Partager la publication "Bien gérer son temps quand on est manager : les conseils de Hervé Coudière"
Pourriez-vous revenir en quelques mots sur votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir coach ?
Je me souviens quand je jouais au foot au collège, je mettais plus d’énergie et j’avais plus de plaisir à aider mes copains à progresser et à leur passer la balle qu’à dribbler et marquer seul un but. J’étais fier de voir mes camarades faire de nouvelles prouesses.
Je me suis très tôt passionné pour les sciences. Je dévorais le magazine Sciences et Vie auquel mes parents m’avaient abonné et j’ai fait des études d’ingénieur, mais ce qui m’a toujours le plus intrigué, c’est l’esprit humain. J’ai eu l’impression de faire trop de technique dans mon poste de chef de projet que j’occupais chez mon premier employeur. Je me suis rendu compte plus tard que je ne faisais pas tant de technique que ça et que j’étais déjà essentiellement dans la relation humaine avec mon équipe et les nombreux interlocuteurs que je rencontrais. C’est pourtant ce qui m’a conduit à faire un master II en management en cours du soir, m’orienter vers le conseil et commencer un parcours de développement personnel il y a plus de 15 ans.
Après quelques années de conseil en management, j’ai fait deux constats qui m’ont véritablement décidé de développer une posture de coach professionnel.
Accompagner les managers et les équipes dans toutes leurs dimensions
Le premier était que les managers que j’accompagnais étaient souvent en situation très difficile et stressante, parfois en détresse, coincés entre les injonctions de leur hiérarchie ou de leurs actionnaires et les réalités du terrain et de leurs collaborateurs. Le deuxième a été l’échec de ma posture de conseil pour accompagner une équipe qui souhaitait apprendre à mieux travailler ensemble. C’est ce qui m’a poussé il y a plus de dix ans à acquérir la posture de coach qui me permet d’accompagner efficacement les managers et les équipes dans toutes leurs dimensions, y compris émotionnelle et relationnelle.
Travaillez-vous uniquement avec des managers ?
Ma mission professionnelle est de développer les pratiques de coopération au sein des collectifs de travail. Pour cela, je travaille sur des thématiques variées telles que l’organisation, la coordination, le pilotage, la communication, la gestion du temps, la conduite de projet. J’interviens comme formateur, animateur, coach, conférencier, conseil, expert en organisation. Je peux aussi former des formateurs.
Cela m’amène à côtoyer toutes les strates des organisations, mais mon public de prédilection sont les managers en effet, qu’ils soient hiérarchiques ou transverses, car c’est avec eux que nous pouvons avoir le meilleur impact de la performance durable.
Il s’agit pour moi comme pour les managers de mettre en place un cadre dans lequel les personnes peuvent montrer de quoi elles sont capables. Si elles se sentent autonomes et reconnues, elles sont alors plus épanouies dans leur travail, plus créatives, plus ouvertes au changement et plus engagées.
Avec mon triple cursus d’ingénieur, de manager et de coach, j’accompagne mes clients dans leurs situations avec pragmatisme dans la perspective de mettre en place des solutions efficaces qui génèrent aussi du mieux-être pour tous.
Votre travail de coaching vous amène souvent à aborder la gestion du temps avec vos clients. Vous venez d’ailleurs de publier un ouvrage à ce sujet, « Gestion du temps pour managers débordés ». Pourquoi est-ce si important ?
J’explique dans cet ouvrage que l’enjeu de la gestion du temps est triple.
Efficacité, estime de soi et coopération
Il y a l’enjeu le plus évident de l’efficacité mais il y a aussi un enjeu émotionnel fort d’estime de soi notamment et un enjeu primordial dans les organisations, celui de la coopération avec les autres.
Pour illustrer, vous rappelez-vous d’un soir où, à l’heure de partir, en rangeant vos affaires et en fermant les fenêtres ouvertes dans votre PC, vous vous apercevez d’un travail laissé en plan, ouvert le matin en vous disant que c’était votre priorité du jour. Vous vous demandez ce que vous avez fait de la journée. Vous vous sentez inefficace et peu digne de confiance. Votre propre estime de vous-mêmes en prend un coup et vous craignez de ne pas pouvoir tenir l’engagement que vous aviez pris envers votre interlocuteur.
