Quadras, quinquas, traversez-vous une crise de motivation au travail ?

A l'approche de la cinquantaine, de nombreux professionnels se trouvent soudain confrontés à une véritable crise de motivation qui affecte leur sentiment d'épanouissement au travail. Fabienne Autier et Sanjy Ramboatiana, auteurs du livre Quadras, quinquas : crise de motivation au travail ? Rien d’anormal !, analysent pour vous ce phénomène ordinaire mais pourtant trop souvent passé sous silence...

Cet article a été publié il y a 8 ans, 5 mois.
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Une crise de motivation menace-t-elle les professionnels à l'aube de la cinquantaine ?
Une crise de motivation menace-t-elle les professionnels à l'aube de la cinquantaine ?

Bonjour Fabienne, qu’est-ce qui a attiré votre attention sur les problématiques spécifiques que rencontrent les quadras et quinquas au travail ?

En tant que professeur et chercheur en gestion des ressources humaines, je m’intéresse plutôt d’ordinaire aux politiques de gestion des ressources humaines que mettent en place les entreprises. Dans mon métier, j’interviens beaucoup auprès de gens qui y travaillent et qui, au cours de leur vie professionnelle, décident de se former, en suivant un MBA ou une formation continue par exemple.

C’est ainsi que j’ai été frappée par un constat. Je voyais, parmi ces populations de professionnels en formation, beaucoup de gens qui étaient en situation de réussite professionnelle, qui étaient soutenus par leur organisation dans leur démarche de formation… et qui, pourtant, se trouvaient confrontés à des crises de motivation extrêmement fortes. La gestion, mon domaine d’expertise, ne me donnait pas de clés pour le comprendre.

En effet, la gestion souligne souvent à quel point des aspects comme le salaire ou l’intérêt des missions sont garants de la motivation au travail. Or, les personnes que je rencontrais avaient un salaire et des missions satisfaisants, sans pour autant éprouver un sentiment d’accomplissement dans leur métier. J’ai donc commencé à m’intéresser à l’évolution de la motivation au travail.

Sanjy, faisiez-vous le même constat ?

Oui, en tant que consultant et intervenant dans des organisations, j’avais aussi remarqué des phénomènes inexpliqués : par exemple, une personne qui avait jusqu’à présent été une contributrice remarquable au sein de l’entreprise ne l’était plus… et pourtant, extérieurement, rien n’avait changé.

Nous avons décidé de mener l’enquête non pas en adoptant un point de vue externe sur la situation ou en administrant un questionnaire, mais en allant véritablement à la rencontre des gens sur le terrain pour mener avec eux des entretiens de plusieurs heures.

Nous avons choisi une démarche dite « compréhensive », qui consiste à partir du point de vue des acteurs d’une situation. Nous avons interrogé une centaine d’individus occupant des responsabilités, se trouvant plutôt en situation de réussite dans toutes sortes de missions, afin d’essayer de comprendre avec eux comment ils percevaient l’évolution de leur motivation dans le temps. C’est ainsi que nous avons identifié 7 étapes dans une vie professionnelle et une dynamique centrale commune.

Cette dynamique, c’est ce que vous avez appelé le « rendez-vous 3 »…

On l’appelle souvent aussi la « crise du milieu de vie professionnelle ». C’est un moment, souvent tu par les individus, ignoré par les organisations et qui, pourtant, signale un retournement de motivation. S’il n’est pas pris en compte, la motivation de l’individu va aller décroissante sans qu’il ne s’en rende compte.  Ce rendez-vous pose des questions intéressantes pour tous… y compris pour la société.

A l’heure où l’on annonce l’allongement de la vie professionnelle, il paraît impossible d’ignorer les questions qui se posent aux professionnels matures. Ce livre est donc aussi un « manifeste » pour que l’on repense tout autrement la deuxième partie de vie professionnelle.

Quelles sont justement ces questions qui se posent à l’approche de la cinquantaine ?

