Assurance chômage : vers un durcissement des règles d’indemnisation

L’application de la convention d’assurance chômage signée en novembre dernier, dont nous vous avions décrit les principales mesures dans un précédent article, était conditionnée à la réussite de la négociation relative à l’emploi des séniors au titre de l’article L1 du code du travail autrement appelée « Pacte de la vie au travail ». Les partenaires sociaux n’ayant pas réussi à s’entendre sur le projet de texte présenté par les organisations patronales, le gouvernement a refusé de l’agréer et décidé de reprendre la main en annonçant la publication d’un décret de carence d’ici le 1er juillet prochain. Plusieurs pistes sont à l’étude, le premier ministre Gabriel Attal ayant d’ores et déjà annoncé un « durcissement des règles d’indemnisation ».

Assurance chômage : vers un durcissement des règles d’indemnisation
Echec de la négociation "pacte de la vie au travail" : les causes et les conséquences.

Les raisons de l’échec de la négociation « pacte de la vie au travail »

Malgré plusieurs séances de négociations l’écart était trop important entre les organisations syndicales et patronales. Côté salarié, les 5 organisations (CFDT, CGT, CGT-FO, CFE-CGC et CFTC) ont critiqué un texte « sans véritables mesures en faveur des salariés ». Parmi les manques quasi unanimement évoqués, le renforcement de la retraite progressive : en faire un droit opposable, et baisser l’âge d’ouverture de droits à 60 ans (au lieu de 62 ans actuellement). Considérant que cette mesure, coûteuse pour les finances publiques, n’aurait jamais été entérinée par le Gouvernement qui avait fait de l’équilibre des comptes une ligne rouge absolue dans son document de cadrage de la négociation, le MEDEF, la CPME et l’U2P n’ont pas souhaité l’intégrer dans leur projet de texte. D’autres mesures « irritantes » pour les entreprises, qui impliquaient droits opposables et mécanismes de sanction financière ont bloqué les discussions.

À la suite de cet échec, deux nouvelles négociations se sont ouvertes à l’initiative de l’U2P : la première sur la mise en place d’un compte épargne temps universel (CETU), la seconde sur la simplification des parcours de reconversions professionnelles. Si les 5 organisations syndicales de salariés ont accepté d’y participer, ce n’est pas le cas du MEDEF ni de la CPME, qui s’y opposent sur le fond (refus de créer un CETU) mais aussi sur la forme (ne pas rouvrir une discussion désormais terminée).

Deux projets d’accord ont été rédigés, les organisations ont désormais jusqu’à la mi-mai pour y apposer leur signature. La CFDT a d’ores et déjà fait valider les textes par ses instances politiques. Il faudra dans tous les cas que le Gouvernement accepte d’intégrer les mesures dans sa future loi Travail 2 qu’il envisage pour l’automne 2024.

Il reste que l’échec de la négociation initiale rebat les cartes sur l’assurance chômage, et conforte le Gouvernement dans sa volonté de durcir les règles d’indemnisation. En effet politiquement il s’agit d’une réforme a priori peu risquée puisqu’elle ne touche pas les retraités, qui constituent le cœur de l’électorat d’Emmanuel Macron. Par ailleurs cela ne devrait pas déclencher de mouvements de contestation importants parmi les actifs du privé et a fortiori ceux du public, pas vraiment concernés…

Les pistes du Gouvernement pour l’assurance chômage

La convention d’assurance chômage signée en novembre 2023 devait permettre une économie de l’ordre de 400 millions d’euros pour le régime. L’objectif reste a priori le même pour le Gouvernement, qui devrait reprendre tout ou partie des mesures envisagées par les partenaires sociaux, et même aller plus loin…

Plusieurs pistes de travail sont sur la table :

La reprise de la proposition de mensualisation du versement de l’allocation souhaitée par les signataires de la convention. Concrètement, afin de permettre plus de lisibilité et prévisibilité pour les demandeurs d’emploi, les allocations seraient désormais tous les mois et non plus sur une base calendaire.

L’intégration des indemnités légales de licenciement dans le calcul du différé d’indemnisation (aussi appelé « délai de carence »), ce qui aurait pour effet de l’allonger sensiblement. Actuellement plafonné à 6 mois, le délai de carence pourrait être ainsi allongé de plusieurs mois. Une mesure qui aurait l’avantage de montrer que l’on vise avant tout les plus aisés, donc moins impopulaire.

Le durcissement des conditions d’affiliation permettant d’ouvrir un droit à indemnisation. Aujourd’hui il faut 6 mois de travail sur les 24 derniers mois pour le droit commun. Le premier ministre évoque la nécessité de durcir les curseurs :

  • Soit en augmentant la durée travaillée requise sur les 24 derniers mois ;
  • Soit en réduisant la période de référence des 24 mois en la faisant passer, par exemple, à 18 mois.