Ces enjeux prennent une dimension collective encore plus vive pour les managers qui doivent sans cesse améliorer leurs performances sans dégrader le bien-être de ses équipes.
Quelle que soit la personne, il s’agit de choisir où dépenser son énergie et comment s’organiser pour la concentrer dans ce qui est véritablement important.
Qu’avons-nous de plus précieux que notre temps… notre énergie, notre vitalité, le bonheur de nous réaliser en tant qu’être ? Voilà pourquoi une réflexion sur la gestion du temps est tellement importante.
Quelles sont les principales raisons pour lesquelles les managers peinent à gérer leur temps ?
Les raisons sont multiples et souvent très personnelles. Elles ne sont d’ailleurs pas toujours clairement identifiées. Il arrive que les managers n’aient pas suffisamment pensé, ou se posent les mauvaises questions, ou pensent qu’un outil magique va résoudre leur problème de manque de temps.
Je présente un certain nombre d’outils dans mon livre qui peuvent aider à mieux s’organiser et gagner du temps. Mais je suis prudent car les outils ne sont utiles que dans la main experte de celui qui s’en sert. C’est-à-dire que l’outil doit être adapté à la personne, sa culture et son contexte. Là aussi, je suis pragmatique et je dis OK si ça me fait vraiment gagner du temps, non si personne n’en tire profit.
J’ai régulièrement des personnes qui me disent : « Vous voyez, j’ai tellement de travail que je n’arrive plus à faire mon job. Dites-moi comment faire pour tout faire. »
Les personnes ne donnent pas leur plein potentiel quand les priorités sont confuses, quand tout devient urgent, très urgent voire très très urgent, quand les tâches assignées sont à court terme, quand les objectifs ne sont pas clairs ni mobilisateurs, quand les activités n’ont plus de sens. C’est dévalorisant et cela produit du désengagement, des performances tout justes médiocres et concourt à la consommation d’anxiolytiques, antidépresseurs, alcool…
Prendre le temps de la réflexion
La construction de l’individu nécessite de s’asseoir et se penser plutôt que de courir sans arrêt et d’être l’esclave des objectifs qui changent trop souvent, des objets et des procédures qui amènent leur lot de contraintes.
Certains managers ne prennent plus le temps de la réflexion. Ils sont en permanence le nez dans le guidon et n’ont plus ces temps absolument nécessaires pour penser l’avenir, pour anticiper, pour réfléchir aux priorités. Tout est urgent au détriment des véritables priorités. On confond l’urgence et l’importance.
C’est pour cela que j’ai écrit ce livre Gestion du temps pour managers débordés, pour donner une occasion aux personnes de réfléchir sur leurs véritables priorités.
Comment faire face aux urgences ? Comment définir ce qui est réellement une urgence et la différencier d’une priorité ?
La notion d’urgence dans le vocabulaire français n’est pas claire, car on a les urgences sanitaires. Or ces urgences sanitaires sont en réalité des priorités.
Il faut savoir distinguer les urgences des priorités. Lorsque cette distinction est faite, on se concentre sur les priorités, et les urgences, on les fera rapidement.
La plupart des urgences peuvent attendre 1h, une demi-journée. On peut réaliser un travail complémentaire pour identifier les urgences qui ne peuvent pas attendre 5 minutes. Quand il y va de la survie d’une personne, oui c’est une urgence.
Une clé pratique, c’est l‘évaluation des conséquences. Quelles sont les conséquences si je ne réponds pas dans l’heure ? Je trouve utile de réfléchir à ce qui se passe quand je suis injoignable car en réunion, en déplacement ou en congés. Que deviendrait cette urgence ?
Comment gaspillons-nous du temps quotidiennement dans le cadre du travail ?
Les mécanismes sont multiples et chacun a ses techniques… J’en décris un certain nombre dans le livre et je donne plusieurs méthodes d’auto-diagnostic pour les débusquer.
