La protection fonctionnelle : un droit pour les agents publics

L’affaire retentissante de cet été dite « Benalla », rappelle à tous les agents publics qu’ils sont tributaires d’une mission de service public et soumis à des obligations et devoirs. En contrepartie, ils bénéficient d’une protection fonctionnelle dans l’exercice de leurs missions. L’occasion est venue de préciser les contours de cette protection dont le champ d’application n’a cessé d’être élargi au fil des ans.

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Le contenu de la protection fonctionnelle

La protection fonctionnelle a un sens : l’agent est couvert civilement et pénalement en cas de faute de service ou s’il est victime d’une agression dans l’exercice de ses fonctions.

En application de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, lorsque le fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable au fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui.

En outre, lorsque l’agent est auteur d’une infraction pénale, l’administration dont il dépend peut lui accorder le bénéficie de la protection fonctionnelle avant même que l’action publique ait été mise en mouvement, c’est-à-dire pendant la garde à vue.

Enfin, l’agent public est protégé contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, dont le contenu est très large, c’est-à-dire les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime et qui sont liés au service. Concrètement, l’employeur public a une obligation d’assistance judiciaire de l’agent qui demande la protection fonctionnelle. Il doit d’une part informer l’agent public de la possibilité de solliciter le concours d’un avocat pour assurer sa défense devant les instances pénales. D’autre part, l’employeur public doit prendre en charge l’ensemble des frais judiciaires et honoraires de l’avocat chargé de défendre l’agent. En conséquence, l’agent est assisté judiciairement dès la garde à vue et jusqu’à la fin du procès.

Protection fonctionnelle : quels bénéficiaires ?

Initialement, l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 concernait exclusivement la protection fonctionnelle des fonctionnaires, c’est-à-dire l’ensemble des personnes ayant la qualité de fonctionnaire au sein des trois fonctions publiques ainsi qu’au sein des établissements publics. Le Conseil d’Etat a étendu progressivement son champ d’application au-delà des textes statutaires[1]. Il en a fait un principe général applicable en dehors de tout texte[2]. Aujourd’hui l’ensemble des agents de droit public bénéficient de la protection fonctionnelle[3], quels que soient la nature du lien les liants à l’administration [4](agent contractuel, vacataire, collaborateur bénévole du maire, intérimaires[5]) ou le service public dans le cadre duquel ils exercent leurs missions. L’ensemble des agents publics, ainsi que les intérimaires sont soumis aux mêmes devoirs et obligations que les fonctionnaires et bénéficient en conséquence de la protection fonctionnelle.

La protection fonctionnelle ne s’applique pas en revanche aux agents de droit privé de l’Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics[6].

La loi du 20 avril 2016 de déontologie[7] a étendu les champs d’application de la protection fonctionnelle aux membres de la famille de l’agent public. Ainsi, « la protection peut être accordée, sur leur demande, au conjoint, au concubin, au partenaire lié par un pacte civil de solidarité au fonctionnaire, à ses enfants et à ses ascendants directs pour les instances civiles ou pénales qu’ils engagent contre les auteurs d’atteintes volontaires à l’intégrité de la personne dont ils sont eux-mêmes victimes du fait des fonctions exercées par le fonctionnaire.

Elle peut également être accordée, à leur demande, au conjoint, au concubin ou au partenaire lié par un pacte civil de solidarité qui engage une instance civile ou pénale contre les auteurs d’atteintes volontaires à la vie du fonctionnaire du fait des fonctions exercées par celui-ci. En l’absence d’action engagée par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité, la protection peut être accordée aux enfants ou, à défaut, aux ascendants directs du fonctionnaire qui engagent une telle action ».

Protection fonctionnelle : la procédure

La procédure est simple et n’obéit à aucun formalisme particulier. Il suffit à l’agent public, qui souhaite bénéficier de la protection d’informer par écrit l’administration dont il dépend. Il doit indiquer les atteintes dont il est victime et transmettre l’ensemble des documents appuyant sa demande (emails, courriel, SMS et attestations des collègues, constats médicaux de souffrances physiques ou psychiques) afin de démontrer la matérialité des faits. La transmission de l’ensemble des documents est importante car elle permet à l’employeur public de jauger des chances de succès de l’action judiciaire et de déterminer les modalités de mise en œuvre de la protection. Dans son courrier, l’agent doit invoquer expressément l’application des dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983. En cas d’infractions pénales, il est important de porter plainte avec constitution de partie civile pour déclencher l’action publique. La procédure est similaire pour les membres de la famille qui souhaitent bénéficier de la protection fonctionnelle.

