Partager la publication "Réflexion en cours sur la mise en place d’un congé menstruel indemnisé"
État du sujet : le congé menstruel en France et à l’international
Il n’existe pas de réglementation prévoyant la prise en compte de ces situations en France à ce jour, même si les initiatives parlementaires se multiplient ces derniers mois (voir ci-dessous).
Sans cadre légal ou conventionnel, c’est à l’entreprise de se saisir du sujet et de prévoir des mesures dédiées. A date, très peu d’employeurs, privés ou publics, ont pris l’initiative d’instaurer un congé menstruel ou un dispositif similaire en France.
Les premières expérimentations sont très récentes, et plutôt dans des entreprises de taille « moyenne » (Scop La Collective, Critizr, Louis Design, etc…). Elles prennent la forme de congés payés par l’employeur, sans obligation de fournir un certificat médical. Première « multinationale » à se lancer, Carrefour met en place dès cet été un congé menstruel (jusqu’à douze jours par an) pour les salariées atteintes d’endométriose sur présentation d’un certificat d’invalidité.
Dans la fonction publique, l’idée fait également son chemin. Le maire de la ville de Saint-Ouen a annoncé en mars dernier vouloir mettre en place des mesures pour les agentes concernées, sous la forme d’un recours facilité au télétravail ou de deux jours par mois « d’autorisation spéciale d’absence », rémunérés par la collectivité sur justification médicale. Le conseil départemental de Gironde vient également d’annoncer le lancement d’une expérimentation préalable à l’instauration d’un congé spécifique, en trois étapes : aménagement du poste de travail, recours facilité au télétravail puis éventuellement aménagement des horaires. La Seine-Saint-Denis pourrait lui emboîter le pas rapidement.
A l’international, plusieurs pays, essentiellement en Asie, ont déjà adapté leur législation en instaurant un congé menstruel :
- Dès 1947, le Japon a instauré des jours de congés supplémentaires dédiés pour les femmes qui en font la demande, sans durée limitée. Il n’y a pas de limite au nombre de jours pouvant être pris, mais ils ne sont généralement pas payés. Les entreprises peuvent choisir de rembourser entièrement ou partiellement ces congés. Résultat, selon une étude du Ministère du Travail japonais effectuée en 2020, seuls 0,9% des salariées éligibles ont utilisé des jours de congés menstruels, un chiffre en baisse. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la faible adhésion au dispositif : les symptômes de la menstruation qui pourraient causer des « difficultés à travailler » ne sont pas détaillés dans le Code du travail, les femmes ont souvent honte ou se déclarent gênées d’expliquer les effets de la menstruation. L’incompréhension des employeurs hommes. Et bien sûr le fait que le congé ne soit pas rémunéré…
- D’autres pays ont également légiféré sur le sujet : la Corée du Sud (un jour par mois non payé), l’Indonésie (un ou deux jours par mois indemnisés comme des congés maladie, devant être négociés par le biais de conventions collectives) ou encore Taiwan (un jour par mois et maximum trois jours par an remboursés à hauteur de demi-journées travaillées).
- En Afrique, la Zambie fait office de précurseur. Elle a mis en place depuis 2015 un jour de congé supplémentaire par mois en cas de menstruations douloureuses sans préavis ni certificat médical. Très « permissive » et peu contrôlée, la mesure est cependant très contestée.
- En Europe, c’est l’Espagne qui, la première, a fait adopter début 2023 une loi prévoyant un congé menstruel qui ne précise pas de durée limitée mais qui consistera en un arrêt maladie accordé par un médecin et remboursé par la sécurité sociale.