Je prends pour exemple une pratique qui fait des ravages, celle de répondre aux messages électroniques dans la minute où ils arrivent. C’est redoutable car cela nous fait perdre toute notre concentration, cela disperse l’énergie de notre cerveau et nous fait perdre le fil de nos pensées. Les personnes invoquent souvent de soi-disant bonnes raisons d’être super-réactif. Mais la réactivité permanente est largement contre-productive.
Un mécanisme semblable est à l’œuvre lorsque le manager résout tous les problèmes au fil de l’eau. Si cela procure un plaisir immédiat, c’est peu efficace à plus long terme car le manager transmet le message qu’il est là pour résoudre rapidement les problèmes. Les collaborateurs lui apportent donc les problèmes urgents et il se retrouve vite débordé par l’afflux de problèmes qui lui parviennent. Comme me témoignait un manager trois moins après une formation : « Avant, c’était les problèmes qui décidaient de mon emploi du temps. Maintenant, c’est moi qui décide à quel moment je m’occupe des problèmes ».
Comment développer l’autonomie de ses collaborateurs pour être moins sollicité ?
Développer l’autonomie des collaborateurs est en effet une préoccupation majeure. Cela permet non seulement d’être moins sollicité mais aussi d’accroître l’engagement des collaborateurs, leurs responsabilités, leur motivation et de développer leurs compétences. Comme dit Daniel Pink, un consultant américain, « Le contrôle conduit à la conformité, l’autonomie conduit à l’engagement ».
Il faut comprendre que le manque d’autonomie des collaborateurs est aussi lié au type de management exercé. Par exemple si le manager donne à ses collaborateurs des travaux à faire dans l’urgence, sans le temps de la réflexion ou les marges de manœuvre nécessaires à ce que chacun s’approprie les sujets, il ne doit pas s’attendre à une prise d’autonomie. De la même façon s’il résout toujours tous les problèmes à la place de ses collaborateurs comme évoqué précédemment, ou s’il dévalorise systématiquement les solutions apportées par ses collaborateurs.
Le manager doit donc fixer des objectifs ambitieux à plus long terme à ses collaborateurs pour qu’ils puissent montrer de quoi ils sont capables, à leur donner du sens, à leur faire confiance et à reconnaître leur travail à sa juste valeur, à leur demander leurs propres solutions et à les valoriser. C’est un état d’esprit positif qui se construit dans le quotidien des interactions avec les collaborateurs.
Vous conseillez aux managers de s’auto-évaluer. Mais c’est une tâche difficile. Comment s’auto-évaluer de façon objective ?
Je conseille aux managers de s’auto-évaluer pour les aider à déterminer leurs propres objectifs de progrès et donc pour choisir là où ils vont mettre leur énergie pour progresser. Le manager peut avoir une idée de ce qui pêche dans son organisation mais un auto-diagnostic lui apporte un regard plus précis et pertinent qui l’entraîne sur une piste de progrès.
Le livre propose 5 méthodes de diagnostics, du plus intuitif au plus objectif. L’une des méthodes permet de compter objectivement le temps passé sur un dossier, le nombre d’interruptions dans une journée, le nombre de fois où on reprend un dossier. Une autre méthode propose aussi d’interroger les interlocuteurs pour qu’ils donnent leur propre appréciation. Mais il ne faut pas perdre de vue que la relation que chacun entretient avec le temps est largement subjective. C’est pourquoi je pense que ces techniques d’autoévaluation sont pertinentes, et même si elles sont imparfaites, elles permettent d’affiner sa perception et d’avancer pas à pas.
Réussir à dire non est une chose importante en entreprise. Quels conseils donneriez-vous pour parvenir à s’affirmer, oser dire non ?
Oui, c’est un sujet important que chacun peut éprouver. Nietzsche le philosophe disait que celui qui n’est pas d’accord avec lui-même, qui est dans le déchirement va vers l’épuisement.
