Fonction publique : La frontière ténue entre l’insuffisance professionnelle et la faute disciplinaire

Le juge administratif a pu considérer que pour apprécier la légalité d'une décision reposant sur l’insuffisance professionnelle de l’agent, il lui incombe de vérifier, notamment, qu'elle ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir (Cour administrative d’appel de Versailles, 30 décembre 2020, n° 18VE00345).

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La frontière ténue entre l’insuffisance professionnelle et la faute disciplinaire
Insuffisance professionnelle et sanction disciplinaire : la frontière est-elle bien toujours définie ?

Le juge administratif a ainsi pu considérer qu’une décision présente le caractère d’une sanction disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l’agent concerné et que la nature des faits l’ayant justifiée et l’intention poursuivie par l’administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 15 novembre 2016, n° 14BX01858).

Ainsi, pour le juge administratif, la distinction entre l’insuffisance professionnelle et la faute disciplinaire doit faire l’objet d’une application stricte, au risque d’être interprété comme un détournement de pouvoir.

Toutefois, la frontière se révèle souvent ténue.

En effet, s’agissant des agents contractuels, le juge administratif considère qu’une décision de non renouvellement de contrat prise en considération de la personne peut être légalement fondée lorsqu’elle est justifiée par le comportement de l’agent, qu’il ait manqué à ses obligations professionnelles ou qu’il soit en situation d’insuffisance professionnelle.

Ainsi, l’insuffisance professionnelle ou des faits tirés du comportement de l’intéressé peuvent justifier un refus de renouvellement de contrat (Conseil d’État, 5 décembre 2005, n° 262948 / Conseil d’État, 23 janvier 1981, n° 17932 / Conseil d’État, 4 juillet 1994, n° 118298 / Conseil d’État, 23 décembre 1994, n° 126194).

Au nombre de ces motifs, figurent notamment des manquements aux obligations professionnelles, comme des absences injustifiées, ou encore un refus d’exécution de tâches liées aux fonctions (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 10 février 2004, n° 00BX00997). S’agissant des agents stagiaires, il en va de même.

En effet, le juge administratif considère que ces derniers peuvent faire l’objet d’un refus de titularisation en fin de stage, même si certains des faits évoqués dans les rapports établis par les supérieurs hiérarchiques de l’agent peuvent être qualifiés de fautes disciplinaires. Le Conseil d’État précise même que cette situation ne fait pas obstacle à ce que ces mêmes faits soient pris en compte pour apprécier l’aptitude professionnelle du stagiaire (Conseil d’État, 24 février 2020, n° 421291 / Cour administrative d’appel de Marseille, 15 mai 2014, n° 12MA02734).

Dans le cadre de cette distinction, le juge administratif a eu tout récemment l’occasion de se prononcer à l’égard de faits qui relevait de l’un de ces régimes juridiques mais qui semblaient pouvoir relever de l’autre régime : le chef de service responsable d’agissements susceptibles de revêtir le caractère de harcèlement moral et les négligences d’un soignant dans l’exercice de ses fonctions.

Des faits susceptibles de relever de l’insuffisance professionnelle

Cour administrative d’appel de Paris, 9 novembre 2022, n° 21PA01034

Comme les jurisprudences précitées l’établissent, l’insuffisance professionnelle de l’agent repose sur l’appréciation de sa manière de servir.

Or, par décision en date du 9 novembre 2022, le juge administratif a eu l’occasion de confirmer la régularité d’une sanction disciplinaire, alors même que les faits retenus étaient susceptibles de relever de l’insuffisance professionnelle.

En effet, L’agent présentait des absences récurrentes de son poste et ne respectait pas les normes sanitaires mises en place au sein de l’établissement, en portant, notamment, sa tenue civile au-dessus de sa tenue professionnelle ou en portant ses bijoux pendant son service.

Ainsi, dans cette espèce, la Cour administrative d’appel reconnaît qu’en dépit de la circonstance selon laquelle tout ou partie des reproches adressés à l’agent, puissent également être susceptibles de révéler une insuffisance professionnelle, ne font pas obstacle à ce que l’autorité compétente prenne légalement une sanction disciplinaire.

Le juge a également eu l’occasion d’opérer une analyse inverse.

Le licenciement pour insuffisance professionnelle plutôt que la sanction disciplinaire pour un chef de service

Cour administrative d’appel de Nantes, 25 octobre 2022, n° 22NT0006

Par une décision en date du 25 octobre 2022, le juge administratif confirme le licenciement d’un responsable de police municipale, sur le fondement de son insuffisance professionnelle.

Cependant, comme l’attestent plusieurs agents du service, ce dernier adressait des remarques humiliantes à ses collaborateurs, était auteur d’un management particulièrement directif, sans consignes claires, générant un sentiment d’insécurité, une perte de confiance et d’estime de soi chez les agents.

Un agent du service a même été placé en arrêt maladie pour un syndrome anxiodépressif en relation avec son activité professionnelle et a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Or, ces faits sembleraient pouvoir relever de la qualification de harcèlement moral et son auteur, d’une sanction disciplinaire.

Néanmoins, en l’espèce de la décision du 25 octobre 2022, le chef de service, directement responsable d’une désorganisation de son équipe, d’une mauvaise ambiance, voire du départ de certains agents ou de leur placement en arrêt maladie, a pu être considéré comme n’exerçant pas les missions dévolues à son corps et ainsi faire l’objet d’un licenciement pour insuffisance professionnelle.

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Conclusion

Après le non-renouvellement du contrat ou la non-titularisation des stagiaires, le juge administratif retient de nouveau, dans les deux arrêts d’octobre et novembre 2022, l’ensemble des motifs relevant à la fois de l’insuffisance et de la discipline, pour confirmer la légalité de l’une ou l’autre de ces deux procédures empruntées par l’employeur.

Ainsi, le harcèlement moral d’un supérieur hiérarchique, susceptible d’être qualifié de faute, peut être considéré comme des faits justifiant un licenciement pour insuffisance professionnelle.

En effet, des comportements de harcèlement moral ne constituent pas seulement un manquement à une obligation pour un supérieur hiérarchique, mais également une défaillance dans sa manière de servir. De la même façon, le soignant qui n’exerce pas ses fonctions conformément à ce qu’on attend de lui, peut aussi faire l’objet d’une sanction disciplinaire, en dépit de faits susceptibles de relever de l’insuffisance professionnelle.

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