Partager la publication "La limite mise à la durée des périodes d’essai : un nouveau point de vigilance pour établir les contrats de travail"
La période d’essai obéit à un principe de bon sens suivant lequel chaque partie à un contrat de travail – employeur comme salarié – doit se donner quelques semaines ou quelques mois pour apprécier si son co-contractant « fait l’affaire », pour le formuler de façon triviale.
L’employeur va ainsi pouvoir mesurer les compétences réelles du salarié (à la différence d’un curriculum vitae qui reste un document théorique), sa faculté à s’inscrire dans un projet d’entreprise, sa motivation, ainsi que son appétence pour le fonctionnement en équipe ou bien encore pour tel ou tel logiciel ou machine-outil qui constituera son principal outil de travail.
Le salarié va évaluer s’il se sent à l’aise dans ses fonctions, s’il peut répondre aux demandes de l’employeur, s’il prend plaisir à travailler et se sent bien parmi ses collègues et, plus généralement, si le choix de l’entreprise où il a postulé correspond à ses aspirations relatives à sa vie professionnelle.
I – Une simplicité apparente qui masque de nombreux points de vigilance
Comme souvent, ce qui est clair et limpide dans son essence se révèle, à l’usage, bien plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord.
A – La technicité de la période d’essai
L’on résumera ces difficultés sous le vocable de « points de vigilance » car ils sont nombreux.
En voici certains exemples :
- Quelle durée donner à la période d’essai ?
- Peut-on la renouveler ?
- Pourquoi les durées des périodes d’essai sont-elles différentes selon que l’on est cadre ou ouvrier ?
- Connaît-on des différences de durée en fonction des secteurs d’activité professionnelle ?
- Quels sont les motifs de rupture de la période d’essai ?
- Faut-il mentionner ces motifs lors de la rupture de la période d’essai ?
- Qui peut prendre l’initiative de la rupture de la période d’essai ? (le salarié ou l’employeur ? ou bien les deux ?)
- Peut-on contester une rupture de période d’essai ?
- Quelles conséquences emporte la rupture de la période d’essai ?
- La clause afférente à la période d’essai doit-elle être forcément écrite dans le contrat de travail ?
- Est-il loisible de conclure un contrat de travail verbal et donc sans clause de période d’essai écrite ?
- Existe-t-il des différences dans la nature de la période d’essai selon que le salarié a postulé pour un CDD ou un CDI ?
B – Une construction juridique parfaitement équilibrée mais qui avait laissé de côté la question de la durée
L’on va apporter une réponse à toutes ces questions mais il importe d’emblée de noter que la plus importante de toutes – celle qui méritait le plus une intervention du législateur et que l’on pourrait qualifier de « mère des batailles » pour les raisons que l’on examinera plus avant – est la problématique de la durée et du renouvellement de la période d’essai.
En effet, la thématique de la durée renferme de nombreux impacts – positifs ou négatifs – sur les autres questionnements.
En outre, pour ce qui est des autres points essentiels de la période d’essai, qu’il ne faut pas les sous-estimer car ils ont donné lieu à de multiples jurisprudences, l’on peut dire qu’en l’état du droit positif, une réponse nette est apportée à chacun d’entre eux.
Reprenons donc d’abord ce qui a été balisé au fur et à mesure des années avant de mieux comprendre pourquoi le terrain plus problématique de la durée de l’essai méritait que le législateur s’y attaque :
- concernant les durées différenciées selon que l’on est cadre ou ouvrier, l’on conçoit aisément qu’il est plus délicat d’apprécier en quelques jours les talents d’un chercheur dans un laboratoire que la faculté d’un maçon à construire un mur : ceci est dit sans aucune notion de supériorité d’une fonction sur l’autre, mais procède simplement de l’observation objective et évidente des différences entre les deux types d’activité ;
- il y a effectivement des variations de durée des périodes d’essai selon les secteurs d’activité professionnelle, même si la tendance générale est de lutter contre ces pratiques, sans forcément les abolir (cf. rôle crucial des conventions collectives en la matière) ;
- les motifs de rupture de la période d’essai sont fort nombreux, d’un côté (salarié) comme de l’autre (employeur) : des affinités différentes sur le plan psychologique peuvent suffire à prédire que telle personne ne va pas adhérer au projet d’entreprise ou bien encore de faire craindre au salarié que tel ou tel responsable aura tendance à abuser de sa gentillesse et de son volontarisme. Par ailleurs, en dehors des considérations psychologiques et de ce qu’on pourrait appeler – pour reprendre la fameuse expression – les « affinités électives », de simples questions de savoir-faire peuvent venir ruiner une relation employeur-salarié si l’un des deux pense que l’autre ne sait pas y faire ;