« Pour pouvoir dire non, il faut savoir à quoi on dit oui »
J’aborde le sujet de savoir dire non dans le chapitre sur la coopération car cela concerne ma relation au collectif de travail et qu’on doit toujours avoir en tête que nous sommes interdépendants. Il y a donc des façons et des raisons de dire non qui passent mieux ou qui sont plus faciles à représenter.
La première chose pour dire non est déjà d’être au clair avec ses propres priorités. Pour pouvoir dire non, il faut savoir à quoi on dit oui. C’est la base de notre refus. C’est aussi une façon de valoriser notre travail et de construire l’estime de soi nécessaire pour pouvoir oser dire non.
Certaines personnes n’ont aucune difficulté à dire non, d’autres ont des difficultés à dire non à leur chef, d’autres à leurs collaborateurs. Il est toujours intéressant de se demander avec un peu d’introspection ce qui nous empêche à l’intérieur de nous de dire non. Un coaching permet d’y travailler et le livre donne des précisions et des outils pour répondre avec tact et pertinence aux sollicitations des autres.
Faut-il instaurer une routine quotidienne ou hebdomadaire ? Regrouper les tâches ou les diversifier ?
Je peux donner quelques conseils qui ont marché pour moi et pour d’autres mais le plus important est de trouver ce qui va marcher pour vous et c’est vous qui êtes me meilleur juge et qui choisissez. Il revient à chacun de voir ce qui marche et ce qui ne marche pas. Mais en règle générale, si un matin je ne prends pas un petit temps pour définir comment je vais organiser ma journée, quels seront mes objectifs, ma journée est désastreuse. Une discipline intérieure, tous les jours, pour se donner une priorité, savoir ce que l’on fait, comment on utilise notre précieux temps est pour moi primordiale.
Il faut à la fois regrouper les activités de même nature, comme par exemple traiter tous les mails en même temps, signer toutes les factures, pour ne pas sans cesse passer d’une activité à l’autre. Mais il faut aussi diversifier ses activités au cours de la journée (activités intellectuelles, échanges relationnels, repos…) et renouveler régulièrement cette routine.
En quoi la gestion du temps est-elle un outil de management à part entière ?
En tant que manager, cela revient aussi à savoir où je peux apporter le plus de valeur à mon équipe pour la réussite collective.
Bien gérer son temps et celui de ses équipes apporte un ensemble de bénéfices qui sont au service de la performance de l’équipe. Avec une meilleure gestion de mon agenda personnel, je suis plus performant dans des horaires limités. J’améliore l’efficacité de mes collaborateurs en leur transmettant les bonnes pratiques de gestion du temps. En partageant les mêmes pratiques, on travaille mieux ensemble et on améliore notre efficacité. En communiquant clairement sur les temps où je suis disponible, les temps où je suis avec les collaborateurs, la relation et l’ambiance s’en trouvent améliorées. Le fin du fin pour le manager c’est de prendre de la hauteur sur les activités du quotidien, mieux anticiper, prendre plus de temps pour prévoir, planifier les améliorations, les changements qui permettent à l’équipe de donner le meilleur d’elle-même dans un environnement en mutation permanente.
Conseillez-vous de faire appel à des techniques telles que la sophrologie ou la méditation ?
Les situations et les solutions sont individuelles et dépendent d’un grand nombre de paramètres. Je propose des outils, des techniques, des modèles mentaux qui aident à la réussite, mais c’est à chacun de tester, de choisir, d’expérimenter. Je suis un pragmatique et comme le dit Spinoza sur la puissance d’exister : La joie émerge à chaque fois que notre puissance d’exister s’accroît. Pratiquez si cela vous procure de la joie.
Ces techniques sont de véritables ressources pour les personnes qui les pratiquent. Elles sont multiples. Si on est stressé, si on n’arrive pas à faire face et qu’on ne trouve de secours que dans les médicaments, ça peut être intéressant d’aller chercher des réponses dans ces domaines. Je parle de cohérence cardiaque dans mon ouvrage. C’est une pratique très simple et facile d’accès qui ne prend que quelques minutes par jour. Son efficacité est scientifiquement prouvée. Si la joie émerge de ces pratiques, ne vous privez pas.