Partager la publication "Forfait jours : comment ajuster et contrôler la charge de travail ?"
Forfait jours : un dispositif sous haute surveillance
Les conditions de la mise en place du forfait jours : un accord collectif ET une convention individuelle
Les dispositions de contrôle obligatoire contenues dans l’accord collectif
La Cour de Cassation insiste sur le respect, dans les accords collectifs, d’une amplitude et d’une charge de travail raisonnables, et l’assurance d’une bonne répartition du travail dans le temps (Cass. Soc., 31 janv. 2012, n°10-19.807). Ainsi la répétition ou la prolongation trop fréquentes de périodes de travail « à flux tendu » pourront être reprochées à l’employeur.
Le contrôle du temps et de la charge de travail constitue, en vertu de l’obligation pour l’employeur de protéger la santé et la sécurité du salarié, une exigence capitale pour la mise en place du forfait-jours. Bien détaillées dans l’article L. 3121-64 du code du Travail, les dispositions devant figurer obligatoirement dans l’accord collectif relatif à leur mise en place comportent notamment l’obligation pour l’employeur de préciser les modalités selon lesquelles :
- L’employeur évalue et suit régulièrement la charge de travail du salarié
- L’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise
- Le salarié peut exercer son droit à la déconnexion
Faute de garanties suffisantes, plusieurs accords ont été annulés ou sont dits « privés d’effet ».
Forfait jours : à quoi sert la convention individuelle ?
Qu’elle soit sous la forme d’une clause dans le contrat de travail ou d’un avenant, la rédaction de la convention individuelle de forfait n’est jamais facultative, comme le précise l’article L3121-55 du code du travail : l’application du forfait-jours nécessite impérativement l’accord exprès du salarié, formalisé dans un document écrit.
L’objectif de cette convention individuelle, dont les dispositions sont précisées dans l’accord collectif, est, comme son nom l’indique, d’individualiser cet élément pour en discuter avec le salarié, vérifier le réalisme de la charge de travail, parvenir à un consensus, et en rediscuter périodiquement afin de pouvoir opérer des réajustements si nécessaire.
Selon l’article L3121-60 du code du Travail, les conventions individuelles de forfait-jour doivent obligatoirement préciser :
- Le nombre de jours travaillés
- Les modalités de décompte des journées et demi-journées (de travail et de repos)
Mais il est également souhaitable d’y faire figurer :
- Les modalités d’évaluation, de contrôle et, le cas échéant, de réajustement de la charge de travail et de l’organisation de l’activité du salarié
- Les modalités de prises de repos et d’exercice du droit à la déconnexion
En tout état de cause, l’employeur doit être extrêmement vigilant sur l’application effective des garanties prévues par ces accords. Si l’article L3121-60 du code du Travail insistait déjà sur l’importance du contrôle régulier de la charge de travail du salarié, la Chambre Sociale l’a très clairement rappelée dans son arrêt n° 1809 du 19 décembre 2018 : « (…) il incombe à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a respecté les stipulations de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours ».
Ainsi, même en présence d’un accord d’entreprise et d’une convention individuelle de forfait-jours, si les dispositions affichées ne sont pas réellement appliquées et démontrables par l’employeur, sa responsabilité est engagée (rappelons que tout manquement à la protection de la santé et la sécurité d’un salarié peut entraîner des poursuites pour faute inexcusable de l’employeur).
Forfait jours : quelles bonnes pratiques adopter en entreprise ?
Mettre en place des outils de contrôle et des garde-fous
Le contrôle de la charge de travail du salarié peut s’exercer au travers de divers dispositifs :
- Contrôle des états déclaratifs des heures d’arrivée et de départ ;
- Entretiens réguliers avec le salarié au sujet de sa charge de travail ;
- Mise en place de dispositifs d’alerte ;
- Instauration de dispositifs de déconnexion automatique des outils de communication au-delà d’une certaine durée d’utilisation ; extinction des lumières dans les bureaux au-delà d’une heure déterminée ;
- Diffusion et application de règles relatives au respect du droit à la déconnexion (heures de réunions, heures d’envois de messages, délais de réalisation, respect des périodes de congés, etc…)
Lorsqu’un salarié fait état d’une surcharge de travail, tout un panel de mesures peut être envisagé :
- Réévaluation de l’ensemble des activités et du temps nécessaire à les réaliser ;
- Révision du nombre de tâches, des deadlines qui ont été fixées, des process impliqués, des outils ou des techniques utilisés ;
- Tutorat, formations en gestion du temps et organisation des tâches ;
- Nouvelle répartition des tâches au sein de l’équipe, recrutement supplémentaire ; si plusieurs membres d’une équipe montrent des signes de surcharge, voire en viennent à présenter des symptômes d’épuisement professionnel, c’est peut-être l’ensemble du travail de l’équipe qu’il faut réorganiser ;
- Prise en compte d’éventuelles difficultés de santé ou de nature extra-professionnelle qui peuvent toucher le collaborateur et impactent sa productivité ;
- Digitalisation et modernisation des outils ;
- Etc.
