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1. Aujourd’hui, une gouvernance rendue complexe par la multiplicité des régimes de retraite
La conception d’une gouvernance unique pour le système de retraite obligatoire par répartition français est un exercice épineux. Notamment car il s’agit de réunir, au sein d’une caisse de retraite, les 42 régimes de retraite existants qui disposent pour la plupart de leur propre gouvernance. Des régimes spécifiques, tant sur la population d’assurés, que sur les caractéristiques des retraites qui sont gérées.
On peut essayer de les distinguer en 3 principaux groupes : les régimes privés, les régimes publics, et les régimes professionnels.
Les régimes privés
S’agissant des régimes privés, on distingue le régime de retraite de base géré par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), et le régime complémentaire AGIRC-ARRCO :
- La gouvernance de la CNAV fait intervenir deux acteurs. Un rôle central est confié au Parlement, qui décide des grandes orientations des politiques publiques en matière de retraite et veille à son équilibre financier en votant chaque année la loi de financement de la sécurité sociale. Cette loi permet, compte tenu des prévisions de recettes du régime, de fixer ses objectifs de dépenses. C’est donc bien le gouvernement en place (s’il a la majorité du moins) qui fixe les règles. La gestion opérationnelle est confiée à un conseil d’administration paritaire composés de représentants des organisations patronales et des salariales ;
- La gouvernance du régime AGIRC-ARRCO est exclusivement paritaire. Ce sont les partenaires sociaux qui fixent seuls les règles pour le régime en signant des accords nationaux interprofessionnels. Ils ont également la charge de la gestion opérationnelle afin de mettre en œuvre les accords et d’assurer l’équilibre de long terme du régime.
La gouvernance des régimes privés est donc « bicéphale », avec un régime de base sous le contrôle du Parlement et un régime complémentaire géré paritairement.
Les régimes publics
Je vise ici à la fois les régimes de retraite de la fonction publique, mais également certains régimes spéciaux (SNCF, RATP pour ne pas les citer…)
La Gouvernance de ces régimes donne à l’employeur public le contrôle « de fait » de l’organisation du régime via le vote des lois financières par le Parlement. Là encore, un conseil d’administration est mis en place, généralement composé de représentants des affiliés aux régimes ainsi que de l’employeur public concerné.
C’est donc bel et bien l’Etat, en tant que puissance publique et en tant qu’employeur, qui fixe les règles. Le conseil d’administration est quant à lui chargé du contrôle de la situation financière, valide le budget de gestion etc.
Les régimes professionnels « autonomes »
On pourra citer par exemple la caisse de retraite des avocats (CNBF) ou la caisse de retraite des pharmaciens (CAVP).
Ce sont des régimes autonomes catégoriels dans le sens où le champ d’intervention cible une catégorie professionnelle particulière. Ce sont pour la plupart des régimes complémentaires de retraite, qui vienne en complément d’un régime de base calqué sur le modèle de la CNAV (la caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales – CNAVPL – dans mon exemple).
Les instances dirigeantes de ces caisses professionnelles sont exclusivement composées de représentants de la profession. La puissance publique n’a pas à interférer dans la gestion.
Un constat : le coût de gestion élevé dû à la multiplicité des régimes existants
Le nombre de caisses de retraite engendre naturellement un coût de gestion très important, quand bien même de gros efforts soient faits ces dernières années en termes d’efficience et de mutualisation des moyens.
Le coût réel reste très difficile à estimer, et il existe peu d’études sur le sujet. Néanmoins dans une étude réalisée en 2013 par le cabinet Accenture, la gestion du système de retraite avait été estimée entre 4,5 et 6 milliards d’euros par an (pour un montant global de dépenses retraite de 320 milliards d’euros actuellement).
Un embryon de pilotage inter-régimes : le GIP UR
Le groupement d’intérêt public Union-retraite a été créé en 2003. Il a notamment pour objectif de :
- Mettre en place un droit à l’information permettant à chaque assuré de disposer tout au long de sa carrière d’une vision consolidée de ses droits acquis et d’une estimation de sa future pension.
- Piloter les projets de coordination, de simplification et de mutualisation inter-régimes (accès en ligne au droit à l’information, demande de rectification de carrière, demande unique de retraite en ligne etc.).
- Piloter le répertoire unique de gestion des carrières (RGCU), qui vise à rassembler l’ensemble des informations relatives aux carrières des assurés dans une base de données unique et centralisée (celui-ci ne sera pas déployé en 2022).
