Il est probable que son contenu ne soit plus à jour.
Dans ce référentiel institutionnel, l’individu n’existe pas tant pour l’expression de son opinion, que pour ses capacités à s’inscrire dans ce qui est attendu de lui, par le système. Une façon de s’effacer au bénéfice du groupe, pour ne pas prendre trop de place, pour ne pas s’exposer. Pour aussi laisser tout le loisir à l’autorité institutionnelle d’occuper son propre espace, sans avoir à déployer d’autres ressources que celles que lui confère l’institution : son statut.
De nombreuses nuances sont bien entendu possibles dans cette présentation. Globalement, elle positionne l’individu dans une expression davantage construite autour du savoir, que sur une exposition plus individualisée. Individualisée, qui mène à individualiste. Individualiste qui nous conduit directement à égoïste. Une association d’idées qui illustre assez bien notre culture collective dans la place qu’elle accorde à l’expression individuelle.
En effet, la définition de l’individualisme est « qui donne la primauté à l’individu » et celle de l’égoïsme « attachement excessif à soi-même qui fait que l’on recherche exclusivement son plaisir et son intérêt personnels ». En ce qui me concerne, je préfère celle de l’individualisme, qui met l’individu au premier rang. Bien sûr, d’aucuns objecteront que notre culture holistique valorise la culture de groupe, une certaine idée du collectif. Une autre association d’idées, que les faits institutionnels n’illustrent pas de manière convaincante. Groupe ne signifie pas forcément esprit collaboratif ou esprit collectif. En revanche, ces associations d’idées en disent suffisamment sur la place de l’individu face à la primauté de la culture de groupe.
Cette interprétation d’égoïsme est aussi alimentée par une représentation négative du « Je », associée à une attitude arrogante, prétentieuse, envahissante. Une attitude que l’excès du « Je », un manque d’écoute et d’intérêt pour l’autre, finissent d’achever toute possibilité d’envisager « Je » positif.
Un modèle référentiel est bien entendu aussi un repère, pour l’individu, et pour le groupe. Mais ne pourrait-il alors intégrer et accorder davantage de valeur à l’individu, dans sa singularité de modes de pensée, de fonctionnements, professionnels notamment. Sinon, il y a « on ne parle pas de soi, ça ne se fait pas ». Pas très adapté aux enjeux de faire-savoir dans l’univers professionnel.
Ça donne quoi dans l’univers professionnel ?
L’univers professionnel est marqué, dans la continuité du système institutionnel, par cette sous-utilisation du « Je ». À commencer par l’entretien de recrutement. Le « On » est souvent utilisé par le candidat ou la candidate pour parler de lui ou elle dans son parcours, pour se situer dans son environnement professionnel.
Un pronom qui reste trop indéfini pour permettre à l’interlocuteur de comprendre le rôle du candidat ou de la candidate dans le sujet décrit. Une formulation qui préserve l’individu de trop s’exposer, et de friser le crime de lèse collectivité. L’exemple de l’entretien est intéressant, car il illustre une situation où un interviewer sollicite un ou une candidat(e) sur sa propre expérience, ses propres réalisations. Une sorte d’autorisation à s’exprimer par le « Je ». Certains sont tout à fait à l’aise, d’autres beaucoup moins : le poids du référentiel institutionnel, plus ou moins lourd selon l’individu.
Si l’entretien professionnel est un moment de faire-savoir, il en existe bien d’autres en situation de poste. En effet, les enjeux professionnels, quelle que soit la puissance des outils d’analyse, de gestion et de diffusion de l’information, sollicitent l’individu sur le partage de sa propre information (réalisation, satisfaction, opinion). Une posture professionnelle qui va au-delà du faire, du bien faire, du savoir-faire, pour être en faire-savoir. Une posture qui sollicite chacun sur une capacité à dépasser les « interdictions institutionnelles », ses représentations aussi, pour ajuster la forme du « Je » à sa façon d’être. Certains sont très affranchis de cette retenue, et se montrent très à l’aise, volontaires dans son utilisation, parfois à l’excès, dans une expression qui s’approche alors d’une libre interprétation d’eux-mêmes en apparence bien commode.
