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Le 13 octobre dernier, Jean Tirole obtenait le prix Nobel d’économie, troisième français à recevoir cette distinction. Cette nomination s’est évidemment traduite par une importante médiatisation du chercheur, également directeur de l’École d’Économie de Toulouse. Mais cette médiatisation, loin d’avoir porté sur les travaux de recherche motivant cette distinction académique, à savoir la « théorie de l’agence et des incitations » appliquée aux questions de régulations sectorielles, a essentiellement concerné le « contrat unique » qu’il avait eu l’occasion de défendre dans le cadre d’un rapport rédigé pour le Conseil d’Analyse Économique en 2003.
Salariés insiders et travailleurs outsiders
Le diagnostic qu’il faisait de l’état de santé du marché du travail français à l’époque reste on ne peut plus d’actualité : il existe une segmentation du marché du travail, qualifié de dual, avec d’un côté des salariés insiders bénéficiant de contrats à durée indéterminée (CDI) bien protégés, et de l’autre, des travailleurs outsiders alternant des périodes de chômage et de contrats temporaires.
85% des embauches sont en CDD
Aujourd’hui, si l’intérim et les contrats à durée déterminée (CDD) ne représentent que 10% de l’emploi salarié, près de 85% des embauches le sont en CDD. Ceci renvoie à la faible probabilité de pérennisation des CDD en CDI : les fins de CDD constituent ainsi les trois quarts des sorties de l’emploi observées, là où les licenciements comptent pour moins de 10%.
Les jeunes, par définition en situation de primo insertion sur le marché du travail, sont les premiers touchés : la part des emplois en CDD est ainsi environ 4 fois plus élevée pour les 20-24 ans que pour les 25-49 ans.
La difficulté à licencier, à l’origine du nombre élevé de CDD
La principale explication serait l’importante discontinuité dans la protection des emplois en France, entre d’une part le CDD, et d’autre part le CDI. Le dernier rapport de l’OCDE sur le sujet (données 2013) souligne ainsi que « l’évaluation de la difficulté à licencier» y est approximativement trois fois plus élevée à celle mesurée dans les pays anglo-saxons, soit encore supérieure d’environ 50% à la moyenne OCDE. Une partie importante des CDD ne seraient ainsi pas convertis en CDI du fait d’un effet de seuil dans la protection des emplois.
Le contrat unique : proche du CDD ou du CDI ?
Dans cette optique, afin de rompre avec la dualité observée du marché du travail, l’instauration d’un contrat unique semble à certains égards tomber sous le sens. Comment alors expliquer que cette mesure, déjà évoquée lors de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, ait depuis longue date été enterrée ?
Le principal motif de divergence concerne le degré de protection de l’emploi attaché à ce contrat unique : irions-nous vers une généralisation du CDI dans sa forme actuelle*, ou au contraire vers une forme de CDD perpétuel « à l’anglo-saxonne » ? C’est évidemment là que se situe l’enjeu essentiel des discussions.
* Dans sa version originelle, le contrat unique a été pensé avec des droits progressifs, c’est-à-dire avec des indemnités de licenciement augmentant avec l’ancienneté du salarié (voir le rapport de Cahuc et Kramarz rédigé en 2005 pour le Ministère des Finances et de l’Industrie, et intitulé « De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale professionnelle »).
Un contrat unique protecteur de type « CDI » pénaliserait les plus jeunes
La vérité est certainement comme souvent quelque part entre les deux, mais il est primordial de comprendre que selon le degré de protection retenu, les gagnants et perdants potentiels ne seraient pas les mêmes.
Cette analyse a été détaillée dans différents travaux que j’ai eu l’occasion de rédiger, pointant du doigt la question de l’âge des travailleurs.*
Pour les 25-54 ans tout d’abord, le taux de chômage semble peu sensible au degré de protection des emplois : plus celui-ci est élevé, moins il y a de destructions d’emplois, mais moins il y a également d’embauches à cause des difficultés à licencier et des coûts de séparation attendus.
Pour les âges médians, ces deux effets de sens opposés en termes d’emploi se compensent.
Il apparaît en revanche que l’emploi des moins de 25 ans serait d’autant plus faible, et celui des plus de 54 ans d’autant plus élevé, que les difficultés à mettre un terme à ce contrat unique seraient grandes.
* Voir notamment différents Edhec Position Papers, dont
- « Le contrat unique : un outil de sécurisation des parcours professionnels ? » (2007) : http://professoral.edhec.com/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1328885972177
- «Un haut niveau de protection de l’emploi ralentit l’insertion des jeunes » (2011) : http://professoral.edhec.com/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1328885973139
La proximité de la retraite augmente les effets positifs de la protection de l’emploi sur le maintien en emploi des salariés seniors
Ceci renvoie à deux arguments distincts. D’une part, s’agissant des seniors, la proximité de la retraite tend à rendre extrêmement sensible la décision de maintien en emploi vis-à-vis du coût de licenciement (ou plus généralement vis-à-vis des difficultés à licencier) : une faible augmentation de ce coût conduit, toutes choses égales par ailleurs, l’employeur à patienter et attendre la retraite dudit salarié, permettant une séparation à coût nul ; un tel arbitrage ne peut évidemment pas exister quand il s’agit d’un salarié âgé de 40 ans qui partira en retraite au minimum dans 20 ans.
A l’inverse, toute baisse de la protection des emplois aurait des effets tellement défavorables en termes de maintien en emploi des seniors, que les effets potentiellement bénéfiques en matière de recrutements ne permettraient pas de compenser l’impact à la hausse induit sur le chômage des seniors.
Un contrat unique « peu protecteur » favoriserait l’insertion et le taux d’emploi des jeunes
Concernant les jeunes, on l’a dit, la problématique posée est avant tout celle de la primo insertion, c’est-à-dire de l’accès au premier emploi. En d’autres termes, avant même de savoir si l’emploi sera plus ou moins pérenne, intervient le volume d’embauches, de sorte à absorber l’entrée massive des jeunes à l’issue de leur formation initiale.
De ce fait, dans une perspective macroéconomique, le poids de la variation des embauches dans l’évolution du taux d’emploi des jeunes apparaît relativement plus important que celui des destructions d’emplois (de la durée des emplois).
Ainsi, une protection de l’emploi relativement inférieure, bien qu’augmentant simultanément les destructions et les créations d’emplois, contribuerait à générer une insertion plus rapide des jeunes sur le marché du travail et à augmenter leur taux d’emploi.
Au bilan, il y aurait donc une forme d’opposition entre les intérêts des deux extrêmes du cycle de vie, en matière de protection de l’emploi attaché à cet hypothétique contrat unique.
Espérons que la prochaine campagne présidentielle, dont les premiers prémices se font sentir, permette de se saisir à nouveau du sujet. Rien n’est moins sûr.
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