Entretiens RH : savoir questionner, côté recruteur/RH

Questionner n’aurait-il pas bonne presse ? C’est d’abord un sujet qui souffre d’un lourd héritage : la question était une torture, un supplice appliqué à l’interrogatoire du Moyen-Age à l’Ancien Régime. Et avec toute la retenue dans la comparaison, combien de candidats se sont sentis maltraités en entretien ? Combien se sont sentis mis sur le grill, poussés à bout, ou non respectés ? Des entretiens dont les questions ne prennent de l’interrogation que la forme. Elles trahissent plus l’affirmation ou l’a priori de l’interviewer sur le sujet, que son intention de connaître l’opinion du candidat.

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Entretien savoir questionner
Le questionnement va au-delà de l'information connue, il s'agit d'explorer pour comprendre.

Questionner, dans son rapport à l’autorité, est aussi perçu comme l’expression d’une certaine remise en question du message de l’autorité par l’individu qui oserait questionner. Ce message, dans notre bonne vieille culture institutionnelle, ne souffre bien entendu d’aucune remise en question par l’individu destinataire du message. Questionner le message reviendrait à questionner l’autorité elle-même.

Questionner c’est enfin risquer pour l’individu (élève, candidat, collaborateur) de transmettre l’idée qu’il n’aurait pas compris le sujet. Honte à lui ou à elle, dans notre culture du savoir qui mène à celle de la reconnaissance. Un risque que la sanction risquerait de renforcer, quand une autre d’encouragement stimulerait l’expression.

Heureusement, ces situations extrêmes de relations déséquilibrées, construites sur un statut arbitraire de celui qui questionne, ne sont pas majoritaires. Mais elles sont suffisamment réelles, et encore présentes, à des degrés d’intensité différents, pour se poser sur la signification, la construction et l’engagement dans le questionnement.

Et si questionner signifiait aussi comprendre, explorer, découvrir, échanger, faire preuve de curiosité, d’intérêt, voire de considération, et écouter ?

Je vous propose d’aborder dans cet article le questionnement du point de vue de l’interviewer.

Questionner : un état d’esprit

En tant qu’outil, le questionnement n’est pas à lui seul porteur d’une valeur absolue. Cette valeur est avant tout liée à l’intention de l’interviewer envers la personne à qui ses questions sont destinées. L’interviewer peut s’incarner dans un consultant en recrutement, un professionnel du recrutement ou des ressources humaines, un manager. La personne questionnée serait un candidat ou un collaborateur.

La posture de l’interviewer se caractérise par sa disposition à considérer son interlocuteur en valeur humaine, à lui laisser un espace d’expression, à considérer cette personne comme autonome dans la qualité et la construction de ses réponses. Pour incarner ce type de posture, questionner suppose d’accorder quelque chose à son interlocuteur, mais aussi une capacité d’évaluer le plus objectivement possible ses réponses.

Une posture qui sollicite une aptitude à lâcher quelque chose du contrôle, pour établir une relation en confiance. Une relation qui n’attend pas que la personne interviewée rassure par ses réponses l’interviewer, et ne lui permette de cocher les points de validation par rapport à son cahier des charges initiales.

Cette posture en confiance incite l’interviewer à questionner son propre besoin, et son rôle dans le moment de questionnement. Il n’existe pas tant comme un « contrôleur » de son interlocuteur, mais comme un media entre cet interlocuteur et un besoin préalablement élaboré. Cette posture en media me semble essentielle dans le fait que l’interviewer ne soit pas le porteur de ses aprioris sur un sujet, ou sur une personne. Le sujet de l’entretien n’est pas l’expression du système personnel de l’évaluateur, mais sa capacité à occuper un rôle, en conscience d’une certaine subjectivité. Son rôle est de conclure à un lien entre une personne et une situation considérée comme besoin. La posture de l’interviewer n’est pas de projeter, mais d’écouter pour comprendre.

La notion d’intention se manifeste donc dans l’espace que l’interviewer accorde à la personne interviewée, et non dans ce qu’il veut pour cette personne ou attend de cette personne. C’est cet espace d’expression laissé à l’autre qui participe à créer un environnement favorable à son expression, et lui permettre de partager le meilleur de ses talents et potentiels.