Ses missions ont permis une amélioration de la lisibilité du système de retraite, en particulier pour les poly pensionnés (assurés qui ont cotisé à plusieurs régimes au cours de leur carrière). Néanmoins il n’a pas permis de remédier à une complexité inhérente à la multiplicité des régimes.
2. Demain, une caisse universelle de retraite
La formation d’un système de retraite universel nécessite en principe de mettre en place une gouvernance unique. Le schéma imaginé par le Gouvernement affirme concilier « la place de l’État dans la définition des orientations politiques et dans la maitrise de leurs conséquences sur les dépenses publiques, le rôle des partenaires sociaux dans le pilotage du système (…) l’évaluation par des experts indépendants des projections financières et des performances du système » (extrait du rapport DELEVOYE sur la réforme systémique – juillet 2018).
Une caisse nationale de retraite universelle (CNRU) doit être créée rapidement (dès le 1er décembre 2020) afin de « préparer la mise en place du système universel et assurer l’unification de la gouvernance et du pilotage des régimes de retraite actuels ».
Il s’agit donc, avant même la mise en œuvre des nouvelles règles (pour les générations nées à compter du 1er janvier 2025 – donc pas de pensions liquidées avant 2037 au mieux), de réunir autour d’un même conseil d’administration la gouvernance des 42 régimes de retraite existants. Pour être représentatif, il devra être composé d’administrateurs représentant les organisations syndicales et patronales, les employeurs publics et les travailleurs indépendants. Dans un premier temps, cette caisse universelle devra assurer la tutelle des différentes caisses existantes. Un directeur général devra être nommé qui disposera d’un droit « d’alerte » ou droit de regard sur la gestion et le pilotage du système dans sa globalité. Le pilotage sera opéré par le conseil d’administration paritaire. Il sera cependant fortement contraint et encadré par les lois financières. Le projet de loi prévoit à cet effet l’instauration d’une règle d’or et notamment la nécessité d’être à l’équilibre financier sur 5 ans. In fine, les recettes et les dépenses de l’ensemble des régimes seront donc de la compétence du législateur. Les partenaires sociaux à l’AGIRC-ARRCO, les professions libérales dans leurs caisses autonomes se verront ainsi dépossédés de l’essentiel de leurs prérogatives.
Une fois ces régimes mis en extinction (après une longue période de transition), la caisse universelle pilotera seule le système de retraite par répartition.
Alors est-ce vraiment une mauvaise chose ? Un coup d’œil rapide sur la situation financière des régimes existants ne nous incite pas à l’optimisme :
- D’un côté, les régimes encadrés par les lois financières (comme la CNAV). Ces régimes sont gérés par la puissance publique, elle-même guidée par des contraintes financières. Sans préjuger de l’avenir, l’Histoire a montré qu’en période de contraction économique, les gouvernements ont souvent choisi de laisser filer les déficits sociaux. La situation de la branche vieillesse de sécurité sociale en est le parfait exemple : alors qu’en 2018, les prévisions du gouvernement étaient optimistes puisqu’elles tablaient sur un équilibre des comptes, le solde sera finalement négatif de 4,4 milliards d’euros pour l’exercice 2019, et de 5,2 milliards d’euros pour 2020 (rapport commission des comptes de la sécurité sociale – septembre 2019). La raison principale ? Les mesures politiques prises suite au mouvement « gilets jaunes » (prime Macron, baisse de CSG sur les retraites modestes) et non compensés dans les comptes de la sécurité sociale.
- De l’autre, les régimes gérés par les partenaires sociaux et les régimes professionnels. Ces régimes, caractérisés par une gestion autonome donc responsabilisante pour les assurés ou leurs représentants, sont aujourd’hui à l’équilibre financièrement, voir même pour certains ont pu constituer des réserves financières.
Au final, on peut craindre que la gouvernance du système universel, telle qu’elle a été présentée ci-dessus, soit contrainte par le « temps politique » et marquée par l’instabilité et le « court-termisme », ce qui est peu compatible avec la gestion et le pilotage d’un système de retraite par répartition. Le pilotage opérationnel par un conseil d’administration paritaire n’y changera rien à priori puisqu’il sera contraint par le cadre des lois financières, je le rappelle.
C’est en ayant comme objectif d’assurer l’équilibre financier
de long terme que la retraite par répartition sera préservée, que la confiance des
générations d’aujourd’hui sera restaurée et que celle de demain sera assurée.