Nous tenons d’abord à préciser que cette crise n’est pas nouvelle, les psychologues en ont parlé dès les années 30, à commencer par Jung qui en donnait d’ailleurs une image magnifique, qui reste pertinente aujourd’hui : il comparait l’existence à la course quotidienne du soleil, avec le matin, le midi, l’après-midi et le soir… Ce que l’on appelle le « rendez-vous 3 » correspond à la crise du midi.

Pendant toute la première partie de leur vie, les gens se consacrent à la construction de leur réussite, à apporter la preuve qu’ils sont de bons professionnels, à développer leurs singularités. Lorsqu’ils atteignent 40 ou 50 ans, c’est comme s’ils avaient atteint les rêves de réussite qui les avaient guidés… mais ils font simultanément le constat qu’ils ne sont pas forcément plus heureux. Ils se posent alors une question redoutable : que faire à présent ? C’est le début d’une nouvelle quête de sens

Cette crise affecte-t-elle tous les domaines de la vie ?

Oui, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle a commencé par attirer l’attention des psychologues. Les quadras et quinquas sont en quelque sorte confrontés à un changement de positionnement par rapport à la vie : durant toute la première partie de leur existence, ils ont été accaparés par l’idée de « réussir dans la vie ». A l’âge où ils commencent à voir leurs propres parents vieillir et leurs enfants grandir, ils souhaitent désormais « réussir leur vie ».

Nous avons choisi de nous intéresser plus spécifiquement au monde du travail car nous pensons que cette dimension n’est pas assez reconnue.

Comment se traduit cette crise ?

On se trouve face à des professionnels parfaitement capables d’être performants mais qui sont démotivés… Souvent, les symptômes sont mal décryptés, on croit que les gens sont stressés. Mais en réalité, ils sont démotivés et cette démotivation peut entraîner des attitudes de résistance au changement, un caractère plus irritable, un peu aigri voire des troubles plus personnels (problèmes de sommeil, etc).

Il est primordial d’œuvrer pour prendre en compte cette crise. C’est d’ailleurs ce qui nous a poussés à écrire ce livre. Nous avions déjà abordé le sujet du « rendez-vous 3 » dans un premier ouvrage qui évoquait cette crise de motivation… et les lecteurs nous ont interpellés en nous demandant comment y faire face. Nous proposons donc une méthode pour dédramatiser cette crise et en faire une opportunité.

En quoi consiste cette méthode, que vous avez intitulée la méthode RGNR ?

Elle consiste à transformer cette crise en opportunité. En effet, la crise du milieu de vie révèle un besoin renouvelé de sens. Tout ce qui était motivant avant ne l’est plus. En fait, l’individu est à la recherche d’un nouveau registre d’activités, les Aspirations, dont une des caractéristiques est le besoin d’utilité. La méthode RGNR vise à conduire les individus dans l’exploration de ce besoin et à les aider à trouver un projet concret d’utilité, source d’épanouissement pour eux-mêmes et de valeur pour leur organisation.

Vous parliez de « dédramatiser » la crise de motivation des quadras et quinquas au travail, vous semble-t-elle normale ?

Elle n’est absolument pas pathologique et nous considérons même qu’elle est le signe d’une bonne santé psychique. En revanche, il nous paraît important de questionner cette période : qu’est-ce qui fait que ce qui était motivant ne l’est plus ? Quel sens les gens souhaitent-ils donner à la dernière partie de leur vie professionnelle ?

Il faut laisser de l’espace aux individus, afin qu’ils aillent chercher les activités qui comptent pour eux. Les entreprises ont tout intérêt à en prendre conscience car on remarque que si on laisse les gens aller à la rencontre de leurs aspirations, ils deviennent encore plus performants et même innovants. Quelqu’un qui a réussi à identifier des activités qui font sens pour lui aura très probablement la capacité à être moteur de projets innovants et forts.

Avez-vous des exemples d’entreprises qui ont su mettre en œuvre des initiatives pour accompagner leurs salariés à cette période de leur vie ?

