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La notion de temps de travail prévue par la directive du 4 novembre 2003
Relève de la notion de temps de travail au sens de la directive du 4 novembre 20033, l’intégralité des périodes de garde, y compris celles sous régime d’astreinte, au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur sont d’une nature telle qu’elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts. Et inversement, prévoit la même directive, lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours d’une période de garde déterminée n’atteignent pas un tel degré d’intensité et lui permettent de gérer son temps et de se consacrer à ses propres intérêts sans contraintes majeures, seul le temps lié à la prestation de travail qui est, le cas échéant, effectivement réalisée au cours d’une telle période constitue du temps de travail.
Les précisions apportées par la CJUE
Dans les deux arrêts datés du 9 mars 20211, la CJUE vient préciser sa jurisprudence sur les modalités de prise en compte des périodes de garde comme temps de travail. La question est particulièrement suivie par les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), mais aussi dans les établissements publics hospitaliers depuis sa décision « Matzak » du 21 février 2018. Cette dernière concernait un sapeur-pompier volontaire belge – jugeant notamment que le temps de garde qu’un travailleur passe à domicile avec l’obligation de répondre aux appels de son employeur dans un délai de huit minutes, restreignant très significativement les possibilités de se livrer à d’autres activités, doit être considéré comme « temps de travail ».
L’alignement du Conseil d’État sur la position de la CJUE
Dans sa décision datée du 19 décembre 20194 le Conseil d’État rejoint la position de la CJUE en la matière. En substance, le litige concernait un sapeur-pompier professionnel du Sdis du Loiret, dont le règlement intérieur prévoyait que les sapeurs-pompiers logés devaient être joignables à tout moment lors de leurs périodes de garde et être disponibles, en tenue, sous trois minutes. Pour le Conseil d’État : si les dispositions de la directive 2003/88/CE, précitée, n’empêchent pas, pour l’établissement de la rémunération des sapeurs-pompiers pendant leurs gardes, de fixer des équivalences en matière de durée du travail, afin de tenir compte des périodes d’inaction, le dépassement de la durée maximale de travail qu’elles prévoient porte atteinte à la sécurité et à la santé des intéressés, en ce qu’il les prive du repos auquel ils ont droit et leur cause, de ce seul fait, un préjudice, indépendamment de leurs conditions de rémunération ou d’hébergement.
Par suite, estime le Conseil, après avoir relevé qu’il n’était ni établi ni même allégué que les heures réalisées, au titre des années en litige, par M. B. (le sapeur-pompier auteur de la requête) au-delà du seuil de 2 256 heures par an n’auraient pas été rémunérées dans des conditions régulières, la cour administrative d’appel a pu, sans commettre d’erreur de droit, ni insuffisamment motiver son arrêt, fixer le montant de la réparation qui lui était due, au regard des troubles dans les conditions de l’existence qu’il avait subis, sans tenir compte des avantages que lui avait procurés son logement de fonction.
Les apports des arrêts de la CJUE du 9 mars 2021
Une première espèce des deux décisions, précitées, implique, une fois encore, un sapeur-pompier, professionnel, chef de groupe exerçant au sein du service d’incendie et de secours de la ville d’Offenbach-sur-le-Main (Allemagne) ; l’autre espèce concerne un technicien slovène spécialisé dans les centres de transmission. La Cour, face à ces types de contentieux s’appuie sur l’appréciation de la brièveté du délai dont dispose un agent pour reprendre ses activités et sur la fréquence de ses interventions.
Dans l’affaire C-580/19, un fonctionnaire exerçait des activités de pompier dans la ville d’Offenbach-sur-le-Main (Allemagne). À ce titre, il devait, en plus de son temps de service réglementaire, effectuer régulièrement des périodes de garde sous régime d’astreinte. Au cours de celles-ci, il n’était pas tenu d’être présent sur un lieu déterminé par son employeur mais devait être joignable et pouvoir rejoindre, en cas d’alerte, les limites de la ville dans un délai de vingt minutes, avec sa tenue d’intervention et le véhicule de service mis à sa disposition.
Dans l’affaire C-344/19, un technicien spécialisé était chargé d’assurer le fonctionnement, durant plusieurs jours consécutifs, de centres de transmission pour la télévision, situés dans la montagne en Slovénie. Il effectuait, outre ses douze heures de travail ordinaire, des services de garde de six heures par jour, sous régime d’astreinte. Pendant ces périodes, il n’était pas obligé de rester au centre de transmission concerné, mais devait être joignable par téléphone et être en mesure d’y retourner dans un délai d’une heure si besoin. Dans les faits, compte tenu de la situation géographique des centres de transmission, difficilement accessibles, il était amené à y séjourner pendant ses services de garde, dans un logement de fonction, mis à sa disposition par son employeur, sans grandes possibilités d’activités de loisir.
