Évaluation professionnelle : comment « objectiver » ses pratiques ?

L’éthique dans la pratique pourrait-elle suffire pour assurer un cadre de référence de cette pratique ? Si nous partagions tous le même système moral, peut-être. Faudrait-il encore que ce dernier positionne le destinataire de la pratique au cœur des préoccupations de celui ou celle qui la met en œuvre.

Cet article a été publié il y a 3 ans, 7 mois.
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Évaluer : c’est quoi objectiver ?

Plutôt que de fantasmer sur un ensemble de paramètres illusoires, il est probablement plus pragmatique de se concentrer sur un ensemble de règles pour la pratique. Elles permettent de créer un référentiel de cette pratique, pour chacune des parties, et de fixer des limites dans ce qui est acceptable de cette pratique.

Où en sommes-nous dans l’évaluation ? La bonne nouvelle, c’est que nous avons un sujet à explorer, à réfléchir, à construire, à structurer, à formaliser… Bref, il y a du boulot. L’évaluation professionnelle est un sujet qui laisse une place à une créativité certaine, si l’on pense cette créativité sous l’angle de pratiques les plus diverses et variées. Mais pas toujours structurées, et professionnalisées, au détriment avant tout de la personne évaluée, et aussi d’une image pas toujours positive d’une pratique aléatoire, et très, trop subjective.

L’objectivité, c’est possible ?

Il fait reconnaître que les pratiques ont beaucoup évolué depuis de nombreuses années.

Le périmètre professionnel s’est davantage structuré en termes de pratiques, par le développement d’outils d’évaluation, que je qualifierai d’aide à l’évaluation, plus centrés sur le sujet professionnel. En effet, il n’était pas rare de rencontrer le test de Rorschach dans des processus de recrutement, alors que c’est un test de psychologie clinique. La numérologie et l’astrologie étaient aussi de la partie. Davantage en cabinet qu’en entreprises qui structuraient davantage leurs pratiques.

Une tentative d’objectivation de l’évaluation avant tout, qui permettait à l’évaluateur de créer une base d’information sur le candidat ou la candidate, et aussi de s’évacuer de l’engagement de son métier : évaluer.

Comment objectiver en ayant recours à des outils des plus subjectifs, par rapport au contexte professionnel de la pratique, au contexte, à l’objectif de l’évaluation professionnelle ? L’évolution de ces outils vers d’autres plus adaptés à l’univers professionnel, issus la plupart du temps de la culture anglo-saxonne, ont permis de recentrer le sujet de l’évaluation sur des thématiques propres au cadre professionnel : les modes de fonctionnement en situation. Les fameuses « soft-skills ».

Mais alors, une certaine idée d’objectivité serait liée à l’outil ?

Si l’outil seul répondait aux besoins de l’évaluation, celle-ci ne serait donc plus un métier, et supprimerait de fait une part essentielle de l’évaluation professionnelle : la relation professionnelle. Et oui, l’humain, encore. Pas de solution miracle alors, qui évite de s’engager professionnellement et humainement ? C’est ballot.

L’outil à lui seul est…un outil. Prenez l’exemple du chef, étoilé ou non. La qualité de sa cuisine n’est-elle que le fruit de ses instruments ? Suffit-il de lire et suivre la recette de son livre pour réussir ?  Ou encore l’artiste peintre : de bons pinceaux, une qualité de toile, de papier, de peinture suffisent-ils à créer l’inspiration, le talent ? Nous connaissons la réponse.

L’outil dans l’évaluation professionnelle peut permettre de générer de l’information, d’impliquer la personne évaluée dans l’évaluation en se positionnant dans ses réponses. On peut alors considérer une certaine objectivité de l’outil. Est-elle suffisante pour représenter une objectivité de l’évaluation ?

L’outil reste un outil d’échange, de base à la relation dans l’évaluation pour garantir un cadre commun à l’ensemble des personnes évaluées. Il ne répond pas à la notion d’objectivité de l’évaluateur, si lui-même ne questionne pas son propre référentiel d’objectivité, et d’évaluation, dans la relation qu’il établit dans l’évaluation. On peut alors parler d’objectivation : un mouvement vers davantage d’objectivité, en acceptant de ne pas l’atteindre, en reconnaissant une part de subjectivité : celle propre à l’humain.

Les bases d’une objectivation

Comme nous l’avons évoqué, poser le contexte professionnel de l’évaluation participe à cerner le sujet de l’échange, et à se concentrer sur des thématiques qui restent en lien avec le sujet de l’évaluation.

Exemple : une série d’entretiens collectifs dans un groupe d’assurances alternait avec des entretiens individuels. Deux consultants questionnent un candidat grec sur sa capacité à prospecter, et à s’adapter à la culture parisienne en lui demandant s’il saura s’adapter au froid de l’hiver à Paris, par rapport aux conditions plus favorables en Grèce. C’est édifiant : intellectuellement, professionnellement, humainement. En l’absence de référentiel déontologique, l’éthique individuelle d’un consultant aurait pu venir au secours du candidat. Et non.

La définition en amont d’un besoin partagé entre l’ensemble des intervenants de l’évaluation (RH, managers) participe à construire ce contexte professionnel d’évaluation, en tant que cadre de discussion et de décision.

Un outil adapté à la thématique professionnelle permet également de créer un lien entre l’outil mis en place, le contenu de l’information générée par l’outil, et le besoin à l’origine de l’évaluation.

Exemple : le directeur général d’une filiale d’un grand groupe de media met en place un assessment sous forme de prise d’otage – on peut déjà questionner le lien entre la thématique de l’outil et le quotidien de l’entreprise. Un des membres du Codir fait preuve d’une attitude de protection par rapport au groupe, et s’expose pour le groupe en situation de tension et de risque. La décision prise par le directeur général à l’issue de l’assessment : il demande à son DRH de se séparer de ce manager trop…à risque pour le DG lui-même. Il y a bien entendu le fait de mobiliser une ressource collective pour son intérêt personnel, mais aussi, le fait d’utiliser un outil qui met en scène une situation absolument déconnectée du quotidien, de l’activité de l’entreprise. Et bien sûr, il y a la décision qui transgresse toutes les règles déontologiques de l’évaluation. Lesquelles ? Elles ne sont effectivement pas formalisées. L’élément le plus objectif de l’évaluation par cet assessment est en fait la posture du directeur général, très peu managériale, par rapport à un certain référentiel de posture managériale.

La communication objectivée. Elle consiste à questionner le sens des mots utilisés, des idées formulées par la personne évaluée. Elle consiste aussi à expliquer le sens de la question quand celui-ci peut prêter à confusion.

L’essentiel de cette démarche de communication est d’éviter au mieux les interprétations. Le manque de clarification peut amener le candidat ou la candidate à supposer une intention dans une question peu clairement formulée, ou l’évaluateur supposer le sens d’une réponse, sans forcément questionner à nouveau le sens de cette réponse.

Exemple : « Qu’est-ce qui s’est passé pour que vous preniez la décision de rejoindre cette entreprise ? » La question peut sembler remettre en question la décision du candidat, peut induire le fait que l’évaluateur ait une opinion négative de ladite entreprise.
« Ça correspondait à un moment particulier de mon parcours, et j’ai trouvé que l’entreprise me faisait une offre qui était en phase avec mon besoin à ce moment-là » Quelle est l’information dans cette réponse… ?
C’est aussi rechercher un profil de candidat dynamique et autonome. Ça veut dire quoi en situation de poste, dans la culture de l’entreprise, dans le parcours du candidat ou de la candidate ?

Le questionnement structuré et adapté : une clé pour animer l’échange, stimuler l’expression, et permettre de comprendre. (cf. les articles Entretiens RH : savoir questionner et Candidat, collaborateur : oser questionner.

Et l’évaluateur dans l’évaluation ?

L’objectivation de cette évaluation s’appuie sur des démarches de contexte et de contenu. Elle serait incomplète si elle ne sollicitait pas la relation que l’évaluateur construit à la personne évaluée. Sous l’angle de la considération, de la distance ajustée, et de la place qu’il lui accorde, en-dehors de toute projection personnelle.