Les modalités de mise en œuvre de la protection fonctionnelle

Si la protection est un droit pour l’agent public, les modalités de mise en œuvre de la protection sont libres et laissées à l’appréciation de la personne publique[8]. Néanmoins, celle-ci doit agir rapidement et mettre en place des mesures utiles. A titre d’exemple, en cas de harcèlement moral ou physique, dont la matérialité des faits est démontrée, il est indispensable d’éloigner l’agent public du service pour protéger l’agent victime mais également éviter de nouvelles victimes. En cas de dommages corporels, l’agent bénéficie des prestations statuaires : prise en charge des frais médicaux, maintien du salaire durant l’arrêt de travail.

Le refus d’accorder la protection fonctionnelle

Parce que la protection est un droit de l’agent public, les motifs éventuels de refus sont strictement limités à la faute personnelle et à l’intérêt général.

D’une part, l’administration peut opposer un refus en cas d’une faute personnelle de l’agent. Celle-ci n’est pas définie dans le code de la fonction publique mais selon la jurisprudence, il s’agit d’une faute d’une telle gravité qu’elle ne peut être assimilée à une faute de service, un comportement inexcusable de l’agent[9]. Tel est le cas quand aucun élément matériel ou juridique ne serait susceptible de la rattacher à l’exercice des fonctions[10], même si elle a été commise durant l’exercice des fonctions et avec les moyens du service[11].

Depuis, l’arrêt Thepaz, il n’y a plus de lien automatique entre la commission d’un délit et l’existence d’une faute personnelle[12]. Ainsi, il a été jugé que la modification d’une note d’audience par un magistrat afin d’y faire mentionner des citations directes, qui n’avaient pas été enregistrées, ni régulièrement appelées à l’audience et rédigé quatre jugements fixant des consignations alors qu’il n’en avait prononcé que deux lors de l’audience, n’est pas une faute d’une telle gravité qu’elle ne serait pas susceptible d’être rattachée à l’exercice de ses fonctions[13].

D’autre part, le refus peut être fondé sur un motif d’intérêt général [14] dont le contenu est assez large[15]. Le refus d’accorder la protection fonctionnelle peut être lié à la continuité et à la qualité du service dans des conditions nécessaires de sérénité[16] ; à la protection de la vie privée des administrés ; à l’image du service et la qualité des soins des assurés par l’établissement[17].

En revanche, « le souci de l’administration des Postes et Télécommunications d’appliquer une politique d’apaisement » après une grève ne constitue pas un motif d’intérêt général justifiant le refus de protection[18].

En définitive, si la protection est un droit de l’agent public, c’est un droit limité aux fautes de services et aux agressions dont l’agent est lui-même victime. Il revient donc à l’administration d’apprécier au cas par cas les demandes de protection fonctionnelle, de qualifier la faute au regard de la jurisprudence administrative, avant d’accorder ou refuser la protection fonctionnelle à l’agent. La prudence est de rigueur, en cas de refus injustifié, la responsabilité de l’Etat peut être engagée.

[1] CE, sect, 26 avril 1963, Centre hospitalier de Besançon, conc Chardeau, CE, 9 décembre 1970 Cne de Neuilly Plaisance
[2] CE, 8 juin 2011 N° 312700 Farre
[3] Loi n°96-1093 du 16 décembre 1996
[4] Fonctionnaires stagiaires, vacataires
[5]C, trav, article L.1251-60
[6] CE 26 juin 1968, Caisse primaire de sécurité sociale du Calvados, Lebon p. 403
[7] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?idArticle=LEGIARTI000024040127&cidTexte=LEGITEXT000006068812
[8] CE, 31 mars 2010, Ville de Paris
[9] CE, 28 décembre 2001, n°213931, M. Valette
[10]CE, 12 mars 1975, Pothier
[11]Gendarme auteur d’un meurtre passionnel, cas d’un pompier pyromane
[12] Thepaz CE 1935
[13] Cas d’un magistrat poursuivi pour des faits de faux en écriture publics (CE, 11 février 2015 n°372359, Garde des Sceaux, ministre de la justice)
[14] CE, 31 mars 2010, Ville de PARIS
[15] CE, 14 février 1975 Teitgen, CE, 20 avril 2011, M. Bertrand
[16] CE 8 mars 2010, Mme ROUSSET
[17] CE sect, 26 juillet 2011, n°336114
[18] CE 16 juin 1977, Vincent

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