Réforme systémique des retraites : où en est-on ?

Dans son programme pour l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron s’était fixé un objectif ambitieux pour une réforme qui devait être « la » réforme emblématique de son quinquennat : l’instauration d’un système universel de retraite par répartition et par points. Il a très tôt exprimé sa volonté de « légiférer rapidement », sans pour autant négliger le dialogue social avec les partenaires sociaux.

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Réforme systémique des retraites : où en est-on ?
Le coronavirus a mis à l’arrêt tous les projets de loi en cours dont la réforme des retraites, est-ce un simple coup d’arrêt ou un abandon total de la réforme ?

Pour ce faire, le gouvernement a mis en place entre avril 2018 et décembre 2019 deux cycles de concertation avec l’ensemble des organisations syndicales et patronales :

  • La première, entre mai 2018 et juillet 2019 a permis de fixer les grandes orientations de la réforme et a conduit à la rédaction d’un rapport remis au Premier ministre par Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire à la réforme des retraites.
  • De septembre à décembre 2019, un nouveau cycle de discussions a été mis en place pour aborder plus précisément certaines mesures de la réforme : mécanismes de solidarité, âge et durée de cotisation, équilibrage du système des retraites et règles de pilotage à long terme, modalités de transition vers le futur système (etc.).

Cette deuxième phase de concertation s’est achevée dans la douleur avec un appel à la grève générale de plusieurs organisations syndicales opposées au projet de réforme dans son contenu actuel, entraînant une paralysie du pays pendant plusieurs semaines.

Malgré tout, le gouvernement a décidé de présenter son projet de réforme au Parlement en janvier dernier, lançant ainsi le début de la procédure parlementaire. En parallèle des discussions se poursuivent avec les partenaires sociaux sur quelques points clés de la réforme susceptibles d’évolution : la prise en compte de la pénibilité au travail, le maintien dans l’emploi des seniors, les conditions pour atteindre l’équilibre financier du système de retraite d’ici 2027 notamment (Le COR estime qu’à réglementation inchangée, le système de retraite sera déficitaire d’une dizaine de milliards d’euros/an à horizon 2027).

Ce que prévoit la procédure parlementaire

L’initiative d’une loi peut venir soit du Gouvernement, on parle alors d’un projet de loi, soit des parlementaires (députés ou sénateurs), on parle dans ce cas d’une proposition de loi.

Le texte est présenté et examiné par les deux chambres via une procédure appelée la « navette parlementaire » :

  • Dans un premier temps, le texte doit passer par une des commission « permanentes » de la chambre où le texte est examiné, composée de plusieurs parlementaires. Chaque commission est compétente dans un domaine précis (Par exemple : affaires économiques, affaires sociales, finances etc.) Dans certaines situations, lorsque le texte soumis au vote impacte la société dans sa globalité [c’est le cas de la réforme systémique des retraites], le gouvernement peut décider de créer une commission spéciale ou commission mixte paritaire réunissant 70 députés désignés à la proportionnelle. Elle effectue des auditions, adopte un rapport et propose éventuellement des amendements pour modifier le texte.
  • Le texte ainsi amendé est ensuite voté en chambre. Après ce premier vote, la même procédure est appliquée dans la seconde assemblée (passage en commission, puis vote). 2 hypothèses peuvent être envisagées :
    • Si le texte est voté en l’état dans les 2 chambres, il est considéré comme définitivement adopté ;
    • Si le texte est rejeté ou modifié (introduction d’amendements) dans l’une des 2 chambres, alors la procédure continue. Il doit repasser dans la 1ère chambre pour un nouvel examen.
  • Pour « aller plus vite », le gouvernement peut décider d’utiliser la procédure accélérée comme le prévoit la Constitution (Article 45 de la Constitution) : concrètement, cela permet de réduire la navette à une seule lecture par chambre et de supprimer les délais minimums d’examen du texte en séance. Elle fait donc gagner du temps.
  • Si le projet de loi menace de ne pas être adopté, le gouvernement peut « engager sa responsabilité » en ayant recours à la procédure prévue par l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Cette décision entraîne la suspension immédiate de sa discussion à l’Assemblée nationale. Le projet est considéré comme adopté, sans être soumis au vote, et le parcours législatif peut continuer, sauf si une motion de censure est déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent. Pour être recevable, elle doit être signée par un dixième au moins des députés. Pour être adoptée, elle doit être appuyée par la majorité des membres composant l’Assemblée. Cela peut entraîner le gouvernement à la démission.
  • Dans tous les cas, pour être adopté, le texte de loi devra être approuvé dans les mêmes termes par les deux assemblées. Si ce n’est pas le cas, l’Assemblée nationale a le dernier mot.
  • Après son adoption, la loi est transmise au Gouvernement qui dispose de quinze jours pour la promulguer, un délai qui peut être suspendu en cas de saisine du Conseil constitutionnel. Le contrôle de constitutionnalité permet de vérifier la conformité de la loi aux normes constitutionnelles (Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, Constitution). Une décision déclarant une loi inconstitutionnelle fait en principe obstacle à sa promulgation. Mais si cela ne concerne qu’une partie du texte, la loi peut être partiellement promulguée si les articles non conformes sont « séparables » de l’ensemble du dispositif.
  • Une fois entrée en vigueur, la loi promulguée et publiée peut nécessiter des décrets d’application. Ce sera le cas pour la réforme des retraites puisque le projet de loi renvoie à plusieurs ordonnances la mise en œuvre de certaines dispositions.