C’est cette posture qui participe à créer les meilleures conditions possibles de relation la plus équitable, et fait du moment d’entretien un réel échange. Dans cet état d’esprit, il n’est plus question de statut, de supposé « pouvoir sur », mais d’écoute. Un statut qui, lorsqu’il est au cœur de la construction de l’échange, peut signifier d’ailleurs un manque de confiance. Dans ce type d’entretiens, l’interviewer ne fait qu’exprimer son inconfort dans la pratique de l’entretien, ou plus questionnant, dans la relation.

La posture est-elle suffisante pour construire une évaluation constructive ? Elle est essentielle, et se complète bien entendu d’un contenu structuré, organisé et professionnel.

Questionner pour évaluer quoi ?

Evaluer se construit donc autour d’un questionnement, qui s’organise par rapport à un besoin construit en amont entre les parties prenantes : le manager ou l’opérationnel, avec  les ressources humaines, dont le recrutement.

Le questionnement dans l’évaluation se construit par rapport à une situation donnée, un besoin partagé entre ces parties prenantes. Un besoin traduit en termes de compétences métier, mais aussi et surtout en termes de compétences comportementales, les « soft-skills ». Si le questionnement n’a pour objectif que la vérification de compétences métier, le « quoi », il n’apporte alors pas d’éléments sur le mode d’intégration, de collaboration, de participation de la personne interviewée. Il est donc essentiel de formaliser le besoin pour un recrutement, ou les objectifs pour l’évaluation ou tout rendez-vous interne de projet, sous l’angle des softs-skills, le « comment ». Ces aptitudes deviennent le référentiel pour construire le questionnement, et participe à une certaine objectivité de ce questionnement.

C’est en fait la façon dont la personne interviewée parle de son parcours, ses expériences qui apporte des éléments sur son niveau de maîtrise métier. Cumuler les « je fais » en dit beaucoup moins que « j’analyse les enjeux, les facteurs clés de réussite, mes contributions » dans mon métier. D’une certaine manière, questionner ce qui est déjà connu, écrit sur le cv par exemple, apporte peu pour projeter la personne évaluée en situation. C’est un peu comme ces synthèses d’entretien qui disent en prose ce que le cv décrit en étapes chronologiques. Aucun intérêt. Questionner c’est aller plus loin que l’information connue, c’est explorer pour comprendre.

Comment questionner, dans ce contexte de posture et de besoin ?

Questionner : formuler une question

Une question ouverte

Prenons comme soft-skill la « capacité de vision et de stratégie », et envisageons deux façons de le questionner :

  1. « Avez-vous déjà conçu une stratégie dans votre poste ? »
  2. « Comment décririez-vous l’objectif vers lequel vous souhaitez embarquer votre organisation sur les 3 prochaines années ? », ou

« Comment décririez-vous les évolutions de votre secteur d’intervention sur les 3 à 5 ans ? », ou

« De quelle manière pensez-vous traduire la digitalisation dans la façon dont vous allez aborder v marchés sur les 3 prochaines années ?

La première formulation relève de la question fermée : elle laisse le choix entre un oui, ou un non. Un oui d’intention, qui au mieux s’illustrera d’exemples.

La deuxième est une formulation ouverte, qui laisse la possibilité à la personne interviewée de se positionner, de choisir ses éléments de réponse, et d’exprimer une approche du sujet. Elle dépasse une verbalisation qui dit quelque chose, mais n’exprime pas la posture sur le sujet questionné.

L’ouverture de la question est aussi une façon d’illustrer la posture de l’interviewer vis-à-vis de la personne interviewée. Elle crée et traduit les conditions d’un contenu dans l’échange plus personnalisé. En effet, la question ouverte propose à la personne interviewée de se positionner sur le sujet de la question, d’émettre une opinion, et d’exprimer sa vision du sujet en situation professionnelle, dans son environnement.

Une question ouverte ne signifie pas être vague, et ne veut pas dire induire un risque d’interprétation, ou simplement d’incompréhension. La question posée garde comme objectif de structurer le questionnement, et le sujet du rendez-vous. La question canalise autant qu’elle ouvre. Dans cet objectif de structuration, il est aussi essentiel de prendre le temps de la question.

