Réforme systémique des retraites : comment résoudre la problématique de l’emploi des seniors ?

Les enjeux liés au vieillissement de la population sont particulièrement importants en France. L’augmentation de l’espérance de vie, combinée à une diminution du taux de fécondité, nécessitent en effet que nous nous posions la question de la place des seniors dans nos sociétés occidentales. Ce sujet doit certes être traité sous l’angle de la retraite et des problématiques, importantes, liées à la perte d’autonomie, mais il pose également la question de la place des seniors dans le monde du travail. Vivre plus longtemps signifie-t-il nécessairement travailler plus longtemps ? et dans quelles conditions ?

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Réforme systémique des retraites : comment résoudre la problématique de l’emploi des seniors ?
La population des actifs seniors se caractérise par un taux d’emploi plus faible (bien qu’en augmentation), conjugué à un taux de chômage de plus en plus important et des arrêts maladie plus longs.

1. Constat et diagnostic

1.1 Un taux d’emploi des seniors globalement faible mais qui progresse ces dernières années

Le vieillissement engendre une mécanique d’exclusion du marché du travail et un accroissement des inégalités sociales de manière générale.

Selon l’OCDE, le taux d’emploi des 55-64 ans s’établissait à 52,7% en France sur le dernier trimestre 2019. C’est presque 10 points de moins que la moyenne des pays de l’OCDE (62,1%), 20 points de moins que l’Allemagne (72,9%) ou encore 25 points de moins que la Suède (77,3%).

Non seulement le taux d’emploi des seniors est globalement faible en France, mais en plus il chute très rapidement avec l’âge : de 40% à 60 ans il s’effondre ensuite à moins de 20% à partir de 63 ans. Il ne faut cependant pas occulter les progrès significatifs qui ont été constatés sur les 15 dernières années : d’un taux d’emploi des 55-64 ans à 37% en 2003, nous sommes passés à 39,7% en 2010, 48,7% en 2015 et donc près de 53% aujourd’hui.

La précarité vis-à-vis du travail augmente par ailleurs. En effet, si le taux de chômage des seniors (6,5% pour les 55 ans et plus en 2019) est nettement inférieur à celui de l’ensemble des actifs en âge de travailler (9,1%), on constate cependant une augmentation significative sur la dernière décennie (4,3% en 2007). Le CDI reste la norme, mais on constate une progression de l’emploi temporaire sur cette tranche d’âge (8,6%).

Autre donnée intéressante, il est avéré que la durée moyenne des arrêts de travail progresse avec l’âge, cette tendance s’accentuant nettement à partir de 60 ans : 75 jours par an en moyenne, soit 2 fois plus qu’à 45 ans et près de 3 fois plus qu’à 18 ans. Conséquence, les plus de 50 ans ont bénéficié en 2017 de 29 % des arrêts de travail mais de 41 % du montant total des indemnités journalières (Rapport au Sénat n° 749 de Mme LUBIN et Mr SAVARY « réforme des retraites, le défis des fins de carrière » – septembre 2019).

La population des actifs seniors se caractérise donc par un taux d’emploi plus faible (bien qu’en augmentation), conjugué à un taux de chômage de plus en plus important et des arrêts maladie plus longs. Ces données peuvent expliquer la réticence des entreprises à embaucher des salariés « plus âgés » qui sont par ailleurs souvent considérés comme de la main d’œuvre plus coûteuse et moins adaptable.

1.2 Le maintien dans l’emploi des seniors, un objectif encore récent des politiques publiques

Entre 1965 et 2000, l’arrivée du chômage de masse avait conduit les pouvoirs publics à favoriser la sortie des seniors du marché du travail.

3 types de mesures sont emblématiques de cette période :

  • Le développement et la généralisation de dispositifs de préretraite. Des dispositifs de préretraite ont été mis en place par les gouvernements successifs, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. Les entreprises ont également développé leurs propres dispositifs comme outil de pilotage de la pyramide des âges dans leurs effectifs.  Cela constituait un outil de gestion RH dans des situations spécifiques (restructuration, plan de sauvegarde de l’emploi) ou pour compenser la pénibilité de certains métiers. Par ailleurs, les revenus versés durant la préretraite ont longtemps bénéficié d’un régime social avantageux : ils n’étaient soumis à aucune cotisation ou contribution sociale.
  • La réduction de la durée du travail. Plusieurs réformes ont conduit à améliorer le montant des retraites (loi Boulin 1971 avec l’augmentation du taux de remplacement) et les conditions d’ouverture de droits (loi Aubry 1982 avec le passage de l’âge de la retraite de 65 à 60 ans). Cela a eu pour effet de faire passer de 64 ans en 1982 à 61 ans en 2005 l’âge moyen de départ en retraite.
  • L’instauration de la dispense de recherche d’emploi. Dans les années 80, les partenaires sociaux décident de mettre en place une dispense de recherche d’emploi pour les chômeurs de 57 ans ou plus. Cette borne est même réduite à 55 ans à la fin des années 90. Cela permettait à des populations souvent éloignées de l’emploi et ayant peu de chance d’être recrutées de faire la « jointure » entre le licenciement et la retraite.

A partir de 2003, mise en place d’une vraie politique en faveur de l’emploi des seniors.

Face au coût toujours plus important de cette politique de « sortie des seniors du marché de l’emploi » sur les dépenses publiques, la logique s’inverse au début des années 2000 :

  • Allongement de la durée du travail. Les réformes des retraites successives (2003, 2010, 2014 pour ne citer que les plus importantes) ont conduit à durcir les conditions de départ en retraite, à la fois en augmentant le nombre de trimestres requis pour le taux plein, et en relevant l’âge de départ.
  • Suppression des dispositifs de pré-retraite. Dans la continuité des multiples réformes des retraites, les principaux dispositifs publics de pré-retraite sont progressivement supprimés. Les dispositifs d’entreprise sont par ailleurs désormais soumis à un régime socio-fiscal beaucoup plus contraignant.
  • Suppression de la dispense de recherche d’emploi pour les chômeurs seniors en 2012. Des aides sont également mises en place afin de faciliter la réinsertion des chômeurs seniors (aide à l’embauche pour les entreprises, CDD seniors etc.).