Une question d’éthique dans la relation ? Très certainement. Un enjeu d’engagement de l’évaluateur dans la reconnaissance et le respect qu’il accorde à l’identité et la singularité de la personne évaluée : professionnelle en termes de modes de fonctionnement, mais aussi individuelle en termes de profil socio-culturel.

Bien sûr, des éléments discriminants comme la religion et la sexualité sont aujourd’hui des repères déontologiques dans l’évaluation. Mais si l’éthique de l’évaluateur n’est pas en phase avec ces règles de déontologie, il construira une opinion des plus subjectives, sur des non-dits, qui, dans ce cas, ne sont pas forcément structurants dans l’évaluation.

Le sujet de l’évaluation n’est pas de positionner la personne évaluée par rapport au système de représentations de l’évaluateur (Comprendre l’Évaluation Professionnelle – Pour en finir avec la sanction et encourager l’expression  individuelle – 4e édition – GERESO – septembre 2019), ni par rapport à sa propre demande personnelle.

Le manager a des besoins professionnels, et l’évaluateur externe n’a pas d’autre besoin que de permettre de répondre à celui ou ceux de son client « J’aime, j’aime pas. J’ai envie, j’ai pas envie » sont des réflexions inappropriées, et pourtant encore si présentes. 

Elles illustrent une subjectivité excessive dans l’évaluation, et remplacent la plupart du temps une absence de professionnalisation de l’évaluation, tout autant qu’une absence de déontologie, et d’éthique.

Le système professionnel et relationnel de l’évaluateur est donc au cœur d’une évaluation professionnelle professionnalisée (cf. Évaluer les Compétences Professionnelles – Manager en confiance pour accompagner la performance – 4e édition – GERESO – Février 2021).

Quel socle commun entre la relation et la pratique ?

Professionnaliser l’évaluation passe par une meilleure connaissance et maîtrise de la pratique (le questionnement, le référent professionnel, la prise de décision, la communication en évaluation), et par une certaine posture de l’évaluateur (neutralité, relation distanciée, accompagnement du message et de la personne évaluée).

Une déontologie plus formalisée dans l’esprit d’un référentiel de pratique collective serait une ressource complémentaire pour relier pratique et relation, posture, dans l’évaluation.

Un cadre de contenu de pratique et de contexte de la pratique est de nature à nourrir une certaine objectivation dans l’évaluation. Une objectivation qui se distingue de l’objectivité de l’évaluation, plus rationnelle sur des sujets scientifiques par exemple. L’évaluation professionnelle comporte un facteur de subjectivité : le sujet humain de l’évaluation, et de l’évaluateur. Est-ce gênant ?


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La subjectivité : l’accepter pour humaniser l’évaluation

La subjectivité devient un élément d’objectivation par la prise de conscience de celle-ci, par son acceptation, et par la capacité d’en faire un sujet d’échange.

Plus cette subjectivité est consciente, plus elle peut être questionnée par l’évaluateur lui-même, pour identifier la part qu’elle pourrait représenter dans son évaluation, et la repositionner ainsi à sa place la plus juste.  L’idée d’une objectivité absolue de l’évaluation professionnelle serait rassurante. Elle éviterait d’avoir à gérer une éventuelle réaction chez la personne évaluée, notamment par rapport au feed-back. L’outil représenterait une certaine assurance : « ce n’est pas moi qui le dit, c’est l’outil ».

L’acceptation de la subjectivité, c’est aussi l’acceptation par l’évaluateur de sa propre faillibilité dans l’évaluation. Evaluer suppose de prendre un peu de recul  avec le besoin éventuel de l’évaluateur « d’avoir raison, d’être dans le vrai…d’avoir la bonne réponse, de savoir ». Une question de posture, en confiance.

Cette subjectivité représente toute la part humaine de l’évaluation, et une matière d’échange. Ce dernier est avant tout le socle de l’évaluation : une pratique de découverte, de compréhension, et d’accompagnement du développement professionnel.  

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