Le passeport prévention en santé au travail

Le gouvernement a entendu donner une base juridique solide au nouveau « passeport prévention » en santé au travail.

La succession de textes rend compte de cette volonté forte dans un contexte de crise sanitaire latente et toujours menaçante.

Cet article a été publié il y a 1 an, 9 mois.
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Le passeport prévention en santé au travail
Le passeport prévention : un outil pour prévenir les risques professionnels.

D’abord décrit dans l’« accord national interprofessionnel » [ANI] sur la santé au travail du 9 décembre 2020 comme un « outil d’optimisation de la formation des salariés », il a ensuite trouvé sa place dans la proposition de loi nº 3718 visant à « renforcer la prévention en santé au travail ».

Ultérieurement, ce texte est devenu la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 « pour renforcer la prévention en santé au travail » (JO, 3 août 2021).

L’article 6 de cette loi a, à son tour, créé un nouvel article L. 4141-5 dans le Code du travail.

Enfin, tout dernièrement, le décret n° 2022-1712 du 29 décembre 2022 (JO, 30 déc. 2022) a approuvé la délibération du « Comité national de prévention et de santé au travail », prise par le « Conseil d’orientation des conditions de travail », afin de fixer les modalités de mise en œuvre du passeport de prévention, ainsi que sa mise à disposition par l’employeur.

Passeport prévention : mise en œuvre et précisions réglementaires

Dans la partie réglementaire du Code du travail, l’article R. 4141-5 dispose que « la formation dispensée tient compte de la formation, de la qualification, de l’expérience professionnelle et de la langue, parlée ou lue, du travailleur appelé à en bénéficier ».

En outre, « le temps consacré à la formation et à l’information (…) est considéré comme du temps de travail. La formation et l’information en question se déroulent pendant l’horaire normal de travail ».

Il est prévu que les « modalités de mise en œuvre du passeport de prévention et de sa mise à la disposition de l’employeur sont déterminées par le Comité national de prévention et de santé au travail et approuvées par voie réglementaire ».

Les objectifs du passeport prévention

Renforcer la traçabilité et la consolidation des formations suivies par les salariés pendant leur carrière

Le passeport regroupe dans un document unique toutes les attestations, certificats et diplômes obtenus dans le cadre de formations relatives à la santé et la sécurité au travail

Son objectif est de favoriser l’approche préventive et d’améliorer la protection et l’encadrement des travailleurs.

Il vise avant tout à éviter les doublons et la récurrence de formations déjà suivies par le passé.

Il constitue la preuve que le salarié a bien suivi une formation pour permettre l’exécution d’un contrat de travail sans risque.

Il permet aussi de justifier une demande de formation du salarié auprès de son employeur.

En cas d’accident du travail, il a une valeur probatoire en ce sens qu’il peut témoigner du fait que l’employeur n’a pas respecté ses obligations légales, si l’accident est lié à un sujet évoqué dans une formation non suivie par le salarié.

Aider la gestion du personnel et éviter les formations redondantes

La finalité est que les services RH accèdent aux compétences SST [« services de santé au travail »] des collaborateurs de l’entreprise et ne financent donc que les formations pertinentes.

Pour ce faire, le passeport prévention est constitué de deux parties qui listent les formations suivies par le salarié :

  • celles propres à chaque branche professionnelle (ex : « Certificat d’aptitude à la conduite en sécurité » [CACES]) ;
  • celles valables pour l’ensemble des branches professionnelles (ex : formation sécurité incendie et assistance à personnes).

L’employeur doit renseigner le passeport sur la base des attestations, certificats et diplômes obtenus par le salarié.

Il n’a accès à la totalité du passeport que si le salarié l’autorise.

Le salarié peut de lui-même renseigner le passeport lorsqu’il obtient des diplômes ou certifications obtenues à l’issue de formations suivies de sa propre initiative.

Quant au salarié, il a accès de plein droit à la totalité du passeport.

A noter : les « services de santé au travail » [SST] deviennent les « services de prévention et de santé au travail » [SPST].

Critique principale du dispositif de passeport prévention : le risque d’exonérer l’employeur de son « obligation de sécurité de résultat »

L’article L. 4121-1 du Code du travail pose le principe de « l’obligation de sécurité de résultat » en matière de santé et de sécurité des salariés et l’article L. 4121-2 détermine les principes généraux de prévention.

Cependant, l’esprit de la loi du 2 août 2021 est que la prévention prime sur la réparation des AT/MP.

Or, jusqu’ici, la jurisprudence a été constante sur la protection de la santé de la sécurité du salarié (v. notamment Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-16.683).

Selon la CGT, le risque est celui d’une « ouverture à un transfert de responsabilité sur le salarié ».

Jérôme Vivenza, membre de la commission exécutive confédérale, estime que puisque « le passeport prévention (…) revient à laisser une trace attestant du fait que le travailleur était formé pour préserver sa santé au travail. S’il a un accident et qu’il s’avère qu’il n’a pas suivi les préconisations de sa formation, l’employeur pourrait considérer que, finalement, c’est de la faute du travailleur ».