- l’employeur ne doit surtout pas mentionner les motifs le conduisant à rompre une période d’essai : il s’agit là de l’un des points qui a donné le lieu au plus grand nombre de jurisprudences, même si elles sont à présent parfaitement concordantes. L’on peut préconiser sans l’ombre d’un doute que toute indication d’un grief précis articulé à l’encontre du salarié place ce dernier en très bonne posture pour contester la rupture de la période d’essai par la voie judiciaire ;
- le salarié comme l’employeur peuvent prendre l’initiative de rompre la période d’essai, sous réserve de l’observation d’un court délai de préavis : cette prérogative appartient indiscutablement aux deux parties ;
- il est parfaitement possible de contester la rupture de période d’essai, en particulier quand on est un salarié qui estime avoir donné satisfaction et qui ne comprend pas les raisons de la rupture à l’initiative de l’employeur. Cependant, il convient d’attirer l’attention sur la grande difficulté juridique que représente cette action en justice, spécialement si l’employeur n’a pas donné de motif à cette rupture, ce qui fait que le salarié n’a aucun sujet sur lequel s’appuyer pour arguer que l’appréciation de l’employeur est erronée ;
- les conséquences qu’emporte la rupture de la période d’essai à l’initiative de l’employeur résident dans le fait que le salarié se retrouve « involontairement privé d’emploi », caractérisant alors le fait qu’il peut s’inscrire à « France Travail » (ex. « Pôle Emploi ») ;
- la clause afférente à la période d’essai doit obligatoirement être écrite dans le contrat de travail, car il est de jurisprudence constante que la période d’essai « ne se présume pas », ce qui fait qu’elle n’existe que si – et seulement si – elle a été écrite dans le contrat de travail signé par les deux parties ;
- contrairement à une idée reçue, il est tout à fait loisible (en théorie) de conclure un contrat de travail verbal mais cela est fort dangereux pour les deux parties et sûrement encore plus pour l’employeur que pour le salarié. En pratique, cela n’existe quasiment plus. L’absence d’écrit fait qu’en cas de litige – et sous réserve qu’il arrive à prouver ses prétentions (car les écrits ont une vertu probatoire) – le salarié est réputé être immédiatement en contrat de travail indéterminé. Par voie de conséquence, la période d’essai n’existe pas puisqu’elle n’a pas été prévue par une clause d’un contrat de travail, conférant donc mécaniquement au salarié un contrat sans limitation de durée ;
- il existe des différences entre un CDD et un CDI au regard de la période d’essai. La première et la plus évidente d’entre elles est qu’un CDI peut être conclu verbalement, sans écrit, ainsi qu’il a été vu précédemment, alors qu’un CDD doit forcément être un contrat de travail écrit. Bien évidemment, et en bonne logique, la longueur des périodes d’essai pour les salariés en CDD est moindre que pour les CDI.
A noter : Toujours valable à ce jour, un arrêt de la Cour de cassation (Cass. soc., 28 avr. 2011, n° 09-40.464) et publié au « Bulletin » avait indiqué, au visa de l’article L. 1242-10 du Code du travail que, sauf disposition conventionnelle ou contractuelle contraire, toute période d’essai, qu’elle soit exprimée en jours, en semaines ou en mois, se « décompte en jours calendaires » (id est : tous les jours du calendrier, du lundi au dimanche compris, y compris les jours fériés). |
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II – Les raisons et les effets de la limitation de la durée des périodes d’essai
L’édifice juridique parfaitement équilibré entre salariés et employeurs concernant la période d’essai souffrait néanmoins d’une exception de taille tenant dans le déséquilibre patent concernant la durée de celle-ci et la faculté de la renouveler.
A – Une motivation sérieuse pour faire évoluer les règles même si ce changement vient du droit européen et était donc inévitable
Comme souvent dans le domaine juridique, tout est question de proportionnalité et il importait de mieux concilier deux principes également légitimes mais contradictoires.
Ainsi, les périodes d’essai étaient très souvent bien trop longues et leur renouvellement aboutissait à des laps de temps absolument excessifs au regard de la nécessité, pour l’employeur, de vérifier si le nouveau salarié méritait ou non d’être gardé.
L’abus au niveau de la durée exposait pendant fort longtemps certains salariés au moindre mouvement d’humeur de l’employeur et ne créait pas les conditions d’un dialogue serein et apaisé entre les parties, alors même que la vie professionnelle suppose une confiance et une loyauté réciproques entre salariés et employeurs.
