La notion d’agent « faisant fonction » au sein des services publics

Un agent « faisant fonction » est un fonctionnaire qui exerce un emploi correspondant à un grade supérieur au sien. Et, dans la fonction publique hospitalière, il s’agit souvent, d’un agent qui ne dispose pas d’un diplôme lui permettant d’exercer.

Cette situation est fréquemment rencontrée sur certains emplois tels que les infirmiers spécialisés (Ibode - infirmiers de bloc opératoire diplômés d'État, Iade – infirmiers anesthésistes diplômés d’Etat, ou encore infirmiers puériculteurs), les aides-soignants et les cadres de santé. Elle existe également, de façon moins systématisée, au sein des autres versants de la fonction publique (de l’Etat ou territoriale).

La notion d’agent « faisant fonction » au sein des services publics
Un agent "faisant fonction" : un rôle crucial mais souvent controversé dans les services publics.

Le cas général : une mesure d’ordre intérieur insusceptible de recours

Pour le Conseil d’Etat, ce type de nomination constitue, la plupart du temps, « une mesure d’ordre intérieur » insusceptible de recours devant le juge administratif :

« Considérant que les mesures prises à l’égard d’agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d’ordre intérieur insusceptibles de recours ; qu’il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu’ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu’ils tiennent de leur statut ou à l’exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n’emportent perte de responsabilités ou de rémunération ; que le recours contre de telles mesures, à moins qu’elles ne traduisent une discrimination, est irrecevable »1.

Cependant, ce principe ne s’applique pas dans un contexte où un agent fait valoir que ce changement d’affectation s’inscrit dans le cadre d’une situation de harcèlement moral commis à son encontre. C’est ce qu’indique le même Conseil d’Etat dans une décision de 2023 :

« En ne recherchant pas, au vu de cette argumentation, si la décision contestée portait atteinte au droit du fonctionnaire de ne pas être soumis à un harcèlement moral, que l’intéressée tenait de son statut, ce qui exclurait de la regarder comme une mesure d’ordre intérieur insusceptible de recours, la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit »2.

Toutefois, la nomination d’une personne faisant fonction est sans influence sur la légalité des actes administratifs qu’elle édicte :

Ainsi, « l’arrêté du 8 décembre 2020 est signé de Mme B. faisant fonction de directrice des migrations et de l’intégration, à qui la préfète du Bas-Rhin a donné délégation, par un arrêté du 17 novembre 2020, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 17 novembre 2020, à l’effet de signer tous actes et décisions dans le cadre de ses attributions, à l’exception de certaines catégories d’actes au nombre desquelles ne figurent pas les décisions prises en réponse aux demandes de titre de séjour. Si l’entrée en vigueur de l’arrêté n° U14761870011397 portant nomination de Mme B. dans un emploi fonctionnel de conseiller d’administration de l’intérieur et de l’outre-mer en qualité de directrice des migrations et de l’intégration à compter du 17 avril 2019, qui présente le caractère d’un acte individuel, était en principe subordonnée à la notification de cet arrêté de nomination à l’intéressée, l’exercice effectif par Mme B. des fonctions de directrice des migrations et de l’intégration permet à lui seul d’établir la connaissance que l’intéressée avait de cet arrêté et par conséquent l’entrée en vigueur de ce dernier. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence de la signataire de l’arrêté du 8 décembre 2020 manque en fait »3.

Les spécificités de la fonction publique hospitalière : la systématisation des recours aux faisant fonction

L’Igas (Inspection générale des affaires sanitaires) et l’IGESR (Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche) ont fait état de la situation insatisfaisante des faisant fonction dans la fonction publique hospitalière à travers un rapport sur la formation continue dans les établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux en décembre 2021.

Ce rapport s’appuie sur une étude statistique menée par l’ANFH (Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier : organisme collecteur de fonds de formation pour la fonction publique hospitalière) portant sur cinq régions. En dépit de la faiblesse des échantillons analysés, la part des faisant fonction atteint des proportions importantes : jusqu’à 42 % pour les infirmiers puériculteurs, 54 % pour les secrétaires médicaux et 40 % pour les Ibode et les Iade. Ce recours aux « faisant fonction », en augmentation, s’expliquerait par un manque de candidats diplômés pour l’exercice de ces métiers, ainsi que par un management toujours en recherche d’économies budgétaires, notamment sur la masse salariale.

Pour autant, depuis le 1er juillet 2019, l’article R4311-11-1 du code de la santé publique réserve aux seuls Ibode, la pratique d’actes effectués en bloc opératoire sous la responsabilité d’un chirurgien. Dans le même temps, le décret n° 2021-97 du 29 janvier 20214 a permis d’accroître le nombre annuel de nouveaux départs en formation d’Ibode en interdisant aux infirmiers diplômés d’Etat (IDE) la pratique de faisant fonction Ibode.

En revanche les articles R6153-41 à R6153-44 du CSP définissent expressément les conditions d’accès pour être « faisant fonction d’interne ».

Le nécessaire accès à la formation au bénéfice des agents faisant fonction

En bonne gestion des ressources humaines, sauf à des fins d’intérim, défini dans le temps, tout agent faisant fonction devrait pouvoir bénéficier des formations nécessaires pour acquérir la qualification relative à l’emploi qu’il occupe ou au métier qu’il exerce.