Selon certaines sources, cette mesure ferait partie des pistes privilégiées.

Le raccourcissement de la durée maximale d’indemnisation. Aujourd’hui elle varie selon l’âge du demandeur d’emploi : 18 mois pour le droit commun, 22,5 mois pour les salariés de 53 et 54 ans, 27 mois pour les salariés de 55 ans et plus.

L’une des pistes évoquées par Gabriel Attal consisterait à réduire la durée de droit commun « de plusieurs mois » mais « sans la faire passer en dessous de 12 mois » pour ne pas perdre l’effet incitatif de retour à l’emploi.

Une autre solution pourrait être de revoir le mode de calcul de l’allocation chômage. Mais la diminution du niveau d’indemnisation chômage, très impopulaire et impactant pour le pouvoir d’achat des demandeurs d’emploi, semble peu probable, et ne fait pas consensus au sein du Gouvernement.

L’élargissement – voire la généralisation – du mécanisme de « bonus-malus ». Pour mémoire, l’objectif de ce dispositif mis en place en 2019 est d’inciter les entreprises à allonger la durée des contrats de travail et éviter un recours excessif aux contrats courts. Concrètement, cela se traduit par une modulation du taux de contribution d’assurance chômage, qui est actuellement de 4,05 %, à la hausse (malus), ou à la baisse (bonus), en fonction du « taux de séparation » des entreprises concernées, c’est-à-dire le nombre de fins de contrats de travail ou de missions d’intérim assorties d’une inscription à France Travail1, rapporté à l’effectif annuel moyen. Les réflexions semblent aujourd’hui porter sur la fourchette de modulation des taux de cotisation dans le cadre du bonus-malus – aujourd’hui comprise entre un plancher de 3 et un plafond de 5,05 % – qui pourrait être élargie.

Enfin, une mesure sur la dégressivité des allocations chômage qui, jusque-là, ne concernait que les demandeurs d’emploi qui percevaient plus de 4 500 € par mois, n’est semble-t-il pas écartée. Elle pourrait ainsi à l’avenir toucher une population plus large.

En revanche, il est peu probable que les entreprises obtiennent du Premier ministre une baisse (même symbolique) de la cotisation chômage, qui devait en principe être incluse dans le « deal » de la convention signée en novembre.

Votre formation sur ce thème

 PERTE D’EMPLOI ET INDEMNISATION CHÔMAGE 

1 jour – En présentiel ou à distance

  • Intégrer les principes du système d’indemnisation : bénéficiaires et calculs des droits, droits rechargeables.
  • Faire le lien entre l’attestation employeur et les droits et calcul de l’allocation.
  • Examiner les droits des demandeurs d’emploi en matière de protection sociale : assurance maladie, retraite, prévoyance complémentaire.

La pertinence d’une reforme remise en cause par des économistes

Plusieurs économistes contestent la pertinence d’un nouveau « coup de rabot » sur les règles d’indemnisation chômage :

Tout d’abord, d’un point de vue financier, le gain espéré pour les finances publiques serait nécessairement limité alors que le Gouvernement serait à la recherche d’environ 20 milliards d’euros, eu égard au poids de l’assurance chômage dans les dépenses sociales.

Réduire ou limiter la durée d’indemnisation ne toucherait en réalité qu’une minorité de demandeurs d’emploi qui utilisent la totalité de leurs droits, la majorité ne serait pas impactée. La marge est donc faible, de l’ordre de « quelques dizaines de millions, au mieux quelques centaines de millions d’euros » selon l’économiste Bertrand Martinot.

Par ailleurs le niveau du taux de chômage doit en principe être pris en compte pour décider ou non d’un nouveau « tour de vis ». Depuis la réforme de 2023, un mécanisme de contracyclicité a été instauré pour l’assurance chômage. Selon cette logique, un durcissement des conditions d’indemnisation devrait être conditionné à un taux de chômage plus faible, et inversement lorsqu’il remonte à hauteur de 9 %.

Or les derniers chiffres montrent plutôt une tendance haussière actuellement : selon le ministère du Travail, le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 0,2 % au quatrième trimestre de 2023. Et pour l’année 2024, les projections montrent que ce phénomène devrait continuer de progresser en raison de la faiblesse de l’activité économique. Enfin, pour beaucoup, enclencher une nouvelle réforme maintenant n’aurait pas vraiment de sens, alors que les précédentes sont encore trop récentes pour pouvoir évaluer leur impact : notamment celles de 2019 et de 2023. Ce d’autant plus qu’il apparaît difficile de déterminer si les résultats positifs constatés sur les derniers mois sont vraiment une conséquence des mesures prises, ou si ceux-ci relèvent davantage d’un phénomène conjoncturel.


1. Ex-Pôle Emploi

Qu'avez-vous pensé de cet article ?

Note moyenne de 0/5 basé sur 0 avis

Soyez le premier à donner votre avis

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *