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Partager la publication "La couverture santé obligatoire : une contrainte pour l’employeur, mais encore ?"
Le 11 janvier 2013, syndicats et patronats ont signé un Accord National Interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi. Cet accord s’est traduit par la loi du 16 juin 2013 qui prévoit notamment la généralisation d’une couverture santé minimale pour tous les salariés, à l’horizon du 1er janvier 2016, avec un financement assuré au moins pour la moitié par l’employeur.
Après la phase de négociation dans les branches professionnelles, le 1erjuillet 2014 marque une nouvelle étape dans le processus de mise en œuvre. En l’absence d’accord au niveau de la branche, les entreprises sont dorénavant tenues d’engager des négociations, afin de déterminer le niveau, les modalités, et le financement de cette couverture complémentaire collective.
En France, selon l’enquête Protection Sociale Complémentaire d’Entreprise (PSCE), objet d’une étude menée en 2012 par l’IRDES,[1] ce sont près de 64% des salariés du secteur privé qui étaient déjà couverts par un contrat santé d’entreprise.[2] Au-delà de la contrainte imposée aux employeurs, ce dispositif affecte le fonctionnement de l’entreprise au moins à deux niveaux.[3]
Un postulat : meilleure couverture santé = meilleure santé = productivité en hausse
En favorisant la prévention des risques et un meilleur accès aux soins, il apparaît tout d’abord que le bénéfice d’une complémentaire santé d’entreprise, généralement négociée à des conditions plus avantageuses qu’au niveau individuel, a un impact positif sur l’état de santé des salariés et donc indirectement sur leur productivité en emploi.
Couverture santé obligatoire : vers le risque d’une surconsommation de soins et d’arrêts de travail ?
En revanche, l’incidence sur la fréquence des arrêts de travail n’est pas statistiquement significative, faisant écho à l’existence de deux effets de sens opposé : un meilleur état de santé limite les arrêts pour maladie, mais le coût d’opportunité des soins se trouvant également réduit, le bénéfice d’une complémentaire santé d’entreprise peut conduire à une surconsommation de soins et des arrêts de travail qui y sont éventuellement associés.
La couverture santé et salaires : un pas de plus vers la logique RH « compensation & benefits »
Ensuite, il est à noter que la couverture collective et les dépenses qu’elle engendre pour l’employeur s’intègrent plus globalement dans la politique de ressources humaines des entreprises, avec de potentielles répercussions en matière de rémunération des salariés.
Ceci s’inscrit en effet dans un contexte où il existe une relation positive entre le salaire proposé et la « qualité » du recrutement : en augmentant le niveau de rémunération, les employeurs cherchent à s’assurer les services des travailleurs performants, motivés, mais également en bonne santé, qui ont un salaire de réserve relativement élevé.[4] Dans ces circonstances, le fait de proposer une couverture santé généreuse est fortement attractif pour les travailleurs a priori en relativement moins bonne santé.
Et ces derniers sont donc d’autant plus enclins à accepter des offres d’emploi avec de faibles niveaux de rémunération que parallèlement il leur est proposé une bonne couverture santé. A l’inverse, les travailleurs en excellente santé sont relativement moins disposés à accepter des modérations salariales en contrepartie du bénéfice d’une couverture généreuse dont ils estiment ne pas avoir besoin. De ce point de vue, dépenses de santé et salaires deviennent deux composantes interdépendantes de la politique de ressources humaines des employeurs.
Couverture santé obligatoire : un argument pour les modérations salariales ?
On le voit donc, si à certains égards la mise en place obligatoire de contrats d’assurance santé collectifs dans les entreprises constitue une contrainte pour l’employeur, il existe au-delà de cela différents enjeux et non des moindres. Le premier est celui poursuivi par les pouvoirs publics : favoriser l’accès aux soins et contribuer à améliorer l’état de santé des travailleurs, avec indirectement des effets bénéfiques en matière de productivité pour les employeurs.
Le second tient au niveau des salaires, avec comme scénario probable le fait que, toutes choses égales par ailleurs, la mise en place généralisée en entreprise des complémentaires de santé ne se traduise par des modérations salariales.
Faut-il pour autant craindre ce scénario ? Pas nécessairement, puisqu’il renvoie finalement à une forme de contribution des salariés à la prise en charge par l’entreprise de leurs dépenses de santé.
[1] http://www.irdes.fr/Publications/Rapports2012/rap1890.pdf
[2] 18% bénéficient d’un contrat individuel, 14% sont couverts via la complémentaire du conjoint, 2% sont titulaires de la CMU-C, et 2% (environ 400 000 salariés) sont sans complémentaire santé.
[3] Nous reprenons ici les résultats présentés dans une étude réalisée en Mars 2013 pour l’EDHEC Business School et intitulée « Santé, assurance et salaires : qu’attendre de la généralisation des complémentaires d’entreprise ? »
[4]La terminologie économique fait généralement référence au phénomène « d’anti-sélection » dont l’employeur souhaite se préserver. Le salaire de réserve correspond ici au salaire en deçà duquel le travailleur décline l’offre d’emploi.