Le « barème Macron » : suite d’un feuilleton à rallonge !

Le dossier du « barème Macron » se poursuit alors même que l'on pensait la question réglée depuis que la Cour de cassation s'était prononcée, en mai dernier, dans deux affaires contentieuses, en faveur de celui-ci.

Ces deux arrêts de la chambre sociale (Cass. soc., 11 mai 2022, n° 21-15.247 et n° 21-14.490) ne doivent pas être confondus avec l'avis de la Cour de cassation sur ce même barème.

En effet, l'avis de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 17 juillet 2019 était antérieur et avait également validé le barème, mais il ne liait pas les juridictions.

Or, la Cour d'appel de Douai vient tout récemment, le 21 octobre 2022 (aff. n° 1736/22), d'écarter le barème.

Elle est ainsi devenue la première juridiction à refuser de s'aligner sur la Cour de cassation sur cette thématique.

Il convient donc de revenir sur cette question juridique primordiale et épineuse pour en saisir les enjeux et la portée pratique.

Cet article a été publié il y a 2 ans, 1 mois.
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Le « barème Macron » : suite d'un feuilleton à rallonge !
Le barème « Macron » d’indemnisation du licenciement abusif suscite toujours autant de controverses depuis son entrée en vigueur.

Barème Macron : les notions et dates essentielles pour comprendre l’importance du sujet de 2017 à aujourd’hui

Les principes et exceptions définis en 2017

On appelle communément « licenciement abusif » un licenciement « pour motif personnel » et considéré « sans cause réelle et sérieuse ».

Concrètement, cela signifie que le motif à l’origine du licenciement n’est pas reconnu valable par les juges.

Or, l’article L.1232-1 du Code du travail précise que tout licenciement doit avoir :

  • une cause réelle (c’est-à-dire une cause établie, objective et exacte) ;
  • et un motif sérieux (résultant d’un fait qui rend impossible, sans dommage pour l’entreprise, la continuation du contrat de travail).

En cas de contentieux, le juge apprécie le caractère réel et sérieux du (ou des) motif(s) invoqué(s) par l’employeur, en fonction des éléments fournis par les parties.

Si le caractère réel et sérieux du licenciement n’est pas établi, l’entreprise est alors sanctionnée par l’application d’un barème qui va indemniser le salarié pour ce préjudice, sachant que le montant de l’indemnisation varie selon l’ancienneté du salarié et l’effectif de l’entreprise.

Après son élection en 2017, Emmanuel Macron avait fait adopter l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 « relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail » (JO 23 sept.).

Cette ordonnance contient un tableau mettant en corrélation le nombre d’années d’ancienneté du salarié dans l’entreprise et les indemnités à lui verser.

Ces indemnités comportent un plancher et un plafond.

Elles sont exprimées en mois de salaire brut.

Ce « barème Macron » était censé permettre aux entreprises de provisionner avec certitude le montant des indemnités, sans avoir de surprise au moment du jugement.

Applicable aux licenciements notifiés depuis le 24 septembre 2017 et jugés « sans cause réelle et sérieuse », ces planchers et plafonds s’imposent aux juges (cf. nouvel article L. 1235-3 du Code du travail).

Toutefois, il a été prévu des exceptions lorsque les licenciements :

  • procèdent d’un harcèlement moral ou sexuel ;
  • sont discriminatoires ;
  • violent une liberté fondamentale.

Dans ces cas, la sanction est une indemnité « plancher » de 6 mois de salaire.

Voilà, en synthèse, le schéma retenu en 2017.

La réalité qui s’est écrite depuis est bien différente…

Une contestation du barème Macron qui n’a pas cessé

Dès le début, plusieurs conseils de prud’hommes ont refusé d’appliquer le barème.

On en explicitera les raisons ci-dessous.

Ceci a conduit le garde des Sceaux de l’époque à demander, par une circulaire du 26 février 2019 adressée aux procureurs généraux près les cours d’appel, un bilan des juridictions frondeuses.

Cependant, la circulaire de 2019 va plus loin qu’un simple recensement des décisions de justice ayant retenu l’inconventionnalité du « barème Macron » ou, au contraire, l’ayant intégré.

Le texte rappelle aussi aux procureurs les décisions du Conseil d’État du 7 décembre 2017 (Req. n° 415243) et du Conseil constitutionnel du 21 mars 2018 (n° 2018-761 DC) qui ont validé ce barème.

Enfin, la circulaire précise que lorsqu’une cour d’appel est saisie de cette question, le parquet fait connaître sa position sur cette question d’application de la loi.

Concrètement, l’objectif est de pouvoir intervenir en qualité de partie jointe lors du procès, ce qui témoigne de la résolution et de la fermeté des pouvoirs publics.

Et pourtant, malgré cela, que s’est-il passé ?

Loin de perdre en puissance, le mouvement de fronde a pris de l’ampleur.

La France s’est retrouvée divisée entre les cours d’appel appliquant le barème et celles l’écartant (donc n’appliquant pas le nouvel article L. 1235-3 du Code du travail).

On citera, parmi de nombreux exemples, un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 16 mars 2021 (aff. n° 19/08721), qui a considéré que l’application du barème ne permet pas une indemnisation adéquate et appropriée du « préjudice subi par le salarié ».