Le sujet de ce «Je » n’est donc pas de questionner, au-delà de ces quelques lignes, la justesse du référentiel institutionnel, mais plutôt son adaptation aux enjeux professionnels individuels. Développer une autre approche du « Je » est juste envisager l’opportunité et le bénéfice, pour l’individu et le collectif, de créer un lien le plus équilibré entre besoin d’expression et besoin d’information. Un certain « Je » semble davantage adapté pour y répondre, plutôt qu’un autre.
Le « JE » d’arrangement
Il y aurait ce que l’autre perçoit de « moi », et ce que « Je » veux que l’autre retienne de « moi ». Ce dernier « Je » est celui qui dit quelque chose de « moi » par le choix de mots les plus valorisants.
Exemple : « J’ai l’esprit d’équipe, Je manage dans un esprit collaboratif, Je suis organisé, J’ai le sens du résultat… »
Une liste qui pourrait s’allonger autant que la créativité est riche dans ce type d’exercice. En effet, l’individu n’a dans ce cas pas de difficulté à libérer son inventivité en termes de qualités des plus favorables, pour son profil. Une façon d’être à son avantage, qui révèle un « Je » bien arrangeant avec une réalité en situation professionnelle, en relation, confronté à l’opinion de l’autre.
Quel est son intérêt pour son utilisateur ? Avant tout s’assurer que son auto-évaluation soit bien entendue, et devienne celle qui est retenue par son interlocuteur. Une posture qui gère assez mal la frustration d’une opinion différente, et veut imposer de manière arbitraire, unilatérale, une idée qui doit être admise comme une réalité. Un « JE » qui traduit un inconfort, plus ou moins fort, à gérer l’interaction, et surtout, une confrontation à une idée différente, à une réalité possible, mais inenvisageable.
Un « Je » de contrôle : de l’idée émise, jusqu’à l’opinion de l’autre.
Ce « Je », s’il n’est pas questionné, devient alors une possibilité admise comme réelle. « Il ou elle a dit que… ». Que pèse ce « dire » face à l’observation en situation professionnelle, ou simplement du comportement durant le moment de l’échange ? Ce qui est « dit » ne serait alors pas cohérent avec ce qui est exprimé.
Exemple : « J »’ai un sens de l’écoute. Ce qui est dit perd de son impact si le « Je » n’écoute pas la fin des questions avant de répondre, ne laisse pas de temps de pause à son interlocuteur pour poser une question. Ce qui est exprimé, sans être définitif, apporte au moins un sujet de discussion, autant que possible.
Ce « Je » se révèle une façon d’occuper le terrain. Il peut se révéler quelque peu envahissant, notamment pour ceux ou celles qui se montrent plus réservés quant à son utilisation. Ce « Je » finit par construire une représentation négative de l’utilisation du « Je », perçu comme nous l’avons abordé comme arrogant et superficiel. Est-ce le « Je » qui est arrogant, ou l’attitude de celui ou celle qui l’utilise ? Ce « Je » est un outil. Comme la plupart des outils, c’est avant tout l’intention de son utilisateur qui en fait la valeur, qui en construit le bénéfice.
Le « JE » de relation
Il semble important, voire essentiel, d’accepter une autre idée du « Je », avant de l’utiliser. Une autre perception qui suppose aussi pour son utilisateur de se faire suffisamment confiance : pour s’approprier le « Je », selon chacun ou chacune sa personnalité.
La plupart du temps, ceux qui se montrent réticents dans le fait de s’exposer par le « JE » sont avant tout attachés à l’exposition par le concret : le résultat, la production, la réalisation. C’est alors l’un de ces sujets qui porte la responsabilité de parler pour celui ou celle qui est concerné : à la place en fait. Certes. Faut-il encore que ce sujet soit connu, visible, diffusé.