A savoir : en matière de « santé au travail » et de « prévention des risque psycho-sociaux », le principe de « l’obligation de sécurité de résultat » pèse sur l’employeur.

C’est une obligation très forte et l’employeur est tenu pour responsable du résultat. Concrètement, cela signifie :

  • qu’il doit tout mettre en œuvre pour parvenir à l’objectif de prévention de la santé et des risques psycho-sociaux des salariés
  • qu’en cas de contentieux (par exemple, après un accident du travail, ou même lors d’un accident sur le trajet domicile-travail), la responsabilité de l’entreprise est engagée, sauf si le comportement du salarié est fautif (ex : s’il a bu avant de conduire).

A travers un outil en apparence technique, on peut donc se demander si on n’assiste pas à une première brèche dans le principe très puissant d’ « obligation de sécurité de résultat ».

Jérôme Vivenza affirme également qu’avec ce passeport, « on ne rentre pas dans la prévention primaire : on est quasiment dans la prévention du risque juridique de l’employeur ».

Pour le syndicaliste, le refus des amendements ayant été déposés à l’Assemblée Nationale pour préciser que le passeport ne peut servir à exonérer la responsabilité des employeurs est « significatif » de cette évolution.

Du côté patronal, la réponse est diamétralement opposée.

Eric Chevée, vice-président de la CPME, demande « en quoi est-ce une faute que l’employeur démontre qu’il avait bien assuré toutes les formations obligatoires ? »

Quant aux formations qui font doublon, la CGT considère que « toutes les formations ont besoin d’une mise à jour sur la santé au travail. (…) On ne peut pas dire qu’un salarié qui a suivi une formation en ait encore beaucoup de restes 10 ans après ».

Force est de constater que ce point fait effectivement débat, car à supposer même que l’on se souvienne vaguement d’une formation suivie en 2009, quels enseignements concrets, tangibles et opérationnels en reste-t-il en 2023 ?

La vérité oblige à dire que la mémoire fait défaut et qu’il ne serait donc pas inutile de renouveler telle ou telle formation.

En outre, les techniques enseignées peuvent aussi avoir changé.

Il suffit de prendre un exemple en matière de lutte contre les incendies et les premiers gestes à adopter par des salariés pris au piège des flammes : les techniques d’intervention et de sauvegarde ont très bien pu évoluer en quelques années.

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Seconde critique du dispositif de passeport prévention : le risque de discrimination dans l’accès à l’emploi

Une autre inquiétude se fait jour : celle de voir le « passeport prévention » se transformer de facto en passeport pour l’emploi.

Ainsi, pour les demandeurs d’emploi, le passeport pourrait devenir un critère de sélection supplémentaire.

Or, sur ce plan, tous les salariés ne seraient évidemment pas placés sur un pied d’égalité.

Ainsi, l’on sait tous que les grandes sociétés ont davantage tendance à disposer de services RH étoffés qui mettent en place et appliquent des programmes de formation complets.

La présence de syndicats structurés et élus au sein des IRP [« instances représentatives du personnel »] n’est pas étrangère à cela car la direction est placée, d’une certaine façon, sous surveillance.

A l’inverse, les TPE et PME vont beaucoup moins – et parfois pas du tout – se soucier des plans de formation et ce sans qu’aucune force syndicale vienne rappeler au dirigeant ses obligations.

Cependant, la taille de l’entreprise n’est pas la seule source de différence de situation lorsque le salarié se présente sur le marché de l’emploi pour postuler à une offre.

En effet, si une personne a travaillé une large partie de sa vie en solo ou en indépendant – ce qu’on appelle, pour être précis sur le plan juridique, un « travailleur non salarié » – il est clair qu’il ne se sera bien souvent pas formé durant les années où il a été indépendant. Ou, plus exactement, ses seules formations auront été strictement liées à son travail, telle qu’une acquisition de connaissances afférente à un logiciel dont il a besoin pour accomplir ses tâches afin d’attirer et de retenir des clients.

En conséquence, la préoccupation de santé au travail et de prévention des risques viendra bien plus loin dans la liste des priorités.

A l’évidence, et pour l’accession à un même poste, une différence substantielle va naître entre un salarié ayant un passeport bien garni et un ancien « travailleur non salarié » présentant un passeport lacunaire.

Ce dernier point n’est pas un cas d’école car les carrières sont de moins en moins linéaires au sein d’une même entreprise.

A la différence de ce qu’a pu être la France de la période des « trente glorieuses » où le salariat était le modèle dominant, il y a de plus en plus de tâches qui sont externalisées auprès de « micro-entrepreneurs » (ex. « auto-entrepreneurs ») ou de petites structures collaborant en sous-traitance.

L’ubérisation de la vie économique a son pendant sur le plan social.

De surcroît, ce qu’on appelle pudiquement les « accidents de la vie » (et les licenciements en font partie) multiplie les occasions où une personne se retrouve hors d’une grande entreprise et donc hors des formations programmées pour le personnel.

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