Une question à la fois

Plusieurs sujets dans une question brouillent le message de l’interviewer, et celui de la personne interviewée. Cela peut aussi avoir pour effet de diluer la pertinence du questionnement, et la valeur même du sujet du questionnement.

« Comment avez-vous construit le projet que vous évoquez en termes d’étapes, et de quelle manière avez-vous fait adhérer les parties prenantes, avec quel types de résultats ? » : trop de messages tuent le message. Je ne pense pas que la confusion du questionnement soit de nature à favoriser la clarté de la réponse.

Trois questions séparées créent davantage la possibilité de la richesse dans la réponse à chaque thématique. Même si le « 3 en 1 » peut sembler optimiser la gestion du temps, il risque au contraire de devoir revenir sur chaque thématique, pour la détailler davantage. Ou au contraire de se contenter d’une réponse partielle. L’objectif du questionnement n’est pas de poser une question, mais bien de stimuler la réponse.

Enfin, la « multi-question » n’encourage pas la spontanéité dans la réponse. Elle pose une obligation de mémoire, qui dépasse celle d’écoute. Elle engage la personne interviewée à se concentrer sur le souvenir de la question, plutôt que sur la réflexion dans la réponse. De fait, cela réduit la capacité de spontanéité. Celle-ci reste en effet l’un des meilleurs facteurs d’expression, et permet de dépasser le caractère parfois contrôlé de réponses convenues. Car le questionnement est aussi un outil qui favorise la spontanéité, en laissant le terrain libre de la réponse.

Une question n’est pas la réponse

La question à choix multiple est un travers observé dans de nombreuses situations, même chez des professionnels des media. Elle exprime le besoin de contrôle de l’interviewer face à une personne interviewée, qui pourrait sinon répondre de manière inattendue. Cet effet de surprise dans la réponse pourrait mettre alors l’interviewer dans une situation inconfortable : que faire d’une réponse imprévue ? Comment rebondir, et garder le fil ?

Par exemple : « De quelle manière avez-vous mené ce projet ? En fixant des objectifs clairs, en stimulant l’esprit collaboratif, en gardant une rigueur dans la réalisation ? ». Une question à choix multiple, qui devient une question fermée.  Bien sûr, la personne interviewée conserve la possibilité de s’exprimer en-dehors de la proposition formulée. Mais elle peut aussi se conformer à ce choix multiple, en considérant que la question dit quelque chose du besoin de l’interviewer.

La question à choix multiple est une forme de guidage de la part de l’interviewer, pas forcément pour aider la personne interviewée, mais pour se rassurer, en évitant le silence notamment. Un silence avec lequel il est préférable d’être à l’aise. Questionner ne signifie pas occuper l’espace, mais bien laisser un espace.

Conclusion

Questionner est à la fois une question de posture, et de structure dans la formulation. Il est question d’ouverture vers l’autre, et d’ouverture dans la façon de le manifester, de manière professionnelle, plus objective. Questionner reste un sujet de relation, avec la subjectivité qui y est associée. Un questionnement réfléchi, construit et ajusté dans sa mise en place structure cette subjectivité. Il permet de se concentrer sur le lien entre la personne évaluée et le sujet de référence : le besoin.

Dans cet esprit de relation, l’interronégative est une forme à utiliser avec parcimonie. Le « pourquoi n’avez-vous pas… » peut intervenir dans l’échange, pour comprendre. A l’excès, il construit un échange sur la négative, et finit par positionner la personne interviewée dans une position de justification. L’excès peut créer une  impression de jugement, et l’évaluation devient sanction.

Cette approche du questionnement partagée dans cet article positionne l’évaluation comme un accompagnement de la personne évaluée. Un accompagnement à la faire réfléchir sur son parcours, à lui permettre d’exprimer sa vision de son parcours. Une posture de l’interviewer pour créer un lien dans la durée entre la personne évaluée et l’organisation professionnelle.

Une approche d’encouragement dans l’expression, et d’une certaine reconnaissance du chemin parcouru, dans le « quoi », et le « comment ».

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