En Hollande, Philips a développé une offre de formation dédiée aux plus de 45 ans. Elle présente la particularité de ne pas être orientée technique ou métier mais de mettre l’accent sur des bilans réalisés par des personnes externes, du coaching… On reconnaît ainsi que le besoin de développement ne porte pas sur l’acquisition de nouveaux savoirs mais plutôt sur le fait de se questionner pour définir de nouvelles envies.

On peut également citer l’initiative d’un cadre supérieur en fin de vie professionnelle chez Total. Il avait du mal à partir à la retraite et a proposé à la direction générale de créer une association à but non lucratif, Total Professeurs Associés. Elle permet à n’importe quel salarié souhaitant devenir professeur dans des institutions extérieures à l’entreprise (lycées professionnels, Institut Français du Pétrole, etc.) de le faire sur son temps de travail, dans la limite de 10 jours par an. L’entreprise continue à le rémunérer durant cette période. On dénombre à ce jour 500 professeurs associés actifs… et il se trouve que la plupart d’entre eux sont justement des gens en deuxième partie de vie professionnelle.

Enfin, à l’EM Lyon où j’enseigne, nous mettons en place un incubateur à projets d’utilité. L’objectif est de permettre aux professionnels qui le souhaitent de mettre en place des activités qui font sens pour eux et créent de la valeur pour leur entreprise par le biais de l’incubateur. J’ai par exemple rencontré une femme travaillant au sein d’un grand groupe de restauration, qui ne supportait plus de voir toute la nourriture jetée quotidiennement. Elle pourrait par exemple monter un projet d’utilité consistant à mettre au point un moyen de distribuer cette nourriture à des personnes démunies : ce serait porteur de sens pour elle et créateur de valeur pour l’entreprise.

Plus simplement, toute entreprise pourrait orienter l’entretien annuel d’évaluation des plus de 45 ans sur ces questions de sens, de motivation…

En France, on ne valorise pas réellement les seniors dans le monde du travail. Cela peut-il aussi contribuer à cette crise de motivation ?

Je ne pense pas que ce soit ce qui produit la crise… mais il y a des signes qui renforcent le constat que les beaux jours ne sont plus devant soi mais derrière. On vous sort des « listes de hauts potentiels » que tiennent certaines entreprises, on plafonne votre rémunération et votre progression, on réduit les dépenses de formation…

Mais, au fond, cela témoigne plutôt de l’échec des politiques de GRH. Or, il y a urgence à tout repenser. En effet, les quadras et les quinquas sont au sommet de leur expertise métier, ils sont une ressource essentielle de l’entreprise. A-t-on réellement intérêt à laisser leur situation se dégrader alors qu’ils pourraient être des sources d’innovation ? Les coûts sont importants et, dans un contexte où la crise se fait de plus en plus aiguë, nous ne pouvons plus nous le permettre.

Cette crise affecte les gens à un âge où ils ont souvent une connaissance d’eux-mêmes plus développée que des professionnels en début de parcours. Est-ce que cela les aide à faire face ?

Il est vrai qu’en avançant en âge, on se connaît de mieux en mieux mais ce qui rend difficile la prise de conscience, c’est le fait que ce rendez-vous 3 est tabou. C’est un ressenti normal mais souvent, les gens n’osent pas en parler. Ils sont censés être à un stade où ils ont tout et parfois, leur entourage vit leur mal-être comme un caprice : « Tu t’es battu(e) pour avoir ce poste que tu convoitais tant et maintenant que tu l’as, tu n’es pas satisfait(e) ». D’ailleurs, eux-mêmes ne comprennent pas ce qui leur arrive…

Pour mettre en œuvre les facultés d’introspection que l’on a, encore faut-il avoir l’opportunité de le faire au lieu d’avancer en étouffant ses doutes. Si, à l’inverse, on reconnaît leur existence, si l’on donne aux gens la possibilité de se pencher dessus s’ils le souhaitent, on les aide beaucoup. D’où l’importance d’en parler, à travers ce livre notamment, de dédramatiser et de proposer une méthode pour traverser cette période.

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