C’est pour cela que l’expression « mère des batilles » a été utilisée précédemment car il était incontestable que plus l’on maintenait le salarié à la merci d’un renvoi sans motif de la part de l’employeur, plus ledit salarié était exposé à des griefs qui, une fois l’essai terminé, n’en seraient pas à l’aune du droit du travail (tout du moins si ces griefs sont insignifiants).
Le « test de proportionnalité » dans la mise en balance des deux droits (celui de licencier sans indemnités durant la période d’essai et celui de disposer d’un travail stable où chaque minute n’est pas marquée par la peur d’être éjecté sans motif de l’entreprise dès lors que l’on a démontré ses compétences) aboutissait nécessairement à un déséquilibre très net au détriment du salarié.
Il était donc plus qu’urgent de s’attaquer à la racine de ce problème et, une fois de plus, l’on soulignera l’apport méritoire du droit européen au droit du travail français, puisque le texte à retenir est la directive 2019/1152 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 « relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne » (JOUE L 186, 11 juill. 2019).
Son chapitre III est libellé ainsi : « Exigences minimales concernant les conditions de travail ».
Le premier article qui ouvre ce chapitre est l’article 8 de la directive, intitulé « Durée maximale d’une période d’essai ».
Cet article se décompose en trois points.
Le premier est d’une clarté absolue et l’on pense alors naïvement que, cette fois-ci, le problème est définitivement réglé :
« 1. Les États membres veillent à ce que, lorsque la relation de travail fait l’objet d’une période d’essai telle qu’elle est définie dans le droit national ou la pratique nationale, cette période n’excède pas six mois. »
Evidemment, il serait trop simple que ce principe ne souffre pas d’exception !
Dès lors, le point 3 de cet article 8 vient immédiatement tempérer le principe posé au point 1 :
« 3. Les États membres peuvent, à titre exceptionnel, prévoir des périodes d’essai plus longues lorsque la nature de l’emploi le justifie ou lorsque cela est dans l’intérêt du travailleur. Lorsque le travailleur a été absent durant la période d’essai, les États membres peuvent prévoir la possibilité de prolonger cette période d’essai pour une période correspondant à la durée de l’absence. »
En somme, le texte européen nous dit que c’est six mois maximum, sauf exceptions…
B – La transposition et le droit français actuel
En France, c’est la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 « portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture » (JO 10 mars 2023) qui a notamment permis de transposer les points de la directive relatifs à la période d’essai.
Plus précisément, cette loi du 9 mars 2023 a supprimé les dispositions du Code du travail permettant d’allonger conventionnellement, via des accords de branche conclus avant le 26 juin 2008, la durée des périodes d’essai des salariés en CDI (en s’affranchissant des dispositions légales).
On retrouve là l’important rôle joué par les conventions collectives (mentionné plus haut) et, donc, les variations existant entre secteurs d’activité économique.
Ces exceptions étaient rendues possibles par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 « portant modernisation du marché du travail » (JO 26 juin 2008).
En ligne de mire, il y a évidemment les périodes d’essai supérieures à six mois, qui pouvaient parfois atteindre des délais supérieurs à un an en cas de renouvellement.
Au niveau de l’application, le texte français est rentré six mois après le 9 mars 2023, c’est-à-dire le 9 septembre 2023.
Depuis cette date, il n’est théoriquement plus possible d’avoir une période d’essai supérieure à six mois, ce qui constitue un changement significatif à apporter par les services des ressources humaines aux contrats de travail qu’ils proposent à leurs futurs salariés.
Formellement, cette modification s’est traduite par la suppression de l’alinéa second de l’article L. 1221-22 du Code du travail.
En tenant compte des exceptions possibles pour certains contrats, cela donne la situation suivante :
- 2 mois (renouvelables 2 mois) pour les ouvriers et les employés ;
- 3 mois (renouvelables 3 mois) pour les agents de maîtrise et les techniciens ;
- 4 mois (renouvelables 4 mois) pour les cadres.
Une vigilance particulière s’impose pour les domaines suivants, habitués à de longues périodes d’essai :
- les salariés permanents des entreprises de travail temporaire ;
- le personnel au sol dans le secteur du transport aérien ;
- les organismes de formation ;
- la promotion immobilière ;
- les banques ;
- les sociétés d’assurance et les mutuelles.
Toutefois, selon le ministère du travail, et conformément aux vœux du législateur, les périodes d’essai plus longues insérées dans les contrats de travail conclus avant le 9 septembre 2023 demeurent licites.
Il n’y a donc pas lieu de réviser ces contrats de travail.