Les transactions en droit du travail : quelques réflexions sur leur traitement fiscal et social

Il est fréquent d’entendre dire que les indemnités transactionnelles en droit du travail sont exonérées de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu. La réalité est infiniment plus nuancée. Une synthèse de la situation est donc utile.

Armés du Code de la sécurité sociale [CSS], du Bulletin officiel de la sécurité sociale [BOSS], du Code général des impôts [CGI] et du Bulletin officiel des finances publiques [BOFIP], nous partons explorer ces aspects complexes du droit du travail et de la paye.

Cet article a été publié il y a 1 an, 10 mois.
Il est probable que son contenu ne soit plus à jour.
Les transactions en droit du travail : quelques réflexions sur leur traitement fiscal et social
En quoi consiste une transaction en droit du travail ?

La définition de la transaction

Tout juriste le sait : la transaction est très fréquemment utilisée en droit du travail.

Elle est un instrument incontournable pour prévenir un conflit ou bien l’éteindre.

Pour autant, cet outil trouve son fondement dans le Code civil et non le Code du travail.

Plus précisément, la transaction figure dans le « Livre III » du Code civil, intitulé « Des différentes manières dont on acquiert la propriété » (cf. articles 2044 à 2052).

L’article 2044 énonce que :

« La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit. »

Le périmètre de la transaction est strictement encadré par les articles 2048 et 2049 du Code civil (en vigueur depuis le 30 mars… 1804 !).

En outre, il convient de mentionner la force de la transaction, comme en dispose l’article 2052 du Code civil :

« La transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet. »

Il est extrêmement rare de voir, en jurisprudence, une transaction remise en cause.

Cet instrument s’applique donc à tous les types de contentieux.

Cependant, seule nous intéresse ici l’utilisation qui en est faite en matière de droit du travail.

La vocation des transactions

Il importe à présent de saisir la philosophie qui préside à la conclusion de transactions (également appelées « protocoles transactionnels »).

Au départ, la vocation de la transaction est de réparer un préjudice.

Cela signifie remettre la partie ayant subi ce préjudice dans l’état où elle se trouvait avant ledit préjudice.

Il n’est donc pas question pour le justiciable de s’enrichir ou de s’appauvrir.

Ce point est essentiel car il en découle l’idée que l’État et l’URSSAF n’ont pas à prélever d’argent sur une réparation qui ne fait que remettre une personne dans l’état où elle se trouvait avant de subir un préjudice.

C’est – ou plutôt c’était – la grande force des transactions.

La fiction juridique impose de considérer que celui qui reçoit l’argent en dédommagement est « rempli de ses droits ». Ou, pour le dire de manière moins juridique, est satisfait du montant de la réparation.

Si tel n’était pas le cas, le justiciable n’aurait pas transigé et le différend trouverait une issue uniquement devant les tribunaux.

Voilà pour les principes fondateurs, dont on peut louer la justesse ainsi que l’intelligence de la construction intellectuelle.

Les tempéraments apportés au principe de réparation non ponctionnée par les organismes de sécurité sociale et l’impôt

Tout cela était fort logique… et trop beau pour être vrai jusqu’au bout !

En effet, le législateur – c’est-à-dire nos députés, inspirés par les gouvernements successifs – s’est progressivement ravisé.

L’occasion faisant le larron, et les déficits de la sécurité sociale se creusant toujours plus (sans même parler du déficit du budget général de l’Etat), l’on commença à voir dans les transactions une jolie manne financière dans laquelle puiser des recettes.

Sans rentrer dans l’historique des modifications successives, on se limitera à dire que l’on est parvenu à un système d’une rare complexité.

Prenons un exemple en droit du travail.

Supposons qu’un salarié est licencié et qu’il y a un fort risque de contentieux.

Intelligemment, les deux parties vont se rapprocher et s’accorder sur une somme globale qui va réparer le préjudice subi par le salarié licencié.

Voilà pour le principe.

Mais la réalité est bien plus complexe.

En effet, de quoi est composée une transaction ?

De la somme de différents types de créances du salarié vis-à-vis de son employeur.

Or, ces créances – autrement dit, ce droit à être indemnisé et payé – n’ont pas la même nature juridique.

On va trouver :

  • l’indemnité pour congés payés non pris ;
  • l’indemnité de préavis ;
  • des indemnités conventionnelles correspondant à la réparation de X années de présence dans l’entreprise ;

…Et puis l’on va aussi prendre en compte les conditions peut-être brutales et / ou vexatoires du licenciement, ce qui revient à réparer le « préjudice » moral subi par le salarié licencié.

Le diable se nichant dans les détails, le législateur s’est évidemment manifesté en réclamant son dû… en profitant d’une brèche !

En effet, si la transaction comporte le paiement de sommes ayant le caractère de salaires (ex : indemnités de congés payés), il faut alors que ces montants subissent le poids des cotisations sociales.

Sinon, cela serait incompréhensible au regard des personnes qui, sans être licenciées et sans être en contentieux, se voient ponctionner des cotisations sociales sur ces mêmes créances salariales durant leur relation de travail.

CQFD.

Pour autant, est-ce que la totalité des montants sont concernés ?

Non.

Et l’on retrouve là les restes du principe de réparation évoqué plus haut.

On en vient à un exemple chiffré pour rendre l’ensemble très parlant.