Des freins à l’emploi des seniors sont maintenus

A rebours de la nouvelle politique en faveur de l’emploi des seniors, des mécanismes de départs anticipés ont cependant été créés dans la même période, contribuant à favoriser les sorties prématurées du monde du travail. On citera notamment le dispositif « carrière longue » créé en 2003. En parallèle, des avantages spécifiques au secteur public (fonction publique, régimes spéciaux) sont maintenus tels que les départs en « catégorie active ». Cela a nécessairement un impact sur le taux d’emploi des seniors : selon le dernier rapport de la Cour des comptes (Rapport Cour des comptes « Sécurité sociale » – octobre 2019), près d’un départ à la retraite sur deux est réalisé aujourd’hui dans le cadre d’un dispositif de retraite anticipée, soit près de 400.000 personnes, pour un coût estimé à 14Mds€.

2. Pistes envisagées pour améliorer le taux d’emploi des seniors

2.1 Mise en place d’un âge d’équilibre afin d’inciter les assurés à reporter leur départ en retraite

Tous les experts s’accordent à dire que les mesures d’allongement de la durée du travail (réformes des retraites 2003, 2010, 2014) sont celles qui ont eu le plus d’impact sur le taux d’emploi des seniors ces dernières années. La mesure prévue dans le projet de réforme systémique consiste à instaurer un âge d’équilibre permettant de poursuivre sur cette lancée : tout en maintenant un âge minimum de départ à 62 ans, la mise en place d’un âge d’équilibre à 64 ou 65 ans par exemple permettra d’inciter les assurés à reporter leur départ jusqu’à cet âge, sous peine de subir une décote viagère. Dans la même logique, ceux qui poursuivraient leur activité après cette borne d’âge pourraient bénéficier d’une surcote.

Cette mesure, si elle s’explique pour plusieurs raisons (déficit structurel du système de retraite, âge moyen de départ en retraite parmi les plus bas de l’OCDE, allongement de l’espérance de vie etc.) ne peut s’envisager sans le développement d’une véritable politique en faveur de l’emploi des seniors, à la fois pour les maintenir en activité mais également pour réinsérer ceux qui sont sortis du marché du travail.

2.2 Des mesures en faveur de l’emploi des seniors

Dans cette logique, le projet de réforme systémique des retraites prévoit également des mesures favorisant le maintien ou l’insertion des seniors dans le monde professionnel :

Prévoir l’acquisition de droits en cumul emploi-retraite

Aujourd’hui, plus de 450 000 assurés sont en situation de cumul emploi-retraite. Néanmoins, depuis 2015, les cotisations versées au titre de leur activité ne génèrent aucun droits retraite supplémentaires, ce qui peut constituer un frein à l’entrée dans le dispositif.

L’objectif de la réforme est de permettre aux retraités actifs l’acquisition de droits à la retraite, sous réserve que l’assuré ait liquidé sa pension à partir de l’âge de départ sans décote (ou âge d’équilibre – 64 ans en principe). Si le retraité liquide sa pension de manière anticipée, il pourra bien retravailler mais sans acquérir de droits retraite, dans l’optique évidente d’inciter à reporter la date de liquidation.

Généralisation et amélioration du dispositif retraite progressive

Dispositif créé à la fin des années 80, la retraite progressive ne s’est jamais développée, probablement à cause de conditions d’octroi contraignantes et d’une méconnaissance des assurés. Elle permet à un salarié à temps partiel de demander, à partir de 60 ans, le versement provisoire d’une partie de sa future pension de retraite pour compenser son manque à gagner en termes de rémunération, l’incitant ainsi à poursuivre son activité. En 2018, moins de 20 000 personnes en bénéficiaient, un chiffre cependant en hausse depuis 2014 et l’assouplissement du dispositif (ouverture du droit dès 60 ans et non 62 ans).

Le projet de loi prévoit d’élargir le dispositif à l’ensemble des assurés, de faciliter les conditions de passage à temps partiel vis-à-vis de l’employeur et d’engager une vaste campagne de communication pour faire connaître le dispositif.

Valoriser les fins de carrières et inciter à l’embauche d’un senior

Dans le cadre de discussions toujours en cours avec les partenaires sociaux, d’autres mesures sont envisagées. On peut citer notamment le développement du mécénat de compétences, afin de faciliter la mise à disposition de salariés au sein de PME ou TPE ou d’associations pour qu’elles puissent faire profiter de leur expérience. Le rôle de tuteur et de maître d’apprentissage pourrait également être valorisé davantage via des accords de branche professionnelle.

Afin de lever les freins à l’embauche d’un salarié senior, possibilité de mutualiser l’indemnité de licenciement pour inaptitude de salariés de plus de 50 ans afin de ne pas faire peser tout le risque sur le dernier employeur.

La modulation du temps de travail est également au cœur des discussions. Par exemple, la mise en place d’un « compte épargne temps universel », valable tout au long de la carrière, dont l’utilisation permettrait d’adapter les horaires ou les journées travaillées sur une période donnée pour par exemple s’occuper d’un parent malade, ou encore anticiper le départ à la retraite.

Pour aller plus loin : Rapport Bellon « Favoriser l’emploi des travailleurs expérimentés » remis au Gouvernement le 14 janvier 2020.

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