C’est ce que rappelle le juge administratif :

« Il ressort des pièces du dossier, en particulier de la lettre du 31 juillet 2017 adressée à Mme A. et de l’attestation du 16 novembre 2017 du directeur des ressources humaines de l’établissement, que le centre hospitalier de Carcassonne s’est engagé à financer la formation de cadre de santé de Mme A. après qu’elle ait fait fonction de cadre de santé durant un an, afin qu’elle puisse exercer dans l’établissement des fonctions de cadre de bloc opératoire à l’issue de sa formation. Mme A. craignant que cet engagement soit remis en cause, a sollicité, par lettre du 24 mars 2018, une mise en disponibilité pour suivre cette formation à compter du 30 juin 2018. Toutefois, l’intéressée a indiqué, par lettre du 10 avril 2018 de son conseil, qu’elle ne souhaitait pas être placée en position de disponibilité mais demandait le financement de sa formation de cadre de santé, en précisant qu’elle entendait retirer sa demande de mise en disponibilité. Si le centre hospitalier soutient que Mme A. n’a pas sollicité le retrait de sa demande de disponibilité après qu’il l’ait informée de cette possibilité par écrit le 12 avril 2018, il ressort des pièces du dossier que Mme A. a de nouveau évoqué le retrait de sa demande lors de la réunion de médiation du 31 mai 2018, ainsi que le financement de sa formation promotionnelle. Nonobstant la rédaction maladroite de son souhait, Mme A. a manifesté sa volonté de procéder au retrait de sa demande de disponibilité. Par suite, l’intéressée ne pouvait légalement être placée en disponibilité sur demande pour suivre des études, alors même qu’elle n’entendait pas renoncer à obtenir le financement de sa scolarité par l’établissement (…) ;

Article 1er : La requête du centre hospitalier de Carcassonne est rejetée.
Article 2 : La somme que le centre hospitalier de Carcassonne est condamné à verser à Mme A. est portée de 23 572 euros à 34 770 euros »5.

Par ailleurs, il n’est pas illogique, quand la réglementation le permet, de faire bénéficier l’agent faisant fonction d’une rémunération équivalente à celle normalement versée au détenteur du grade cible, en agissant sur le régime indemnitaire ou sur la nouvelle bonification indiciaire (NBI) et d’examiner toutes les voies d’accès permettant une régularisation du grade du faisant fonction (promotion interne, préparation au concours, notamment).

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Toutefois l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation des capacités d’un agent faisant fonction qui peut la conduire à reclasser la personne dans un emploi correspondant à son grade :

« Mme A., infirmière en soins généraux et spécialisés, a été recrutée le 23 juin 2014 par l’Ehpad Manon Cormier à Bègles sur un poste d’infirmière faisant fonction de cadre de santé. Placée en congé de maladie ordinaire du 17 décembre 2015 au 22 mars 2016, Mme A. a été réaffectée, par une décision du 24 mars 2016, sur un poste d’infirmière dans les services de soins. L’intéressée a de nouveau été placée en congé de maladie ordinaire du 25 mars 2016 au 12 février 2017 puis autorisée, par une décision du 13 février 2017, à exercer ses fonctions à temps partiel pour raison thérapeutique pour une durée de 3 mois. Mme A. a formé, le 10 avril 2017, un recours gracieux contre ces décisions du 24 mars 2016 et du 13 février 2017, qui a été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par l’Ehpad Manon Cormier. Mme A. a demandé au tribunal administratif d’annuler ces décisions du 24 mars 2016 et du 13 février 2017 ainsi que la décision rejetant son recours gracieux. Elle relève appel du jugement du 28 mars 2019 par lequel le tribunal a rejeté sa demande ;

Mme A. soutient que cette décision mettant un terme à ses fonctions de cadre de santé pour l’affecter sur un poste d’infirmière est illégale dès lors qu’un tel changement d’affectation n’était pas justifié par l’intérêt du service. Il ressort toutefois des nombreuses pièces produites au dossier par l’Ehpad Manon Cormier, notamment de comptes rendus de séances du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, du comité technique d’établissement et de différentes réunions du personnel que Mme A. rencontrait d’importantes difficultés dans l’exercice de ses fonctions de cadre de santé. En particulier, de nombreux problèmes de management ainsi que des difficultés récurrentes dans l’organisation du planning des agents nuisaient au bon fonctionnement de service, Mme A. n’étant pas parvenue à les corriger en dépit des nombreux signalements et réunions dont ils ont fait l’objet. Dans ces conditions, la requérante n’est pas fondée à soutenir que la décision du 24 mars 2016 n’était pas justifiée par l’intérêt du service. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette décision révèlerait une sanction disciplinaire déguisée et serait entachée d’un détournement de pouvoir »6.


Références :

  1. CE, Section, 25 septembre 2015, requête n° 372624
  2. CE, 8 mars 2023, requête n° 451970
  3. CAA Nancy, 10 juin 2022, requête n° 21NC02881 
  4. Décret n° 2021-97 du 29 janvier 2021 modifiant le décret n° 2019-678 du 28 juin 2019 et portant diverses mesures relatives au retrait d’enregistrement d’organismes ou structures de développement professionnel continu des professions de santé et aux actes des infirmiers diplômés d’Etat.
  5. CAA Toulouse, 11 avril 2023, Centre hospitalier de Carcassonne, requête n° 21TL00839
  6. CAA Bordeaux, 23 février 2021, requête n° 19BX02251

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