamiser l’offre de soins : un constat en demi-teinte

Depuis plusieurs années, le gouvernement s’efforce de revitaliser le système de santé par le biais de diverses réformes. Ces initiatives visent à améliorer les conditions de travail des professionnels de santé, à travers des modifications statutaires, des ajustements du temps de travail et des revalorisations salariales. Cependant, malgré ces efforts, les résultats demeurent mitigés. La loi « RIST » et le plafonnement des rémunérations ont créé des tensions et des défis supplémentaires pour les établissements de santé. Le récent rapport de la Cour des comptes, publié le 23 juillet 2024, dresse un bilan nuancé des mesures prises, soulignant les effets pervers et les adaptations nécessaires pour trouver un équilibre durable entre l’offre de soins et l’attractivité du secteur médical.

Les moyens mis en œuvre pour redynamiser l’offre de soins : un constat en demi-teinte
Malgré les mesures récentes, les conditions de travail des professionnels de santé peinent à s'améliorer.

La situation du système de santé français n’est un secret pour personne et le gouvernement tente depuis plusieurs années d’en améliorer l’économie générale. À travers de nombreuses réformes modifiant les statuts, clarifiant le temps de travail, ou encore renforçant les systèmes de rémunération et de primes, le réglementateur a tenté de créer un « nudge » au sein des affaires médicales.

Ce coup de coude aux établissements, du moins d’un point de vue réglementaire – l’assurance financière d’y parvenir étant moins certaine – a permis de limiter la perte d’attractivité du métier, de diversifier l’activité et de subir moins de perte dans l’offre de soins sur le territoire. Bien que freinée, la fuite en avant continue malheureusement !

Différentes mesures ont dû être adaptées depuis pour permettre l’équilibre subtil entre offre de soins suffisante et attractivité nécessaire. Parmi ces dernières, l’une d’entre elles a fait figure de dynamite : le plafonnement des rémunérations introduit par la loi « RIST ».

En n’imposant pas de limite coercitive à la rémunération pratiquée par les établissements de santé, le régime juridique avait parfois pour conséquence de verser à certains praticiens, une rémunération bien plus importante que celle permise. L’offre de soins et la continuité du système de santé n’en était alors pas affectés.

La situation financière des établissements, bien plus, et elle semble être redevenue une priorité. D’abord en raison des dettes très lourdes que cumulent les administrations chargées de la santé, mais surtout parce que l’épuisement des ressources financières des établissements peut créer, à long terme, un véritable assèchement de l’offre de soins, voire une baisse de qualité. Pour réintroduire un équilibre pertinent, le gouvernement a donc limité la rémunération offerte aux personnels de santé, dans la limite du raisonnable, et en particulier à destination des emplois temporaires, introduisant même une sanction en cas de dépassement.

Pour éviter la fuite annoncée par les intéressés eux-mêmes, dès octobre 2021, le gouvernement a proposé de compenser la perte d’attractivité que constitue ce plafonnement, par la création de la prime de solidarité territoriale, fin 2022. Depuis le montant maximum proposé aux personnels médicaux a été révisé. La limitation de la rémunération ainsi que la nécessaire conservation de l’offre de soins a ainsi généré différents comportements dans les administrations, certaines prévisibles, d’autres moins. Le « nudge » initié ne parait pas avoir été suffisant et c’est en ce sens que la Cour des comptes, par un rapport rendu public le 23 juillet 2024, dresse un constat en demi-teinte de l’ensemble des mesures prises pour redynamiser l’offre de soins dans le cadre du recours aux emplois temporaires.

Relevant les effets parfois pervers de ces différentes réformes, la Cour fixe une série de recommandation destinées à améliorer de nouveau le système.

Le constat : les réformes n’ont pas endigué le recours accru aux emplois temporaires

Le rapport dresse, dans un premier temps, le constat du recrutement temporaire dans les hôpitaux publics et le paradoxe dans lequel il est enserré :

  • D’une part : l’absolue nécessité de recourir à tous les types de contrats courts, de gré à gré, de motif 2, d’intérim… pour pallier l’absence de ressources et, principalement, éviter les fermetures de services voire d’établissement.
  • D’autre part, les administrations ne peuvent non plus ignorer l’impact de ce coût sur leur santé financière.