Des initiatives parlementaires pour mieux prendre en compte les douleurs menstruelles
Les initiatives de parlementaires (de gauche) se sont multipliées en France ces derniers mois :
Une proposition de loi « pour une réelle prise en compte de la santé menstruelle » avait été déposée à l’Assemblée Nationale en mars 2022, sans aller jusqu’au vote. Elle prévoyait notamment des formations obligatoires tous les trois ans des salariés et agents de la fonction publique aux enjeux de santé menstruelle, ainsi que l’aménagement du temps et de l’espace de travail, notamment via le télétravail, pour les femmes dans plusieurs situations (grossesse, fausse‑couche, règles douloureuses, maladie menstruelle, ménopause) ;
Une proposition de loi a été déposée en mai dernier à l’Assemblée nationale, toujours à l’initiative de députés EELV, afin de mettre en place un véritable congé menstruel indemnisé d’ordre public. Concrètement le texte prévoit :
- Un arrêt de travail de 13 jours par an, posés consécutivement ou séparément, sans limite mensuelle ;
- Cet arrêt de travail est accordé sur présentation d’un certificat médical, renouvelable chaque année. L’arrêt de travail ne mentionne pas le motif de l’arrêt de travail ;
- Ces 13 jours sont pris en charge par la sécurité sociale, sans jour de carence ;
- Le texte prévoit aussi le droit au recours au télétravail.
Le texte propose une mesure de sensibilisation en complément de l’arrêt de travail sur la « promotion de la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail ». Ces actions pourraient faire l’objet de la publication d’indicateurs dans le cadre de l’index égalité femme-homme.
Une proposition de loi similaire est également en préparation par des sénateurs socialistes afin d’instaurer dans le code du travail un dispositif facultatif permettant aux femmes souffrant de menstruations douloureuses de disposer d’un à deux jours de congés maximum dans le mois, indemnisés par la Sécurité sociale. Ce dispositif prévoit d’être flexible en intégrant la possibilité de prendre un jour de télétravail, à défaut d’opter pour un jour de congé, et serait sans prescription d’un avis médical.
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Une mesure qui fait débat
Cet engouement s’explique par une plus grande prise de conscience de la problématique et semble répondre à un besoin exprimé par une majorité de femmes.
C’est ce que confirme une enquête IFOP réalisée entre septembre et octobre dernier auprès de 1.000 femmes sur le sujet. Il en ressort que :
- La moitié des salariées interrogées déclarent avoir des règles douloureuses
- Les deux tiers sont favorables au congé menstruel en entreprise et estiment qu’elles pourraient y avoir recours ;
- La même proportion estime qu’une entreprise proposant le congé menstruel serait plus attrayante, et qu’elles ont déjà été confrontées à des difficultés liées à leurs règles au travail ;
- Un tiers environ déclarent que leurs douleurs menstruelles impactent négativement leur travail, et 37% que la gêne des règles est sous-estimée dans leur entreprise ;
- Cependant, plus de 80 % craignent que le congé menstruel puisse être un frein à l’embauche ou à l’évolution des femmes.
Cette dernière donnée est édifiante. Si l’intention est louée partout, un certain nombre de personnes notamment dans le milieu féministe se déclarent en effet ouvertement opposés à la mise en place d’un congé menstruel qu’ils considèrent comme une « fausse bonne idée » potentiellement vectrice d’inégalité entre les femmes et les hommes. Parmi les arguments avancés on peut cibler :
- Le risque d’accroitre les discriminations à l’embauche et en entreprise du fait d’une stigmatisation et d’une hausse des stéréotypes au détriment des femmes ;
- Cela pourrait également mener à une intrusion dans la vie privée des salariées qui devraient faire état de leur « santé reproductive » dans le cadre de leur vie professionnelle ;
- Cela pourrait décourager les efforts de recherche médicale sur les douleurs liées aux règles, les pouvoirs publics considérant que le sujet est « réglé » avec le congé ;
- Cela pourrait par ailleurs impacter les conditions de vie en entreprise des femmes, avec des risques potentiels de harcèlement.
Tous se retrouvent néanmoins sur la nécessité d’améliorer l’information et la prévention sur les pathologies liées à la santé des femmes, notamment chez les plus jeunes.
Cela traduit également la nécessité d’une plus grande vigilance portée aux questions liées à la santé reproductive au sein des pratiques managériales d’entreprise. Tout comme pour le fait religieux ou encore les violences conjugales, les managers doivent être davantage attentifs, réagir avec discernement sans être intrusifs dans ces situations.