Réforme des retraites : le texte promulgué à la suite de la décision du Conseil constitutionnel

Comme nous vous l’indiquions dans un précédent article, le projet de loi retraite a été adopté par l’Assemblée nationale via la procédure du « 49-3 ». Pour être promulguée, la loi devait être soumise au préalable à l’avis du Conseil constitutionnel.

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Réforme des retraites : le texte promulgué à la suite de la décision du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel censure une partie du texte mais valide le report de l'âge de départ à la retraite.

Dans une décision datée du 14 avril dernier1, le « Conseil des sages » a validé l’essentiel de la réforme et en particulier la mesure phare du relèvement de l’âge légal à 64 ans et de l’accélération du calendrier « Touraine ». Il a cependant décidé de censurer en tout ou partie plusieurs dispositions qui n’avaient pas leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale, véhicule législatif utilisé par le Gouvernement, car considérées comme « cavaliers sociaux » en l’absence d’effet significatif sur les recettes des régimes de sécurité sociale.

Également interrogé sur la validité de la demande de référendum d’initiative partagé (RIP) déposée par des parlementaires afin de s’opposer au texte, le Conseil constitutionnel l’a considérée comme irrecevable car n’entraînant pas de changement de l’état du droit. Une 2ème demande de RIP a été déposée mi-avril et sera examinée tout prochainement, avec toutefois peu de chances d’aboutir.

Sur la forme, le Conseil constitutionnel valide l’utilisation de la loi financière

Un certain nombre de griefs portant sur la procédure parlementaire ont été écartés car les Sages n’ont pas constaté d’atteinte caractérisée à la Constitution.

Contestant l’existence de déficits structurels dans le système de retraite, les requérants considéraient que le recours à une loi de financement rectificative n’était pas opportun car « réservé à certaines situations d’urgence, à des circonstances exceptionnelles ou à la correction de déséquilibres financiers majeurs ». 

Or les Sages ont considéré qu’il ne leur appartenait pas de juger si la réforme était justifiée ou non au regard de l’équilibre financier du système de retraite. Ils devaient s’assurer que les mesures prévues par le texte ont un impact financier sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement de l’année en cours (2023). Si le Gouvernement aurait pu faire le choix de passer par une loi ordinaire, cela ne constitue pas une « exigence constitutionnelle » en soi.

Était également contestée l’utilisation par le Gouvernement de la procédure accélérée d’examen du projet de texte, prévue à l’article 47-1 de la Constitution2, « faute d’être justifiée par l’urgence de corriger un risque de déséquilibre des comptes de la sécurité sociale ». Là encore, il a été considéré que l’utilisation de cette procédure n’était pas conditionnée à l’urgence, avérée ou non, de la situation.

Le Conseil a par ailleurs écarté d’autres griefs, et notamment :

  • Le recours à l’article 49-3 de la Constitution, qui a permis au Gouvernement d’engager sa responsabilité sur le texte,
  • L’atteinte à la sincérité et la clarté des débats parlementaires,
  • Le non-respect de la procédure de vote et d’examen des amendements et sous-amendements.

Sur le fond, le Conseil constitutionnel censure une partie du texte mais valide la mesure d’âge

1. Le Conseil constitutionnel déclare la mesure d’âge conforme à la Constitution

Parmi les principales mesures du texte, on retrouve à l’article 10 le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans et l’accélération du calendrier de relèvement de la durée d’assurance requise pour l’obtention du taux plein.

Cette mesure, qui cristallise depuis le début les oppositions à la réforme, était contestée par les requérants pour plusieurs motifs :

  • Mise en œuvre de manière progressive à partir du 1er septembre prochain, ils considèrent qu’elle aura un effet « très limité sur les recettes et les dépenses des régimes obligatoires de base en 2023 et que donc elle n’a pas sa place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale ». Certaines dispositions n’auront même aucun effet sur l’année en cours. Ainsi par exemple, si la réforme impacte dès 2023 les générations nées en 1961 et 1962, ce n’est pas le cas des générations postérieures. Le Conseil constitutionnel a rejeté cet argument considérant que l’impact financier doit être regardé dans sa globalité sans pouvoir dissocier (et donc censurer) certaines dispositions.
  • Par ailleurs, ils considèrent que la mesure porterait atteinte aux droits des travailleurs, accroîtrait les inégalités entre les femmes et les hommes, et serait ainsi contraire au Préambule de la Constitution de 1946.  Elle aurait aussi pour effet d’accroître la prévalence des situations de chômage et l’allongement des périodes de précarité des seniors, en méconnaissance de l’article 1er de la Constitution3. Le Conseil a considéré que c’était au Gouvernement d’apprécier l’opportunité de prendre telle ou telle mesure « pour la réalisation ou la conciliation d’objectifs de nature constitutionnelle ». En l’espèce, il s’agissait pour le législateur d’assurer l’équilibre financier du système et d’en garantir la pérennité tout en tenant compte des situations spécifiques.