Responsabiliser le manager
Le rôle et l’attitude du manager sont déterminants dans l’exercice du contrôle de la charge de travail. Quelques « règles d’or » peuvent lui être utiles pour prévenir une dégradation des conditions de travail de son collaborateur du fait d’une charge et/ou d’une durée de travail trop élevées :
- Ne jamais traiter par le mépris les alertes lancées par le salarié : il arrive encore trop souvent en entreprise que le salarié ne doive se contenter d’un « de toutes façons on n’a pas le choix », ou d’un « je ne peux rien faire, j’ai tout autant de travail que toi » ; pire, certains managers rejettent parfois la faute sur le collaborateur : « ce n’est pas ta charge de travail qui ne va pas, c’est toi qui es mal organisé, c’est toi qui es trop lent, tu fais trop de pauses, etc. ». L’ignorance des difficultés du salarié à faire face à sa charge de travail, ou l’absence de volonté d’en mesurer la réalité, peut parfois conduire à une situation de souffrance, voire même au burnout. Dans ce dernier cas c’est non seulement le salarié mais également le reste de l’entreprise qui en subit les conséquences ;
- Être vigilant sur la périodicité des contrôles qui doivent être « objectifs, fiables et contradictoires ». Managers, ne vous contentez pas des rendez-vous annuels, semestriels ou trimestriels pour évoquer le sujet. N’hésitez pas à provoquer un entretien si vous percevez des signes alarmants chez votre collaborateur ;
- Être de bonne foi dans l’évaluation du temps nécessaire à chaque tâche. En particulier, les tâches peu complexes peuvent apparaître, du fait de leur simplicité, rapides à réaliser. Certaines d’entre elles n’en sont pas moins beaucoup plus chronophages qu’elles n’y paraissent et il n’est pas inutile de se reposer régulièrement la question ;
- Alerter si la situation persiste (RH, SST, médecine du travail, autres départements susceptibles d’apporter des solutions) ; impliquer le salarié dans la recherche et l’élaboration de solutions ;
- Freiner le « workaholic » : il arrive que certains collaborateurs ne parviennent pas d’eux-mêmes à s’arrêter de travailler et ne prennent pas conscience des risques d’épuisement qu’ils encourent. Au manager alors de savoir ralentir et freiner son collaborateur, et lui faire prendre conscience de l’indispensable besoin de repos pour rester performant ;
- Contrôler ses règles internes au regard de la santé et la sécurité au travail : si tous vos systèmes de rémunération, d’évolution et de reconnaissance incitent vos salariés à dépasser leurs limites en termes de durée et de charge de travail, vous êtes en flagrante contradiction avec votre obligation de résultat de protéger la santé et la sécurité de vos collaborateurs ;
- S’il s’avère, par des mesures objectives que le salarié est vraiment trop lent et n’arrive pas à gérer une charge de travail pourtant raisonnable, en tirer les conséquences : soit le former, soit le muter, soit le licencier.
Dans tous les cas, il est essentiel de ne jamais laisser « pourrir la situation ». Les conséquences de l’inertie peuvent être sévères :
- Action prud’homale en rappel d’heures supplémentaires (généralement à l’occasion d’un contentieux relatif au licenciement) ;
- Souffrance du salarié aboutissant à des arrêts de travail répétés et demande d’intervention du médecin du travail pouvant aboutir à un avis d’inaptitude ;
- En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, condamnation en faute inexcusable (manquement à l’obligation de santé et de sécurité).