Les enjeux juridiques du débat entre les « pro » et les « anti » barème Macron

Voici quelques exemples venant des deux camps.

Parmi les jugements revendiqués par les opposants au barème, on dénombre :

  • le Conseil de prud’hommes de Troyes (13 déc. 2018, RG F 18/00036) ;
  • le Conseil de prud’hommes d’Amiens (19 déc. 2018, RG F 18/00040) ;
  • le Conseil de prud’hommes de Lyon (21 déc. 2018, RG F 18/01238).

Parmi les jugements cités par les tenants du barème, il y a :

  • le Conseil de prud’hommes du Mans (26 sept. 2018, RG F 17/00538) ;
  • le Conseil de prud’hommes de Caen (18 déc. 2018, RG F 17/00193) ;
  • le Conseil de Prud’hommes du Havre (15 janv. 2019, RG F 18/00318) ;
  • le Conseil de Prud’hommes de Tours (29 janv. 2019, RG F 18/00396).

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La convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail [OIT]

Le débat se focalise sur deux points.

L’article 10 de la convention

Il impose le versement d’une « indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement injustifié.

Dès lors, les opposants au barème relèvent la contradiction de celui-ci avec l’article 10 en considérant que l’indemnité n’est pas « adéquate ».

En revanche, les tenants du barème indiquent que la marge d’appréciation laissée aux Etats est suffisante.

Autrement dit, ce qui est en jeu est la possibilité laissée au « juge du fond » d’apprécier souverainement et in concreto l’indemnisation à accorder au salarié en tenant compte des circonstances de chaque espèce.

Les opposants au barème rétorquent qu’une appréciation in concreto et tenant compte des spécificités de chaque licenciement est impossible puisque ce qu’on appelle « l’office du juge » se trouve encadré par le barème.

Pour la Cour de cassation, la latitude laissée au juge est suffisante car il existe un plancher et un plafond et que, de plus, elle considère que les niveaux d’indemnisation ne sont pas dérisoires.

L’applicabilité directe de la convention

Sur ce second point, l’essentiel du débat a été tranché car la Cour de cassation a reconnu que la convention n° 158 est bien d’application directe en droit français.

Dès lors que c’est un texte de droit international, auquel l’Etat français est partie, il prime sur le droit national car ses dispositions créent des droits dont peuvent se prévaloir les particuliers.

Exit donc le débat sur son application.

Conséquence pratique : les plaideurs défendant les salariés sont recevables à invoquer l’application de la convention de l’OIT mais cela ne sert à rien puisque le barème est considéré comme compatible avec ce texte international en laissant suffisamment de marge de manœuvre au juge pour rechercher une indemnisation adéquate du salarié licencié.

La Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe du 18 octobre 1961

L’article 24 de la Charte sociale européenne

La charte, qui a été révisée le 3 mai 1996 à Strasbourg, contient un article qui focalise l’attention.

L’article 24 consacre le « droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Comme pour l’article 10 de la convention n° 158, toute la question est de savoir si le barème Macron est conforme à ce texte.

Un extrait du jugement du Conseil de prud’hommes de Troyes permet de bien saisir le raisonnement des opposants au barème Macron : « Le barème est fixé en fonction de l’ancienneté et de la taille de l’entreprise et peut aller jusqu’à un maximum de 20 mois. L’article L. 1235-3 du Code du travail, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi. De plus, ces barèmes ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié. Ces barèmes sécurisent davantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables. En conséquence, le Conseil juge que ce barème viole la Charte sociale européenne et la Convention n° 158 de l’OIT. Les barèmes prévus à l’article L. 1235-3 du Code du travail sont donc inconventionnels ».

Très concrètement, le Conseil de prud’hommes a accordé au salarié qui justifiait d’une ancienneté de 3 ans une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse équivalant à 9 mois de salaire (contre 4 mois maximum prévus par l’article L. 1235-3 du Code du travail).

L’invocabilité de la charte

La Cour de cassation ainsi que les juridictions ayant appliqué le barème ont mis en avant le fait que la Charte sociale européenne n’a pas d’effet direct en droit français.

Le débat est complexe sur le plan juridique car l’on distingue « l’effet direct vertical » et « l’effet direct horizontal ».

En l’espèce, il ne s’agit pas d’effet direct horizontal (qui s’applique dans les relations entre particuliers), mais d’effet direct vertical, à savoir la faculté pour un particulier d’invoquer une disposition juridique à l’égard d’un État, donc de faire écarter par le juge le barème.

Or, la doctrine et la très grande majorité des magistrats considèrent que cela n’est pas le cas avec le « barème Macron ».

Conclusion

En guise de conclusion, l’on peut dire que l’incertitude continue de prévaloir concernant l’indemnisation du licenciement abusif.

L’arrêt très récent de la Cour d’appel de Douai a donné lieu à un pourvoi.

La Cour de cassation devrait donc « casser » l’arrêt et renvoyer les parties devant une autre cour d’appel.

La question est de savoir combien de conseils de prud’hommes et de cours d’appels continueront de faire de la résistance à l’avenir.

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