Dans le prolongement, le Conseil valide l’article 11 du texte relatif aux départs anticipés pour carrière longue.

2. Le Conseil constitutionnel censure cependant plusieurs « cavaliers sociaux »

Un certain nombre de mesures ont été censurées par le Conseil constitutionnel, considérant qu’elles n’ont « pas d’effet ou un effet trop indirect sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement », et qu’à ce titre elles n’ont pas leur place dans une loi financière.

Deux articles relatifs à l’emploi des seniors doivent être retirés :

  • L’article 2 qui mettait en place un « index senior » pour les entreprises de 300 salariés et plus,
  • L’article 3 qui mettait en place un « CDI senior » ou « CDI de fin de carrière ».

Ces mesures pourraient cependant revenir rapidement dans le cadre d’un futur projet de loi plein-emploi qui pourrait être adopté dès cet été. Il est également possible que le Gouvernement sollicite les partenaires sociaux pour engager une négociation interprofessionnelle sur le thème. 

L’article 17 relatif à la prévention de l’usure professionnelle est également en partie censuré : si la création du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (FIPU) n’est pas remise en cause car il est prévu qu’il soit alimenté par des dotations de la branche accidents du travail maladies professionnelles, la disposition relative à la mise en place d’un suivi médical individuel spécifique pour les salariés exposés aux facteurs de risques ergonomiques est supprimée puisque sans effet sur les comptes publics. La suppression de cette disposition n’emporte pas de conséquences particulières, les salariés exposés pouvant toujours bénéficier du suivi médical de droit commun prévu par les textes en vigueur.

Enfin, d’autres mesures plus « anecdotiques » ont été retoquées pour les mêmes raisons :

  • L’article 6 relatif à l’abandon du transfert du recouvrement des cotisations de retraite complémentaire AGIRC ARRCO aux URSSAF,
  • L’article 27 sur l’instauration d’un dispositif d’information à destination des assurés sur le système de retraite par répartition.

Les autres articles prévus par la loi n’ont pas fait l’objet d’observations particulières de la part du Conseil en ce qu’ils n’ont pas soulevé de question de conformité à la Constitution.

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La proposition de loi visant à organiser un référendum d’initiative partagée (RIP) sur la mesure d’âge est rejetée

Entré en vigueur le 1er janvier 2015, le RIP est prévu par la révision constitutionnelle de 2008. Cette disposition permet à un cinquième des membres du Parlement, soutenu par un dixième du corps électoral, de soumettre une proposition de loi au référendum. La procédure est longue et complexe. Elle doit notamment respecter des contraintes de temps. Ainsi, le texte « ne doit pas avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an ».

Des parlementaires ont déposé le 20 mars dernier une proposition de loi tendant à interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans afin de revenir sur le contenu de la réforme (voir ci-dessus). Le Conseil constitutionnel, saisi pour avis, a considéré que la demande n’était pas recevable en ce qu’elle n’emportait pas de changement du droit puisqu’au moment de la saisine, l’âge légal de départ à la retraite était toujours fixé à 62 ans4.

À la suite de cet avis négatif, une nouvelle proposition de loi a été déposée le jour même. Ce second texte vise notamment à intégrer une mesure de financement afin de sécuriser juridiquement la procédure. Concrètement il s’agit de permettre au peuple français de se prononcer pour ou contre la limitation de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans et la contribution significative des revenus du capital à la pérennité financière du système de retraite.

En cas de réponse positive du Conseil le 3 mai prochain, une période de 9 mois devrait s’ouvrir pour le recueil de signatures des citoyens. Si le nombre de signatures requis est atteint, le Parlement aura six mois pour examiner le texte. En cas d’échec, le président de la République devra alors le soumettre à référendum.


Références :

  1. Décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023
  2. L’article 47-1 prévoit que le Parlement a 50 jours pour se prononcer sur un projet de loi financière. L’utilisation de cet article permet donc au Gouvernement de limiter les débats au Parlement.
  3. L’article 1er de la Constitution de 1958 prévoit notamment que « La France… assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion… »
  4. Décision n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023

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