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L’encadrement des indemnités transactionnelles réparant un préjudice : focus sur la ventilation des montants

L’idée principale à retenir est que l’administration veille à ce que les parties à une transaction ne gonflent pas trop la part des indemnités transactionnelles réparant un (ou des) « préjudice(s) » et ayant donc la nature de « dommages et intérêts ».

En effet, cette part n’est pas soumise aux cotisations sociales et, sous certains plafonds, est exonérée d’imposition sur le revenu.

Pour cela, la doctrine administrative (cf. circulaires et instructions publiées dans le BOSS et le BOFIP) veille à la ventilation des sommes composant une transaction.

Prenons les chiffres d’une véritable transaction.

Nous ne changeons que les identités… en y mettant une dose d’humour au niveau des intitulés !

Supposons que Monsieur Outragé a été salarié de la société Pingre.

Un beau (ou mauvais…) jour, la société Pingre se sépare de Monsieur Outragé… qui le devient vraiment (outragé, j’entends) à cette annonce !

Dans un premier temps, les parties se maudissent et se jurent de se retrouver devant le juge.

Puis, dans un second temps, une heureuse inspiration et l’envie d’en finir avec toute idée de contentieux les pousse à se rapprocher afin de transiger.

C’est chose faite après moult négociations.

Cette transaction – qui est le résultat d’un marchandage, ne nous voilons pas la face… – est d’un montant global brut de 40.000 euros.

Nous parlons bien de chiffres bruts.

Ajoutons encore une précision pour prendre le cas de figure le plus défavorable à la personne licenciée : Monsieur Outragé n’était pas salarié avant de collaborer avec la société Pingre.

C’était ce qu’on appelle un « travailleur non salarié » (exemple typique : un coursier qui travaillait, en tant que « micro-entrepreneur », pour plusieurs sociétés, puis a été embauché par la société Pingre).

Dès lors, seule sa période au sein de société Pingre l’a été en tant que salarié.

Pourquoi rajouter cette précision ?

Parce que cela a une incidence très significative sur le traitement fiscal des sommes perçues lors de la transaction.

Reprenons le cheminement :

  • le volume global est de 40.000 euros bruts
  • cette somme est ventilée en quatre créances de nature différente, toutes dûment indiquées dans la transaction :
    • 10.936 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
    • 12.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
    • 12.479,20 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral allégué pour licenciement brutal et vexatoire
    • 4.584,80 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents

L’on voit immédiatement que seuls les 12.479,20 euros de dommages et intérêts sont exonérés de cotisations sociales puisqu’ils réparent un (ou des) « préjudice(s) ».

Voici comment traiter le reste de la transaction.

Au visa du Code général des impôts, l’argent versé au titre de la transaction est exonéré d’impôt sur le revenu « pour la part correspondant à 50 % de la somme totale accordée au titre de la rupture des relations contractuelles .

En revanche, la part correspondant à l’indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés y afférents est assujettie aux cotisations et contributions de sécurité sociale ainsi qu’à l’impôt sur le revenu.

Plus triste encore pour Monsieur Outragé (qui deviendra bientôt Monsieur Scandalisé !), la part soumise à l’impôt sur le revenu fait l’objet d’un « prélèvement à la source ».

Or, on a dit précédemment que ce monsieur n’avait pas été salarié avant.

L’administration fiscale considère donc qu’il faut lui appliquer le « taux non personnalisé » (également appelé « taux neutr »).

Ce taux n’a de « neutre » que le nom, car c’est en réalité un taux élevé (33 %).

  • concrètement, c’est 5.998,53 euros qui vont directement au fisc sur la somme globale de 40.000 euros (5.998,53 étant le tiers de l8.177,37 euros)
  • or ces 18.177,37 sont le « net imposable » des 40.000 euros bruts

Ces 5.998,53 euros, Monsieur Outragé ne les voit même pas passer par son compte bancaire.

Il ne les aperçoit que sur le bulletin de paye récapitulatif que lui remet son ancien employeur après la signature de la transaction.

En vertu du système du prélèvement à la source, c’est à l’employeur qu’il incombe de verser directement au fisc ces 5.998,53 euros.

Il appartiendra ensuite à Monsieur Outragé d’aller réclamer le remboursement de cette somme en demandant (lors de la déclaration de revenu de l’année suivante) à l’administration fiscale d’indiquer son taux d’imposition en fonction de ses revenus réels de l’année où il a touché les indemnités transactionnelles.

Comme Monsieur Outragé n’est pas l’homme le plus imposé de France, il a de fortes chances, s’il remplit bien les cases de sa déclaration de revenus, de récupérer tout ou partie de ces 5.998,53 euros.

On finit l’explication par les précisions suivantes :

  • la société a procédé à la déduction des charges sociales (pour passer du « brut » au « net ») ;
  • les cotisations sociales sont prélevées « sur la part imposable » des indemnités perçues à l’occasion de la rupture du contrat de travail ;
  • quant à la CSG et la CRDS, elles sont décomptées « sur la part de la somme totale excédant le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement ».

Au total, Monsieur Outragé perçoit :

40.000 euros bruts

– 5.418,29 euros de cotisations et contributions sociales (part salariale)

– 5.998,53 euros de prélèvement à la source

= 28.583,18 euros nets

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