Partager la publication "Interview de Stéphane Lhermie sur l’évaluation professionnelle"
A l’occasion de la sortie de son nouvel ouvrage « L’évaluation professionnelle : réflexions sur les blocages et modernité d’une pratique française » , Stéphane Lhermie, co-fondateur du cabinet de conseil en ressources humaines &CHANGER, a accepté de répondre à quelques questions :
Dans un premier temps, pouvez-vous nous raconter votre parcours ? Comment vous êtes vous intéressé au sujet de l’évaluation professionnelle ?
Après avoir obtenu mon diplôme à l’ISG, j’ai tout d’abord travaillé en entreprise à des fonctions opérationnelles en marketing et en développement commercial. J’ai ensuite quitté le monde de l’entreprise pour les cabinets de conseil en ressources humaines, de recrutement et de chasse anglo-saxons, et français.
Le premier cabinet pour lequel j’ai travaillé développait un outil d’évaluation des comportements professionnels. Cet outil m’a poussé à m’intéresser à l’approche anglo-saxonne de l’évaluation, qui est vraiment très différente de celle de la France. Dans les pays anglo-saxons, l’évaluation professionnelle est beaucoup plus individualisée et situationnelle. On prend en compte le fonctionnement de chacun. Depuis quelques années, cette approche se développe en France, mais les professionnels restent encore trop figés sur le statut (l’image, la représentation, la position dans l’entreprise) et pas encore assez sur le rôle de chacun (quel est son apport ? A quoi peut-il contribuer individuellement dans l’entreprise ?). C’est en fait une question de relation à l’autre, à une réalité, collective et individuelle.
Ces différentes expériences professionnelles m’ont amené à cofonder un cabinet de conseil en ressources humaines &CHANGER en janvier 2006 avec Virginie Galtier.
Pourquoi avoir écrit un livre sur l’évaluation professionnelle ?
En écrivant un ouvrage sur l’évaluation professionnelle, j’avais la même volonté que lors de la création de mon cabinet : rendre visible les bonnes pratiques. Investir ce sujet m’a permis de partager mes convictions par rapport à une approche que j’estime constructive, moderne et pragmatique.
Le sous-titre de votre précédent ouvrage dont la réédition vient de sortir est « Réflexion sur les blocages et modernité d’une pratique française ». Avez-vous quelques exemples de blocages et de modernité dans les pratiques d’évaluation françaises dont vous voudriez nous faire part ?
Commençons par les blocages. En France, il existe selon moi 3 principaux freins à une évaluation professionnelle moderne :
- La culture du statut et donc de la position dans l’organisation qui est une notion bien trop figée et statique. Elle est vide d’information sur le mode de fonctionnement individuel.
- La culture de la représentation et de l’image, qui conduit à la surenchère en matière d’a priori, négatif mais aussi positif, et de la déduction trop hâtive construite sur des référents de groupe: « Vous venez de telle école de commerce, donc… », « Vous avez telle compétence, donc… ».
- La culture de la répétition : celui qui a fait saura faire, la même chose. Préférer ce qui s’est toujours fait même si c’est inadapté, plutôt qu’envisager une nouvelle approche. La répétition est rassurante, le changement inquiétant, un risque.
Au final, ces blocages montrent bien que l’on passe totalement à côté de l’individu pour privilégier la représentation collective à la réalité individuelle.
Heureusement, depuis quelques années, on assiste tout de même au développement d’approches un peu plus modernes :
- On commence à considérer l’individu comme ayant sa propre capacité de valeur, comme un être qui sait se remettre en question et qui peut évoluer.
- La réalité en mouvement : les entreprises passent de « Qu’est-ce que vous savez faire ? » à « Comment mettez-vous en œuvre ce que vous savez faire ? ».
Au final, les entreprises évaluent de plus en plus le mode de fonctionnement individuel en situation professionnelle, encouragées par les ressources humaines et la vision de certains opérationnels. Ces entreprises sont au contact de la réalité des marchés, et de leur nécessité. C’est le cas du secteur privé, mais aussi de certaines organisations publiques.
Objectivité et pragmatisme, ce sont 2 maîtres mots de votre ouvrage : comment faire évoluer les pratiques pour progresser dans ces 2 domaines ?
Parlons de l’objectivité. Je pense qu’il est tout à fait possible de l’améliorer en formant davantage les consultants à l’évaluation dans les cabinets. Il ne faut plus que l’évaluation soit juste une activité : il s’agit d’un véritable métier, à construire, à structurer, à professionnaliser.
Ainsi, les consultants pourront vraiment jouer un rôle de conseil auprès des clients du cabinet. Il faut qu’ils apprennent à répondre aux besoins de façon réaliste et pas seulement en acceptant la demande formulée par l’entreprise. Celle-ci a besoin d’être accompagné, il faut lui dire ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, l’amener à réfléchir sur l’individualisation de l’évaluation.
En ce qui concerne le pragmatisme, je dirais qu’il faut surtout accompagner le monde professionnel à développer un contact avec une forme de réalité du marché du travail, en transformation. Il évolue et la diversité des profils également. L’ouverture à la nouveauté est aussi un levier d’efficacité.
Parlons de la notion de responsabilité. Quelles sont les parts de responsabilités de l’évaluateur et de l’évalué ?
L’évaluateur doit créer des conditions ouvertes d’échange avec l’évalué. C’est-à-dire qu’il doit être prêt à écouter, sans se laisser submerger par des a prioris. L’évaluateur a aussi la responsabilité de rester le plus objectif possible face à l’évalué, ainsi que de partager une restitution avec la personne évaluée. Ainsi, il est tout à fait possible de faire une remarque négative, mais dans ce cas, il faut prendre le temps d’expliquer pourquoi. L’évalué est tout à fait capable d’entendre une remarque honnête et constructive.
De son côté, l’évalué doit savoir investir la notion de comportement et de relation. Il ne doit pas juste compter sur les compétences qu’il apporte, surtout si le marché attend autre chose. L’évalué doit donc savoir se remettre en question et doit pouvoir entendre qu’il serait bénéfique qu’il améliore sa prestation, en termes de structure du discours, d’analyse de l’information, de synthèse, de vision globale et d’illustration…
Au final, il existe une coresponsabilité entre l’évaluateur et l’évalué : celle de l’un renvoie à celle de l’autre.
Avez-vous un message à transmettre aux professionnels de l’évaluation ou du recrutement ?
J’aurais un message pour ceux qui veulent en faire leur métier. Commencez par vous poser les bonnes questions : pourquoi ai-je envie de faire de l’évaluation ? Comment ai-je envie de la mettre en œuvre ?
Ensuite, il est impératif de sortir de l’approche binaire : l’individu ou l’efficacité. Plutôt « et ». Ils peuvent tout à fait coexister, cela demande « juste » plus d’engagement et d’investissement.