À cet égard, la Cour des comptes relève plusieurs situations aggravant ces constats :

  • la différence de tarifs pratiquée au sein de l’ensemble des établissements d’un même territoire ;
  • la distance que prennent certains établissements avec le respect de la réglementation ;
  • la différence de traitement qui en résulte avec les autres catégories de personnel et, en particulier avec les praticiens hospitaliers.

En définitive, l’offre de soins cherche à maintenir une présence étendue sur le territoire, entraînant un recours accru aux emplois temporaires et une augmentation de la masse salariale, tout en négligeant les recommandations de bonnes pratiques ainsi que ses conséquences sur la pérennité du système de santé.

La critique : les effets parfois pervers des réformes mises en place

Dans un second temps, le rapport de la Cour des comptes critique les mesures mises en place par le législateur et le gouvernement depuis 2017. En effet, selon les juges financiers, ces mesures n’ont pas créé les effets escomptés. Le plafonnement des rémunérations d’intérim provoqué par la loi « RIST » en est un exemple : le réglementateur a entendu limiter le montant proposé aux praticiens assurant une prestation d’intérim, afin de mettre fin au « mercenariat ». Néanmoins, comme le constate la Cour des comptes dans son rapport, ce n’est pas sans mal et sans volonté de compenser ces pertes que ces projets ont vu le jour.

Ainsi, de manière symptomatique :

  • l’entrée en vigueur du dispositif de plafonnement (loi « RIST ») a été déplacé d’octobre 2021 à avril 2023 en raison de l’opposition franche de la communauté médicale ;
  • le montant de la rémunération plafonné a été révisé à au moins 3 reprises depuis cette date, pour passer de 1 170,04 € à 1 410,69 € pour 24h de travail effectif ;
  • la potentielle perte financière au détriment des médecins a été compensée par la mise en place de la prime de solidarité territoriale.

Aussi, le constat d’un recours à l’intérim trop onéreux pour les établissements et son mercenariat, a cédé sa place à une dynamique générale de systématisation des primes, notamment la PST. Le gouvernement semble, dans cette mesure, n’avoir que déplacé le problème, voire en avoir créé d’autres.

Désormais, les praticiens hospitaliers, que la réforme de février 2022, a voulu consacrer comme modèle d’emploi en médecine dans les établissements publics de santé, observent avec envie ces « mercenaires » aux rémunérations plus élevées et aux charges courantes moins lourdes. Car si les praticiens hospitaliers ne peuvent pas toujours prétendre aux mêmes rémunérations que les praticiens contractuels de motifs 2 ou ceux recruté par la voie de l’intérim, ce sont en règles générale ces même praticiens titulaires qui sont chargés de la chefferie de pôle, de service ou d’activités accomplies en CME ou dans d’autres instances.

Ce constat peut être émis à plus forte raison qu’aujourd’hui – et depuis février 2022 – les praticiens hospitaliers ne peuvent plus bénéficier d’un détachement sur un contrat de motif 2, comme ils pouvaient auparavant le faire sur les contrats de cliniciens.

Les propositions : de nouvelles pistes d’amélioration ou un renforcement de l’effet d’aubaine ?

C’est pourquoi, dans un troisième temps, la Cour des comptes émet certaines propositions d’évolutions : la mise en place d’une stratégie territoriale, améliorer la connaissance de la structure des emplois médicaux, rendre plus performante la gestion au quotidien du personnel médical.

Les mesures concrètes envisagées dans ce cadre paraissent déjà faire l’objet d’initiatives ça et là :

  • préparer des plans de continuité territoriale pour définir une stratégie de regroupement de l’offre de soins ;
  • réorganiser la permanence de soins et réviser les schémas régionaux de permanence des soins pour ajuster les lignes d’astreintes et de gardes aux besoins territoriaux ;
  • mutualiser les ressources à l’échelon territorial pour renforcer les organisations de permanence des soins ;
  • à nouveau revaloriser les indemnités de permanence des soins pour améliorer l’attractivité de l’emploi médical hospitalier ;
  • intégrer la gestion médicale au sein des GHT.

