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Mais c’est en termes d’indicateurs du marché du travail que les différences sont certainement les plus nettes (Tableau 1). En France, le taux d’emploi global est resté stable sur la période 2008-2014 (même si le chômage a lui augmenté), la diminution du taux d’emploi chez les moins de 55 ans ayant été compensée par la forte progression de ce taux chez les 55-64 ans, comme résultat des dernières réformes du système de retraites favorisant l’activité à un âge plus tardif. Sur cette période, seule l’Allemagne a en fait vu son taux d’emploi global progresser significativement, avec une hausse conséquente de l’emploi chez les 25 ans et plus. L’Italie, et surtout l’Espagne, ont en revanche été confrontées à un effondrement du taux d’emploi des jeunes.
Tableau 1 : Évolution des taux d’emploi par tranche d’âge
Ces différences de réactions du marché du travail traduisent notamment la diversité des institutions en vigueur avant la crise. Pour des pays comme l’Espagne, l’Italie, et dans une moindre mesure la France, c’est a posteriori que la conjoncture les a conduit à mettre en œuvre certaines réformes structurelles. Nous ne reviendrons pas sur les questions relatives au coût du travail et au salaire minimum, évoquées dans un précédent post de blog,[1] préférant se focaliser sur les expériences européennes de réforme de l’assurance chômage ou de la protection des emplois, finalement l’occasion de mettre en perspective les dernières lois Macron et Rebsamen en France.
Les réformes Hartz en Allemagne : moins d’assurance pour plus d’emplois
Sous le mandat de Gerhard Schröder, l’Allemagne a, depuis plus de 10 ans maintenant, réformé en profondeur son marché du travail. Connues sous le nom de réformes Hartz en 2003 et 2005 qui ont fait date (du nom de leur inspirateur, DRH de Wolkswagen), la lutte contre le chômage a principalement reposé en une remise en cause (initialement controversée) du régime d’assurance chômage : nécessaire justification par le demandeur d’emploi du caractère légitime du motif de refus d’une offre, critères d’éligibilité plus stricts, durée maximale d’indemnisation ramenée de 26 mois à 12 mois… Outre des incitations à la reprise d’emploi, ces ajustements ont contribué indirectement à modérer le coût du travail et améliorer la compétitivité des entreprises allemandes. Parallèlement, l’évolution de la réglementation du travail a également permis une plus grande flexibilité des horaires. Aujourd’hui, le bilan global de ces mesures est positif, avec un taux d’emploi qui a progressé de près de 10 points (selon le rapport Trésor-Eco n°110, Mars 2013), même si la création d’emplois repose fortement sur des contrats dits atypiques (emplois intérimaires, emplois à temps partiel).
Les réformes de la protection des emplois en Espagne et en Italie
Plus récemment, l’Espagne et l’Italie, confrontées à un déficit flagrant de l’emploi chez les jeunes, ont opté pour une réforme de la protection des emplois, dans une logique globale de flexisécurité inspirée du modèle danois. Il est en effet établi que des procédures de licenciement contraignantes et coûts de séparation élevés profitent aux travailleurs en place à l’encontre de l’insertion des jeunes.[2] Concernant l’Italie, comme le souligne Andrea Bassanini,[3] initialement la légitimité du licenciement reposait sur une définition très restrictive, avec des contraintes et des coûts importants pour l’employeur en cas de licenciement abusif avéré. La réforme de la protection de l’emploi a tout d’abord consisté à libéraliser le recours aux contrats à durée déterminée dont la prévalence dans les embauches est passée de 60 % en 2006-2007 à 70 % en 2011-2012. Ensuite, le décret Poletti (mars 2014) a accru les possibilités d’utilisation et de renouvellement des contrats à durée déterminée. Enfin, les Jobs Act (à l’automne 2014) ont instauré un contrat à droits progressifs avec des facilités de licenciement pendant trois ans.
En Espagne, la réforme du marché du travail en 2012 a également profondément modifié le système de protection de l’emploi.[4] Ceci s’est traduit par la suppression de l’autorisation administrative de licenciement, la réduction des compensations financières en cas de remise en cause du caractère équitable du licenciement, et la création d’un nouveau contrat permanent avec une période d’essai étendue à un an. Ceci a significativement réduit le niveau de protection des emplois sur les contrats à durée indéterminée, même s’il demeure parmi les plus élevés au monde.
Les réformes inabouties de la protection des emplois en France
Pour sa part, la France procède par petites touches impressionnistes. Un certain consensus est toutefois intervenu sur la nécessité d’assouplir et de sécuriser juridiquement la rupture du contrat de travail. La loi de sécurisation de l’emploi de juin 2013 s’est inscrite dans cette perspective : elle définit une grille pour les indemnités de licenciement, destinée à servir de référence durant la première phase de conciliation prud’homale. La loi Macron propose pour quant à elle d’assouplir la gestion des licenciements collectifs (libre choix du périmètre des critères d’ordre de licenciement, pas de contrôle administratif pour des licenciements de moins de dix personnes…). La loi Rebsamen relative au dialogue social et à l’emploi publiée le 18 août 2015 s’est pour sa part principalement attaquée aux règles de fonctionnement et à l’organisation des entreprises (notamment liées aux instances représentatives du personnel). On notera seulement, sur le champ de la protection des emplois, l’extension à trois renouvellements possibles au lieu de deux des Contrats à Durée Déterminée, la durée maximale étant toutefois maintenue à 18 mois.
L’instauration du contrat à droits progressifs (adopté par exemple en Italie), reste en revanche repoussée aux calendes grecques, car certainement trop étiquetée politiquement depuis son soutien initial par Nicolas Sarkozy en 2007.
Finalement, l’actualité d’une nième réforme du marché du travail français est liée à la remise début septembre 2015 au Premier Ministre du rapport Combrexelle. Sur la base de ce rapport, la réforme (ou la simplification) du code du travail, un temps évoqué par François Hollande, s’apparenterait de nouveau à une réforme a minima. L’idée directrice serait ici de faire primer les accords d’entreprise ou de branche, sur la loi. L’objectif visé, tout à fait louable, serait de permettre là aussi plus de souplesse, avec une gestion dérogatoire au niveau de l’entreprise ou de la branche. Mais quel sera précisément le champ d’application de ses accords primant sur la loi ? Là est tout l’enjeu de la négociation qui va se tenir. Le temps de travail, le salaire minimum ou le contrat de travail auraient d’emblée été exclus par François Hollande du champ de la négociation. On l’aura compris la proximité des prochaines élections rend peu propice l’éventualité de changements radicaux en la matière.
[1] « Existe-t-il un SMIC optimal ? », juin 2014.
[2] Voir également le post de blog « contrat de travail unique: des gagnants et des perdants? » (novembre 2014), pour une discussion de cet argument.
[3] « 4 years of employment protection reforms in Italy (2012-2015) » ; présentation au Conseil d’Orientation de l’Emploi du 16 juin 2015.
[4] En Espagne, les CDD représentent un tiers du stock d’emplois, soit près de trois fois plus qu’en France.