Partager la publication "Stratégies de rémunérations, entre continuité et chamboulements"
La rémunération au centre des débats managériaux
Les dispositifs de rémunération des grandes entreprises sont très complets, et parfois difficiles à décoder : il suffit de voir l’énergie des équipes RH impliquées dans les campagnes pour s’en convaincre. Comment rendre les dispositifs lisibles alors mêmes que les évolutions sociétales et juridiques renforcent en apparence cette complexité.
Managers, DRH, Organisations, autant de questionnements sur les rémunérations. Le sujet est à la fois complexe et sensible et il semble difficile en quelques lignes de donner une vision des enjeux actuels. Je vous propose cependant d’esquisser ensemble un regard sur quelques-unes des évolutions clés. Nous verrons successivement comment le cadre de référence, les dispositifs salariaux puis leur application managériale sont tous trois en mouvement. Sur chacun, nous partirons des fondamentaux qu’il convient de conserver pour aller vers les évolutions puis les nouveautés. L’objectif est de vous permettre de vous interroger sur vos pratiques. Sachez que beaucoup de possibilités restent à inventer et je vous en évoquerai quelques-unes en fin d’article.
Avant d’aborder ces neuf points, il me semble utile de rappeler que la politique salariale dépend pour une très large part de votre modèle d’affaires. Le cycle d’activité est clé, s’inscrit-il dans la stabilité qu’il restera plus traditionnel, est-il industriel ou dans le conseil, est-il technologique et de portée locale ou mondiale, autant d’éléments qui vont influer sur la politique salariale. L’autre déterminant clé de la politique salariale est la vision des fondateurs et dirigeants, qui par exemple détermine le positionnement de l’entreprise par rapport au marché externe.
Le cadre de référence : des méthodes d’évaluation des postes vers le workforce planning
La plupart des méthodes (point 1) s’appuient sur l’évaluation des postes à partir des niveaux de responsabilité et des compétences liées. La plus connue, Hay, prend en compte les trois dimensions des compétences de l‘initiative créatrice et de la latitude d’action. Ces méthodes restent souvent indispensables, et les limites qu’elles montrent relèvent la plupart du temps d’une application trop stricte. Elles ont en effet l’incommensurable avantage de fixer des points de repères, gages d’équité interne.
Cependant, les méthodes d’évaluations des postes supposent surtout une stabilité. Aussi, comment évaluer ce qui change maintenant si fréquemment, des postes stables remplacées par des missions ponctuelles, des descriptions exhaustives qui laissent place à un formalisme réduit, centré sur la finalité, soft skills prenant le dessus sur les compétences techniques. Aussi elles sont maintenant complétées par une approche plus souple (2) qui apporte une part de la flexibilité nécessaire : postes-repères et bandes de rémunération plus larges (rendant possible des évolutions plus durables) en font partie. Les compétences clés sont alors elles aussi plus intégrées dans cette démarche, à partir des choix stratégiques.
Enfin, il reste que certains profils ne pourront guère s’intégrer dans ces pratiques, pour trois raisons : une rareté sur le marché, notamment dans les technologies (cybersécurité, développeurs, data scientist ou experts blockchain…) ; dans les mêmes métiers souvent, mais pas seulement, une volonté d’indépendance vis-à-vis de grandes organisations qui parfois ne peuvent répondre à la flexibilité attendue ; une activité trop éparse dans l’organisation pour disposer de moyens renforcés. Certaines estimations de villes nord-américaines montrent des taux d’indépendants (Gig to Gig) de près de 40% de la population active, si l’on prend en compte que certains salariés sont employés par leur propre structure individuelle.
C’est dans ce cadre que les politiques salariales peuvent alors s’intégrer dans une stratégie d’emploi différenciée (3), elle-même gérée avec le workforce planning : le salariat n’est alors pas le seul modèle, l’entreprise s’étend par des partenariats avec des co-traitants spécialisés, plus souples et moins contraints, des communautés d’indépendants comme en France la Voie des Hommes créée par Bruno Luirard en 2003, sociétés de portage ou d’intérim. Les DSI ou les organisations du BTP, avec des taux de sous-traitance de plus de 50% le pratiquaient certes déjà pour des raisons de flexibilité ou de spécialité, mais cette fois les raisons sont autres. L’emploi et la rémunération se rejoignent alors. Enfin, pourrait-on dire !
Les dispositifs : une approche dynamique, complète et pluriannuelle
La négo annuelle et le pilotage de la masse salariale (4) restent un fondamental majeur. Lier les deux est une nécessité absolue : l’effet de noria finance en effet la plupart du temps une part substantielle des taux d’augmentation. En outre, la juste perception des enjeux sociaux et donc managériaux est une phase clé dans l’acceptabilité des politiques salariales, jusque même à savoir les rendre plus ou moins discriminantes. Tout passe par ces échanges, depuis les dimensions collectives jusqu’au politiques de promotions.
Depuis de nombreuses années, les entreprises se sont dotées d’une vision de la rémunération globale, partant du total « rémunérations espèces » pour intégrer progressivement tous les avantages sociaux, périphériques, dont naturellement les systèmes de santé et de prévoyance, et en intégrant dans les leviers de négociation salariale par exemple les taux d’appels et de nombreux paramètres qui rendent complexe la préparation de ces négociations.
Le pouvoir d’achat (aux multiples déterminants) est un concept plus que mis en avant actuellement. 74% des grands groupes auraient ainsi versé la prime « Macron » (1), réponse partielle au phénomène des « Gilets Jaunes ». Coluche rappelait avec humour que « l’argent ne fait pas le bonheur de ceux qui en ont, mais il fait le malheur de ceux qui n’en ont pas ». Dès 2010, avec une étude menée sur un demi-million d’américains, D. Kahneman démontrait l’absence de corrélation entre satisfaction et revenus à partir d’un certain niveau (environ 65 000 euros annuels). Nombre d’entreprises complètent leur négociation annuelle par des éléments constitutifs de la rétribution globale (5) et enrichissent les premiers Bulletins Sociaux Individuels (BSI) qui ont introduit le marketing dans la fonction RH : Rémunération et actionnariat, mais aussi Temps de Travail, Formation et Promotion, Environnement de travail (intégrant flex office et technologies de support) et Avantages Sociaux de toutes natures. Près de 250 indicateurs individuels peuvent être utilisés par exemple chez Auchan, une des premières entreprises qui a déployé le BSI. Finalement, la marque employeur devient le levier qui active cette approche plus complète de la rémunération à la rétribution. Il n’en reste pas moins que les rémunérations restent en soi un critère clé, comme le laissent voir les rubriques salaires et avantages sur Glassdoor. Enfin, toujours sur ce même plan, les dispositifs qui mettent en avant différentes formes de solidarités (dons de congés, arrondi de paie…)
Ces pratiques évoluent encore : lorsque tous les dispositifs sont présents, il s’agit maintenant de donner des perspectives plus larges : sur l’entreprise, dans le temps. Les dispositifs collectifs et pluriannuels (6) sont une manière extrêmement pertinente d’inscrire les politiques salariales dans la cohérence attendue par les salariés : les négociations salariales deviennent pluriannuelles, les accords d’intéressements sont facilités pour les entreprises de moins de 250 salariés par la loi Pacte (et la suppression du forfait social), pour les autres par des intéressements complémentaires déclenchés au regard de seuils et performances business. L’effet de ces dispositifs est réel, et fédérateur.données
(1) ANDRH reprises par le Figaro du 18/2/2019