Somme toute, les effets d’aubaine, voire pervers, de la réforme de la rémunération de l’intérim médical, entrée en vigueur en avril 2023, qui alimentait de nombreuses peurs, accompagnée des fruits des réformes statutaires du personnel médical, de février 2022, n’est pas suffisant aujourd’hui pour garantir la pérennité du système médical français.

Si elle formule bien des recommandations à l’ensemble de ces situations, la Cour des comptes n’en oublie pas de garder une certaine forme de sévérité à l‘égard des réformes mises en place, qui pour certaines, n’ont rien changé, voire ont aggravé la situation. Pour les juges financiers, les mesures en cause ont quasiment toutes été appliquées par les établissements de manière diverses, parfois n’ont pas été appliquées ou ont souvent été détournées et, ont également créé, dans certaines situations, des effets contreproductifs. Et les nouvelles mesures concernant la revalorisation des rémunérations ne pourra être la seule à engager le cercle vertueux permettant aux établissements de retrouver une offre médicale attrayante et compétitive et aux personnels médicaux un lieu de travail épanouissant.

Comme le rappelle la Cour des comptes, ces mesures ont en effet créé des effets d’aubaine « non maîtrisés et délétère […] et la seule régulation par les tarifs ne suffit pas à résoudre les conséquences d’une pénurie durable de médecins ».

Encore quelques chantiers en cours…

Bien que la Cour se soit concentrée, dans son rapport, sur le recours à l’emploi temporaire du personnel médical, bien d’autres champs, effleurés dans son rapport, tendent à montrer les effets parfois contreproductifs des réformes concernant ce type de personnels et les symptômes aggravants d’un système hospitalier qui souffre. Un autre de ces symptômes émergeants réside dans la réforme des praticiens à diplôme hors union européenne. En effet, de la même façon que pour le recours à l’intérim des médecins, qui avait tendance à être sur employé par les établissements, pour éviter des conséquences sur la continuité des soins, ces derniers devaient recruter des praticiens ne disposant pas de tous les diplômes nécessaires pour exercer sur le territoire.

Dans une dynamique de réduction des coûts, de contrôle recentralisé auprès du CNG, mais également de gestion des flux migratoires, le gouvernement a resserré ce type de recrutement. Il a d’abord créé le statut de praticien associé pour effectuer un parcours de consolidation avant d’obtenir un véritable plein exercice, il a créé une voie unique d’accès à ce parcours par la voie de l’épreuve de vérifications des connaissances et drastiquement limité toutes les autres voies de recrutement. Aussi, pour faire face à la réalité et maintenir l’offre de soins sur le territoire, les établissements se sont repliés sur l’une des toutes dernières solutions : le recrutement de stagiaires associés. Initialement conçu comme un « ERASMUS médical », ce type de recrutement a été dévoyé et constitue aujourd’hui, par effet d’aubaine, l’une des premières sources de recrutement des praticiens à diplôme hors union européenne.

Peut-être ce sujet fera-t-il l’objet d’une prochaine étude mené par la Cour des comptes ?

Le constat qui en sera fait, pourra certainement reprendre la même structure : d’importants moyens mis en œuvre susceptibles de mettre en péril le système hospitalier, des mesures contre productives et d’autres solutions de mutualisation et de revalorisation. Nous ne manquerons pas d’y être attentif, toujours dans notre dynamique d’amélioration des pratiques et de performance.

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Conclusion

Le constat parfois alarmant de la Cour des comptes, couplé aux autres chantiers qui semblent s’annoncer pour le personnel médical, toujours sur la ligne de crête entre le maintien d’une offre de soin suffisante et l’attractivité de la profession, ne doit pas également faire oublier une autre difficulté : la charge des agents chargés de la gestion des affaires médicales.

En effet, chargés de la gestion d’un régime juridique déjà lourd, ils s’emploient depuis plusieurs années à suivre les évolutions de sa réglementation, ce qui entraîne naturellement un turn-over important des équipes, une obscurité dans la compréhension des textes et même des disparités sur le territoire.

Les oublier dans l’équilibre entre offre de soins et attractivité serait également dommageable à l’un et à l’autre de ces deux faces de la même pièce que représente la pérennité du système de santé.

 

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