Procédure en cours sur le projet de loi instituant un système universel de retraite

La création d’un système universel de retraite entraîne un bouleversement sans précédent dans le paysage de la retraite par répartition en France. Cette réforme doit conduire à « appliquer les mêmes règles quel que soit le statut professionnel ou le mode d’activité, intégrer l’ensemble des régimes obligatoires actuels dans le processus et rechercher des mécanismes garantissant la soutenabilité financière à long terme du système »1.

Elle a donc un impact direct sur l’organisation et le fonctionnement de la sécurité sociale tels qu’elle est définie par la Constitution. Il modifie les principes fondamentaux de la retraite et les conditions générales de son équilibre financier.

Pour cette raison, le projet de réforme est présenté dans le cadre de deux projets de loi distincts et complémentaires :

  • Un projet de loi organique2 qui fixe le cadre financier de la réforme à travers 2 dispositions principales :
    • Prévoir un mécanisme d’équilibrage du système de retraite sous le contrôle du Parlement via la loi de financement de la sécurité sociale3.
    • Étendre le champ des lois de financement de la sécurité sociale aux régimes complémentaires de retraite (qui sont actuellement hors champ de la sécurité sociale) afin de la rendre opposable sur l’ensemble du futur système universel.
  • Un projet de loi « ordinaire » qui fixe les grands principes de la réforme et ses paramètres de fonctionnement (conditions de calcul et d’ouverture de droit, mécanismes de solidarité, condition d’âge de départ etc.).

Souhaitant que la loi soit promulguée « avant l’été 2020 », le gouvernement a opté pour la procédure de vote accélérée afin d’éviter les navettes parlementaires entre les différentes chambres et ne pas appliquer le délai minimal de six semaines, prévu entre le dépôt d’un texte et sa discussion en séance. S’il s’agissait au départ, lors de son instauration en 20084, d’une procédure exceptionnelle, son recours est devenu très fréquent ces dernières années. Depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, plus de la moitié des projets et propositions de loi ont été adoptés via cette procédure afin de répondre, notamment, à une demande de l’opinion publique pour que les lois soient adoptées plus vite, mais également à la volonté des gouvernements de montrer leur efficacité.

Calendrier (en cours) de l’examen des projets de loi :

  • 24 janvier 2020 : dépôt des deux projets de textes à l’Assemblée nationale
  • 3 février : examen en commission spéciale
    • L’examen de l’ensemble des dispositions prévues par les 2 projets de loi n’a pas pu être achevé en commission car les débats ont été « noyés » sous une vingtaine de milliers d’amendements et de multiples prises de parole.
  • 17 février : examen du premier texte (projet de loi ordinaire) en séance publique à l’Assemblée
    • Au total, plus de 41.000 amendements déposés pour un texte de 65 articles. Essentiellement des amendements « d’obstruction » destinés à ralentir les débats. Par exemple, un amendement proposait de substituer dans le titre du projet de loi les mots « instituant un régime universel de retraite » à « détruisant le système des retraites par répartition » …
    • Après huit jours de discussion, les députés étaient à peine venus à bout de l’examen de l’article 1.
    • Impossible de procéder à l’examen de toutes les dispositions du texte dans les délais prévus.
  • 29 février : le gouvernement annonce qu’il aura recours au « 49-3 » sur le projet de loi ordinaire.
  • 3 mars : Adoption du PJL ordinaire après rejet de 2 motions de censure.
  • 4 mars : Examen du deuxième texte (projet de loi organique) en séance publique
    • Environ 1800 amendements déposés pour un texte de 5 articles.
  • 5 mars&nbs;: Adoption du projet de loi organique à l’Assemblée, les députés de l’opposition ayant quitté l’hémicycle, faisant par là même automatiquement « tomber » tous leurs amendements.

Désormais, les textes doivent être examinés au Sénat. Selon toute probabilité, ils seront rejetés car le gouvernement ne dispose pas de la majorité dans cette chambre. Conformément à la procédure de vote accéléré, il faudra donc ensuite de nouveau passer en commission spéciale, puis devant chaque chambre, avant une ultime lecture devant l’Assemblée nationale (où le gouvernement détient pour l’instant la majorité absolue) pour une adoption définitive prévue initialement courant juin.

Néanmoins, l’aggravation de la crise du « coronavirus » que connaît notre pays depuis plusieurs jours a mis un coup d’arrêt à l’examen des projets de loi retraite. Le président de la République a annoncé, lors d’une allocution télévisée le 16 mars dernier, le report de l’ensemble des réformes en cours dont le projet de système universel de retraite, décision logique puisque toutes les institutions sont à l’arrêt.

S’agit-il d’un simple coup d’arrêt ou cela sonne-t-il le glas de la réforme des retraites ? Ce que des semaines de grèves et la dizaine de manifestations n’ont pas « réussi » à faire, un virus peut-il y parvenir ?


1 : Exposé des motifs, projet de loi organique relatif au système universel de retraite, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale 24 janvier 2020.

2 : Définie à l’article 46 de la Constitution, la loi organique a pour objet de préciser l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics.

3 : Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de l’équilibre financier du système de sécurité sociale et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses annuellement.

4 : Révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

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