Dans ce cadre, la Cour de justice, à travers ses deux décisions, livre aux juridictions nationales, une sorte de méthode destinée à régler de tels contentieux.
Le juge national doit vérifier les conséquences de l’ensemble des contraintes imposées à l’agent
En premier lieu, les juridictions doivent vérifier les conséquences de « l’ensemble des contraintes » imposées au travailleur lors d’une période de garde « sur sa faculté de gérer librement le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de se consacrer à ses propres intérêts » et, notamment la brièveté du « délai dont dispose le travailleur […] pour reprendre ses activités professionnelles, à compter du moment où son employeur le sollicite », mais également « l’obligation pour le travailleur de demeurer à son domicile, sans pouvoir se déplacer librement, dans l’attente de la sollicitation de son employeur, ou celle d’être muni d’un équipement spécifique lorsque, à la suite d’un appel, il doit se présenter sur son lieu de travail« .
La CJUE indique, par ailleurs, que « seules les contraintes qui sont imposées au travailleur, que ce soit par la réglementation de l’État membre […], par une convention collective ou par son employeur » peuvent être prises en considération, et non « les difficultés organisationnelles […] qui sont, par exemple, la conséquence d’éléments naturels ou du libre choix » du travailleur. Il en est ainsi, notamment, de « la distance importante séparant le domicile librement choisi par le travailleur de l’endroit qu’il doit être en mesure de rejoindre dans un certain délai au cours de sa période de garde », « à tout le moins lorsque cet endroit est son lieu de travail habituel ». Toutefois si le lieu de travail englobe ou se confond avec le domicile du travailleur, la seule circonstance que, au cours d’une période de garde donnée, ce dernier est tenu de demeurer sur son lieu de travail afin de pouvoir, en cas de besoin, être disponible pour son employeur ne suffit pas à qualifier cette période de temps de travail.
Les juridictions nationales doivent tenir compte des facilités accordées à l’agent
Peut, ainsi constituer une telle facilité, la mise à disposition d’un véhicule de service permettant de faire usage de droits dérogatoires au code de la route et de droits de priorité ou encore la faculté reconnue au travailleur de répondre aux sollicitations de son employeur sans quitter le lieu où il se trouve. Cependant, cette circonstance doit être appréciée avec, « le cas échéant, la fréquence moyenne des interventions que ce travailleur sera effectivement appelé à assurer au cours de cette période ». Ainsi, « si le travailleur est, en moyenne, fréquemment appelé à fournir des prestations au cours de ses périodes de garde, prestations qui, en règle générale, ne sont pas de courte durée, l’intégralité de ces périodes constitue, en principe, du temps de travail ».
Les périodes minimales de repos et leur rémunération
En conséquence, la CJUE indique que les périodes de garde qui ne satisfont pas aux conditions pour être qualifiées de « temps de travail » – à l’exception du temps lié aux prestations de travail effectivement réalisées – doivent être comptabilisées dans le calcul des périodes minimales de repos journalier et hebdomadaire. Pour autant, elle précise que : « Les employeurs ne peuvent instaurer des périodes de garde à ce point longues ou fréquentes qu’elles constituent un risque pour la sécurité ou la santé du travailleur, indépendamment du fait que ces périodes soient qualifiées de périodes de repos ».
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La rémunération des services de garde
S’agissant de la question de la rémunération des services de garde, la CJUE rappelle qu’une réglementation d’un État membre, une convention collective ou une décision d’un employeur peut prendre en compte de manière différente les périodes au cours desquelles des prestations de travail sont réellement effectuées et celles durant lesquelles aucun travail effectif n’est accompli, même lorsque ces périodes doivent être considérées, dans leur intégralité, comme du temps de travail, ou prévoir le versement au travailleur concerné d’une somme visant à compenser les désagréments que lui occasionnent ces périodes de garde dans la gestion de son temps et de ses intérêts privés. À noter que dans sa décision Matzak2, la CJUE précisait que la rémunération d’un travailleur en temps de travail peut diverger de celle d’un travailleur en période de repos « même au point de n’accorder aucune rémunération durant ce dernier type de période »5.
Références
- CJUE, 9 mars 2021, deux espèces : affaires C-344/19D.J./Radiotelevizija Slovenija et C-580/19 RJ/Stadt Offenbach am Main ;
- CJUE, 21 février 2018, C-518/15/affaire Ville de Nivelles contre Rudy Matzak. ;
- Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (publiée au JOUE 2003, L. 299, p. 9) ;
- CE, 19 décembre 2019, Service départemental d’incendie et de secours du Loiret, requête n° 426031 ;
- Vont dans ce sens, trois jugements du tribunal administratif de Lyon du 27 février 2020, requêtes n° 1807900, 1807901 et 1808159, à propos des périodes de repos non rémunérées de sapeurs-pompiers volontaires : http://lyon.tribunal-administratif.fr/content/download/169046/1689147/version/1/file/1807900-1807901-1808159.pdf