La confiance participe au fait de considérer que chacun peut investir ce faire-savoir par le « Je », en y associant le contenu choisi : le concret. Ce « Je » ne dit alors plus une idée du sujet. Il exprime une réalité observable, et cohérente avec qui est le sujet en situation.
Parler de soi, ça se fait alors ? Et ça se construit, notamment sur des satisfactions. Entre le silence et l’autosatisfaction, il y a un espace pour ce que chacun peut se reconnaître comme aptitudes, modes de fonctionnement, satisfactions dans les réalisations, dans la contribution. C’est ce que crée cette matière que chacun peut se reconnaître : un contenu à partager, fondé sur du réel, comme contenu d’échange.
Un échange qui permet aussi aux interlocuteurs de l’utilisateur du « Je » de recevoir du contenu, positif, et d’avoir une certaine visibilité sur les sujets, dossiers, projets auquel cet interlocuteur ne participe pas forcément au quotidien, ou directement. Un « Je » du faire-savoir qui partage des expériences, des opinions, des bonnes pratiques, des potentielles résolutions, dans un quotidien qui lui, ne se fait pas prier pour rendre visibles les problèmes.
Ce « Je » de faire-savoir permet à son utilisateur de développer une opinion plus autonome de ses réalisations, par rapport au lien de reconnaissance par l’autre. Face à une absence de feed-back positif d’un interlocuteur, ou un feed-back négatif, chacun peut au moins disposer d’une opinion complémentaire. Le message de l’autre n’est plus le seul message émis sur un sujet.
Ce « Je » apporte aussi un bénéfice au groupe. Il devient émetteur de contenu, qui enrichit l’espace d’opinions, de perspectives, d’idées, au-delà de l’information disponible dans un système. En complément. Le « Je » anime le collectif tout autant que l’individu.
Un « Je » en relation.
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Le jeu du « JE »
Comme vous l’avez lu, la posture individuelle dans le « Je » est un élément essentiel dans sa perception par l’autre. Il devient dans son expression un élément de posture professionnelle, cohérent avec la personnalité de chacun dans la communication.
Ce que vous diffusez de vous débute par ce que vous percevez de vous, en vous appuyant sur des réalisations concrètes, sur des situations vécues. Ce que l’autre perçoit de vous alimente bien sûr aussi cette idée du « Je », tant que cette idée est elle aussi construite sur des faits. Une idée sous forme de feed-back, qui se construit sur des bases objectivées, tout en gardant la subjectivité de l’opinion. Une idée dont l’intention est aussi un élément du dialogue, un outil d’échange.
Ce « Je » se positionne dans un certain équilibre ente écoute de son environnement, et émission d’une opinion. Vous affirmer par votre « Je » ne signifie pas vous imposer, ou envahir. Il est une possibilité d’exister au-delà du faire, en relation d’échange.
Ce « Je » n’est en rien l’opposé du « nous ». C’est un « Je » avec les autres, parmi les autres.
Exemple : « J’ai proposé de mettre en place une nouvelle organisation pour l’entité, en faisant participer mes collaborateurs, en leur exposant l’intérêt et le bénéfice de cette évolution, pour eux également. »
ou encore : « Je suis très satisfait de la façon dont j’ai conduit ce nouveau projet, en intégrant les participants dans un esprit de collaboration, de participation, qui a permis à chacun de trouver sa place et de se mobiliser sur l’objectif. »
« Je », avec les autres.
Dans un contexte d’incertitudes, revenir à des appuis connus, les vôtres, auxquels vous pouvez vous référer pour avancer, peut participer à alléger la densité de cette période, en confiance. Car la confiance n’est-elle pas aussi de s’appuyer sur ce qui est connu, pour aborder l’inconnu ? Vous êtes une partie de ce connu. Faites-vous confiance, et jouez le jeu du « Je ».
L’essayer, c’est l’adopter !
Je vous souhaite de réjouissantes perspectives au cours de cette année 2021, en réservant une part d’évasion pour vous projeter en confiance, en vivant chaque moment possible de légèreté.